Un constat préalable : l'importance croissante de la mesure RH

Il n'est pas si lointain le temps où il était de coutume dans la fonction Ressources Humaines d'insister sur la dimension qui la rend unique - à savoir la dimension qualitative – en refusant plus ou moins explicitement les tentatives de mesure et de quantification à l'exception, il est vrai, de l'obligation légale de la production de certains indicateurs dans le cadre du bilan social vieux de plus de 30 ans. Or, la crise actuelle et les conséquences malheureusement prévisibles sur l'activité et l'emploi rendent plus que nécessaires les efforts de mesure et de quantification des résultats comme l'ont déjà fait les autres fonctions "support". La part croissante prise par la gestion fine des rémunérations rassemblée sous le vocable anglo-saxon "compensation & benefits" est également un indicateur de l'impératif de la mesure aussi bien dans les champs d'activité traditionnelle de la fonction RH (par ex : emploi, formation, mobilité, performance, rémunérations, relations sociales…) que des champs plus nouveaux pour elle comme peuvent l'être ceux de la responsabilité sociale de l'entreprise, du développement durable, et de l'engagement des collaborateurs.

Les études régulières menées sur l'évolution de la fonction RH montrent depuis quelques années une progression sensible de la sensibilité des responsables à la question de la mesure et du développement des métriques RH susceptibles de mesurer aussi bien l'efficacité que l'efficience des programmes mis en œuvre. Ainsi, par exemple, l'investigation menée depuis une quinzaine d'années par les chercheurs de l'université de Californie du Sud à Los Angeles a fait émerger le thème des métriques RH comme un thème majeur à partir de 20041. De même, les études menées par le cabinet Towers Perrin soulignent la nécessité pour les DRH de procéder à une évaluation quantitative de leurs programmes RH2. Plus récemment, le baromètre RH publié en novembre 20083 met en évidence une progression de l'importance du contrôle de gestion sociale aux yeux de DRH interrogés puisqu'il passe de la 13e place en 2007 (4%) à la neuvième place en 2008 (10%).

Dans ces conditions on peut se demander pourquoi les DRH hésitent encore à se lancer dans le développement de démarches ambitieuses de mesures de leurs performances au niveau de la fonction, au niveau des programmes en œuvre et au niveau des clients (managers, collaborateurs, clients externes..). Pour les aider dans la mise en œuvre de ces démarches, il est possible de leur suggérer quelques pistes en s'appuyant sur un livre récemment paru aux Etats-Unis, qui représente une excellente synthèse des travaux sur la mesure en RH4. Les auteurs distinguent trois catégories de mesures qui correspondent à des objectifs et des positionnements différents la fonction RH : la mesure de l'efficience des opérations RH, la mesure de l'activité RH par le benchmarking et l'analyse des "best practices", la mesure de l'efficacité RH par les tableaux de bord et les "balanced scorecards".

Les différentes mesures de l'efficience et de l'efficacité RH

La mesure de l'efficience des opérations RH

Cette mesure s'appuie sur des indicateurs tels que le temps moyen de recrutement, le taux et le coût du turnover, la masse salariale par rapport aux dépenses totales…. Ces approches sont très appréciées par les DRH car elles permettent de lier des process RH à des résultats financiers que l'on retrouve dans la comptabilité et également parce qu'elles permettent de montrer que les opérations RH permettent d'obtenir des réductions de coûts. C'est d'ailleurs à partir de cette mesure de l'efficience que sont souvent décidées les opérations d'externalisation de certains process RH. L'une des grandes limites de cette catégorie indicateurs est qu'ils ne sont pas réellement les indicateurs RH en tant que tels, ils représentent surtout des ratios efficience qui peuvent être utilisés pour contrôler les coûts comme dans n'importe quelle fonction support. Par voie de conséquences, la mesure de l'efficience des opérations RH en se focalisant trop sur l'efficience quantitative néglige la dimension qualitative pouvant conduire les responsables à des erreurs de diagnostic et parfois à décider le lancement d'actions RH plus destructrices que créatrices de valeur.

La mesure de l'activité RH par le benchmarking et l'analyse des "best practices"

La mesure de l'activité RH s'appuie sur l'analyse directe de la relation entre des activités RH (recrutement, formation, rémunérations, carrière…) et la performance économique de l'entreprise en termes de profit et de création de valeur pour l'actionnaire par exemple. S'appuyant sur l'analyse des pratiques RH des entreprises réputées parmi les meilleures dans leur secteur, le benchmarking et l'analyse "des best practices" partent du principe il y a un lien direct entre la qualité du système RH et les résultats économiques. Or, aucune recherche n'a jusqu'à aujourd'hui prouvé ce lien direct. On constate tout au plus des récurrences qui méritent que l'on s'interroge sur l'intérêt du développement de certaines pratiques qui, comme la fameuse évaluation 360° feedback, a connu un développement sans précédent depuis une dizaine d'années sans que l'on mesure réellement son impact sur la performance. Néanmoins, toute démarche de benchmarking et d'analyse des "best practices" permet aux DRH de s'ouvrir sur le monde extérieur et d'apprendre sur leurs propres pratiques. Le risque est évidemment de se contenter d'un simple "copier-coller" en n'interrogeant pas des conditions de diffusion et de mises en œuvre de ces pratiques.

