Il y a une trentaine d’année, Roberto Goizueta, alors directeur général de Coca-Cola, avait prescrit avec humour à ses employés : « les dix commandements de l’échec ». J’ai trouvé drôle de m’inspirer de cette idée, en la poussant dans ses retranchements, pour décrire le management « d’hier », celui qui est en train de mourir lentement de la vacuité de ses modèles morbides, version hard et soft, cynique et naïve. Évidemment il y a une part de vérité dans les deux. A vous de vous y retrouver ;-)

Le management cynique

  • Ne prenez pas de risques : laissez les dirigeants décider, et restez dans votre rôle de cadre exécutant. Ne prenez surtout pas les décisions qui n’ont pas été prises mais qui auraient dû l’être, et n’en dites surtout rien. Celui qui ne critique pas mais confirme tout en louant les nobles efforts réalisés apparaît comme quelqu’un de docile, de positif et de constructif. Invoquez le saint pragmatisme chaque fois que vous en avez l’occasion.
  • Contentez-vous de l’existant, à moins que ce ne soit en matière de réduction des coûts, de tableaux Excel ou de reporting powerpointés. Un manager est d’abord un gestionnaire évalué sur ses chiffres, managez donc utile !
  • Dans le même temps, tenez quantités de discours sur “les hommes et les femmes”, le “social”, la “solidarité”, “l’honneur”, “l’éthique”, le “tout équitable”… et surtout “la place centrale de l’homme dans l’entreprise”. Mais en votre fort intérieur, n’oubliez pas de vous reporter au point n° 2.
  • Ne poussez pas vos réflexions stratégiques ; elles changent tous les trois mois. Le mieux est en fait de ne pas avoir de stratégie du tout, mais de toujours apparaître comme un “business partner” engagé dans une “approche client” marquée par la “guerre économique impitoyable” dans le contexte d’une “compétitivité sans merci”… et de le faire savoir en ces termes : ils sont payants.
  • Dans le même temps, ne soyez pas exigeants sur la qualité des produits et services fournis par votre équipe. Poursuivez plutôt l’atteinte de vos indicateurs. Ce sont les nécessités économiques qui imposent de ne pas traiter tous les défauts. Préférez donc toujours l’urgent à l’important. Maintenez un niveau de stress chez vos collaborateurs, et surtout gardez un œil sévère sur les horaires : le temps de présence avant tout ! Rappelez-leur hebdomadairement les conditions de production en Chine ou au Pakistan. Laissez-leur entendre que toute délocalisation n’est pas exclue, mais qu’on ne manquerait pas, le cas échéant, de leur proposer d’aller travailler là-bas : on ne les abandonnerait pas !
  • Justifiez la baisse des performances. A l’évidence, les problèmes proviennent de la conjoncture économique, de la concurrence, de l’état, des syndicats, de la bourse, de la déplorable “mentalité 35 heures” de vos collaborateurs, de la complexité juridique française, etc.
  • Pensez d’abord à vous, à votre réseau et à votre prochain poste. N’admettez jamais une erreur. Reportez la critique sur quelqu’un d’autre, sur la complexité du monde, sur votre agenda surchargé, sur la complexité des relations humaines, etc..
  • Adoptez un comportement et des attitudes inversement proportionnels à la faiblesse et à la fragilité de votre situation. Plaignez-vous quand tout va bien et soyez enthousiastes quand ça va mal. Vous serez ainsi toujours fort : la faiblesse ne pardonne plus aujourd’hui.
  • Surveillez vos collègues, qui sont devenus vos vrais concurrents, et ne vous préoccupez pas de vos collaborateurs, à peine de vos clients. Réduisez vos effectifs, les actionnaires vous trouveront compétent.
  • Attachez plus d’importance aux apparences qu’aux réalités, aux avantages et au prestige qu’à votre mission. Gérez votre carrière par votre réseau. Ayez toujours l’air de prendre en compte tous les avis. Promettez toujours : vous invoquerez les dernières exigences de la “compétitivité” pour ne pas tenir.

Conclusion n°1 : Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : vous n’êtes pas aussi cynique que cela ! Personne ne peut l’être ! Disons que c’est un rôle qui nous rend souvent malheureux : il nous fait tomber dans une schizophrénie difficile à éviter ! Nous pouvons alors tenter de renverser la vapeur :

Le management naïf

  • Essayez d’identifier ce à quoi vous tenez vraiment ; ce qui est fondamentalement important pour vous. Réfléchissez à la vie que voulez, puis resituez votre activité professionnelle dans votre choix de vie. Vous restaurerez ainsi la hiérarchie de valeurs qui vous convient et retrouverez un peu de sérénité : le travail n’est pas la fin (dans tous les sens du terme !) de votre vie !
  • Prenez conscience qu’il n’est pas nécessaire de s’entourer de toutes les apparences du pouvoir pour être assuré d’avoir de l’autorité. Allez au contact de vos collaborateurs avec franchise. Souvenez-vous de ce que disait De Gaulle : « le meilleur calcul, c’est l’honnêteté ».
  • Cessez de penser qu’il faut tout décider par vous-mêmes, tout prévoir, tout planifier, tout vérifier, tout contrôler pour être assuré que le travail sera bien fait, que les objectifs seront atteints. Faites de vraies délégations, correctement définies ; assumez franchement votre responsabilité ; et soyez vous-mêmes le collaborateur des autres.
  • Prenez conscience du fait qu’il y a toujours un moyen ou un autre pour que votre projet personnel prenne sa place dans une vision collective. Cherchez, et vous trouverez !
  • Aidez les autres à être un peu plus eux-mêmes dans cet effort de vision collective. Ils vous le rendront ! Faites preuve de la plus grande circonspection concernant les dernières modes managériales et autres outils miracles qui vous arrivent régulièrement via des consultants peu scrupuleux. Passez-les à la critique de votre bon sens et de votre expérience.
  • Soyez rigoureux et montrez-vous exigeant, mais faites preuve d’indulgence. Dites ce que vous faites et faites ce que vous avez dit ; ou alors expliquez sincèrement pourquoi vous avez changé d’avis. Le respect de la parole donnée est le fondement de l’autorité.
  • Faites confiance, appelez-en aux capacités d’autonomie et d’auto-organisation. Les gens ont toujours plus de capacités qu’on a généralement tendance à le supposer. Leur faire confiance, c’est les former. Privilégiez la compétence et l’atteinte effective des objectifs au respect des horaires et à la figuration inintelligente au bureau.
  • Considérez le talent d’autrui comme une chance, et non comme un risque pour vous-mêmes. Acceptez les critiques et modifiez votre comportement : c’est vous qui progressez !
  • Acceptez d’être redevable à autrui. Vous n’êtes pas seul sur le chemin que vous avez choisi d’emprunter. Relisez les points n° 4 et 5. Etre roi est idiot ; ce qui compte, c’est de faire un royaume.
  • Faites vôtre cette pensée de R. Blanchard : « Chaque individu est un gagnant en puissance. Certains sont déguisés en perdants. Ne vous laissez pas tromper par les apparences. » Manager, c’est aller dénicher le gagnant dans l’autre.

Conclusion n°2 : Ne me faites pas encore dire ce que je n’ai pas dit : vous n’êtes pas aussi naïf que cela ! Personne ne peut l’être ! Disons que c’est un rôle qui nous rend moins malheureux : il ne nous évite pas complètement la schizophrénie, mais il la rend moralement (au sens du moral ; pas de la morale) acceptable. C’est donc bien une voie d’amélioration !

Evidemment, si en plus vous avez une morale, je ne peux plus rien pour vous ;-))))

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