Toute leur place, rien que leur place.

En France, les relations sociales pèsent parfois lourd dans l’entreprise, au point que l’activité de la DRH peut être largement subordonnée à ce terrain. Dans la dernière décennie, cette situation a largement été alimentée par le législateur, qui tend à traduire tout élément du débat public en obligation de négocier. Comme si ne cohabitaient dans l’entreprise que les représentants de l’actionnaire et ceux des salariés, leurs mandants sagement alignés derrière eux.

Remettre l’ensemble des collaborateurs au centre du jeu

C’est oublier un peu vite l’acteur premier de l’entreprise : les collaborateurs dans leur ensemble. Ce sont d’abord leurs perceptions qu’il s’agit de prendre en compte, leurs attentes auxquelles il faut répondre, leurs réalités qu’il faut faire évoluer, leur adhésion qu’il faut gagner.

Or la crise de la représentation est une réalité : les positions prises par les partenaires sociaux ne reflètent pas toujours ce que ressent le corps social de l’entreprise. Et ce n’est pas parce que les partenaires sociaux auront été convaincus que la perception de l’ensemble des collaborateurs évoluera en parallèle.

Ecartons toute ambiguïté : les organisations syndicales et les IRP doivent jouer leur rôle, tout leur rôle. Mais rien que leur rôle. Elles ne peuvent se substituer au corps social. De même que les relations sociales ne peuvent tenir lieu à elles seules de politique RH.

Dans les années quatre-vingt-dix, Mc Donald’s France a engagé une politique de négociation tous azimuts avec ses syndicats et conclu de nombreux accords. Mais cette approche n’a pas réduit les conflits qui secouaient régulièrement ses restaurants. L’entreprise se trompait de cible : elle avait oublié que l’enjeu principal était chez les salariés. En parallèle de sa politique de négociation, elle s’est alors investie dans des projets de fond portant sur le quotidien de ses collaborateurs, notamment en travaillant la qualité des pratiques de management. C’est à partir de là que le vécu des collaborateurs a commencé à évoluer et les conflits à diminuer.

Cet exemple illustre ce que peut être la démarche de transformation d’une entreprise dans laquelle les relations sociales auraient pris le pas sur la vraie vie, comme certaines qui travaillent au repositionnement de leur fonction RH. Le point de départ consiste à s’alimenter des réalités sociales, en veillant à investir pleinement la relation entre l’entreprise et le salarié : présence terrain des équipes RH, réappropriation de cette dimension par le management, analyse du climat social, etc.

Au cœur de cette approche, une nécessité : penser la relation directe de l’entreprise avec ses salariés comme première, primant sur les autres et ne se déléguant pas. Ce qui implique de traiter chaque enjeu en se centrant sur ce que vivent les collaborateurs, en les associant à la construction des réponses et en faisant jouer un rôle central aux managers.

Le centre de gravité de l’activité de la DRH est alors repositionné sur le quotidien des collaborateurs plus que sur le jeu d’acteurs auquel peut se limiter le dialogue social. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il ne faille plus occuper le terrain des relations sociales, bien au contraire. Le respect des représentants et de leurs terrains d’intervention tels que définis par les textes n’en est que plus nécessaire.

En mettant en œuvre une approche de ce type, la réalité vécue par les collaborateurs change, les motifs de tension disparaissent progressivement et les relations sociales retrouvent alors leur place naturelle dans la gestion des ressources humaines de l’entreprise.

Aborder différemment les obligations de négocier

Pour autant, les multiples obligations de négociation subsistent, même si elles sont toilettées à la marge. La DRH doit-elle se contenter de remplir ces obligations légales de négocier en limitant leur dimension contraignante et leur impact économique ? Ou peut-elle apporter une véritable valeur ajoutée aux activités opérationnelles de l’entreprise, en traitant le fond des questions abordées ? Pour répondre à cette question, essayons de tirer quelques enseignements de l’ancêtre de la négociation sur le contrat de génération, celle sur les seniors.

De très nombreuses entreprises ont abordé ce thème en veillant à en minimiser la contrainte. Elles ont négocié un accord ou établi un plan d’action a minima. Il s’agissait pour elles de s’affranchir de l’obligation à moindre coût.

Quelques DRH ont traité cette obligation à partir des processus RH : ils ont mis en place des mesures pour anticiper les évolutions de carrière, notamment autour de la valorisation de l’expérience. Ils ont travaillé sur les conditions de travail et notamment sur la pénibilité. Ils ont identifié quelques actions à mener en matière de recrutement des seniors, actions sur lesquelles ils ont souvent dû batailler ferme avec les opérationnels.

Se saisir de la question des seniors à partir des enjeux de fond revenait à construire les réponses de l’entreprise aux questions suivantes : que devons-nous mettre en place pour que cette population, qui a désormais vocation à rester plus durablement dans l’entreprise que par le passé, reste engagée et efficace ? Comment les spécificités de ces collaborateurs (en termes d’expérience, de modes de fonctionnement, de position dans l’entreprise) peuvent-elles être utilisées comme des atouts pour l’entreprise ? Comment peuvent-elles accroître sa capacité stratégique ? Et comment associer les collaborateurs à la construction des réponses de l’entreprise à ces questions ?

Peut-être les réponses ont-elles été proches de celles adoptées avec une démarche d’entrée par les processus RH. Mais en plus, elles étaient porteuses de sens. Et reconnaissons que pour les populations concernées, il est plus valorisant que l’entreprise apporte avec eux une réponse à la question : « Comment capitaliser sur vos atouts ? » plutôt qu’à : « Qu’allons-nous bien pouvoir faire de vous ? » Par ailleurs, les réponses construites étaient plus durables, puisque utiles au business et non plaquées de façon artificielle.

La différence entre ces approches montre qu’en matière de gestion des ressources humaines, il est possible d’aborder un même enjeu soit avec une démarche de minimisation des coûts et des contraintes, soit avec une approche de création de valeur. Mais créer de la valeur suppose d’être dans l’anticipation : ce n‘est pas quand l’obligation tombe, avec son échéance, qu’il est facile de travailler sur le fond.

Les enjeux auxquels l’entreprise doit faire face, les attentes et aspirations des collaborateurs, la crise de la représentation (qui ne se limite pas dans notre société à la crise de la représentation syndicale) et les impératifs de transformation qui s’imposent à toute organisation rendent impératif de repenser les relations sociales. À défaut, que d’énergie perdue à gérer ce qui, jour après jour, peut relever toujours plus du théâtre d’ombres.

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