La mesure de l'efficacité RH par les tableaux de bord et les "balanced scorecards"

Ici la mesure s'intéresse plus à l'efficacité des programmes RH vis-à-vis des clients internes que sont les managers et les collaborateurs et vis-à-vis des clients externes par l'analyse des taux de satisfaction et de fidélisation. Traditionnellement les tableaux de bord comportent des indicateurs de structures (pyramide des âges, répartition des effectifs par catégorie…), des indicateurs de comportements (taux d'absentéisme, taux de gravité des accidents..) et des indicateurs de résultats (taux de rétention, qualité des produits et services, niveau d'engagement des collaborateurs, satisfaction clients…). Les indicateurs sont ici construits de façon à mesurer l'efficacité et pas seulement l'efficience des programmes RH. C'est dans le même souci de mesurer l'efficacité RH, que l'on peut comprendre le développement des formes diverses de "balanced scorecard" (ou tableaux de bord stratégique). L'approche du tableau de bord stratégique a été proposée il y a plus de 10 ans5 en partant de l'idée assez simple que les mesures de la performance sont trop réductrices lorsque la seule la performance financière fait l'objet d'une attention particulière. Les auteurs soulignent que le tableau de bord stratégique a pour objet de répondre à quatre questions fondamentales : comment nos clients nous voient-ils ? (perspective clients), en quoi devons-nous exceller ? (perspective interne), pouvons-nous continuer à nous améliorer et à créer de la valeur ? (perspective de l'innovation et d'apprentissage), comment nos actionnaires nous perçoivent-ils ? (perspective financière). Ainsi la dimension R. H. apparaît au sein des tableaux de bord stratégique au travers notamment les axes "processus internes" et "apprentissage et innovation". Le fait que dans la chaîne de causalité les axes " processus internes" et "apprentissage et innovation" figurent en amont des autres axes, laisse penser que les ressources humaines sont facteurs, inducteurs de performance6.

Quelles leçons tirer pour les DRH ?

Ce que l'on observe à l'examen de ces diverses formes de mesures RH, c'est une volonté marquée de la fonction RH de construire et mettre en œuvre des instruments de pilotage aussi rigoureux que ceux qui sont à la disposition de leurs collègues des autres grandes fonctions. Depuis de nombreuses années, en effet, les DRH souffrent du manque de reconnaissance de la fonction en tant que fonction stratégique. Mais, si l'on analyse la question de la mesure comme étant un enjeu de pouvoir, alors les DRH peuvent comprendre l'importance du développement de dispositifs de mesures fiables dans leurs domaines d'activités pour conquérir une nouvelle légitimité qui peut être cruciale dans le contexte de crise que nous ne connaissons en cette fin 2008. Il faut reconnaître cependant qu'une plus grande maîtrise de la mesure RH ne peut pas garantir seule le positionnement stratégique de la fonction si d'autres facteurs, comme l'expérience et la personnalité du DRH ou le soutien du Président, ne viennent pas renforcer sa capacité d'influence dans les processus de décisions stratégiques. Cette contribution est, en définitive, une réflexion sur le thème de la relation entre mesure, pouvoir, et statut de la fonction RH. Les DRH pourront sans doute y trouver l'occasion de prendre du recul par rapport aux diverses approches qu'ils mettent en œuvre pour mesurer le retour sur l'investissement R. H.

1 Lawler E., Boudreau, J. & Mohrman, S. : Achieving strategic excellence, an assessment of human resource organizations, Stanford Business School, 2006
2 Le Monde : "La Fonction RH sous les projecteurs de l'évaluation", 14 novembre 2006, VIII Economie.
3 Eric Beal : "Dossier : Baromètre Ressources Humaines 2008", Liaisons Sociales Mensuel, novembre 2008
4 W. Cascio & J. Boudreau : Investing in People : Financial Impact of Human Resources Initiatives, FT Press, 2008
5 R.S.Kaplan, & D.P Norton, "The Balanced Scorecard Measures That Drive Performance". Harvard Business Review, 1996, vol 70, 1, p71-80.
6 Amans, P. et al. (2002) : "Stratégie, management des performances et ressources humaines. La composante des ressources humaines dans les tableaux de bord stratégiques" in Gestion des Ressources Humaines et Stratégie, Nantes , Actes du 13ème congrès de l'AGRH, T1, p35-48.

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