« It’s time to blow up HR » affichait l’édition américaine de la Harvard Business Review en une d’un de ses derniers numéros. Un ancien dirigeant d’entreprise fortement médiatisé déclare quant à lui : « Les RH sont des parasites à l’état pur […]. Cela fait partie de ces sorciers devins qui se sont auto-générés. ». Ces deux exemples illustrent le bashing sans précédent que subit actuellement la fonction RH.

Ceci alors que le facteur humain est susceptible dans nos économies développées de procurer à l’entreprise un avantage concurrentiel durable et que la fonction RH peut être une source majeure de création de valeur. Comment expliquer ce paradoxe ?

Un métier sous contrainte

En France, une partie de la réponse réside dans une contrainte majeure pesant sur notre métier : son agenda est constitué en premier lieu d’obligations liées aux relations sociales. Durant la dernière décennie, cette situation a largement été alimentée par le législateur, traduisant tout élément du débat public en négociation obligatoire, souvent dans l’urgence. Dans de nombreuses entreprises, l’activité de la DRH est largement subordonnée à ce terrain. Et même si elles sont aujourd’hui toilettées à la marge, de nombreuses obligations de négociation subsistent. Or la façon dont de nombreuses entreprises abordent ces questions ne crée que peu de valeur.

Tout simplement parce que la DRH se contente souvent de remplir ces obligations de négocier en tentant de limiter leur dimension contraignante et leur coût. Installée dans la « position du boxeur », elle traite alors en frontal la contrainte pour la réduire. Alors qu’elle pourrait apporter une véritable valeur ajoutée aux activités opérationnelles de l’entreprise, en traitant le fond des questions abordées. Il s’agit alors d’appréhender ces thèmes de manière opportuniste, dans la « position du judoka », qui instrumentalise la contrainte et la détourne pour traiter un enjeu réel auquel l’entreprise est confrontée.

Une illustration : la négociation sur la GPEC

Essayons par exemple de tirer quelques enseignements de la mise en œuvre de l’obligation triennale de négocier sur la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences, imposée il y a 10 ans. Premier constat : alors que la GPEC peut être un formidable levier au service du projet stratégique de l’entreprise, l’obligation a eu un véritable effet pervers en en faisant en premier lieu un objet de relations sociales. Deuxième constat : alors qu’une démarche de même nature est positionnée dans d’autres pays comme un des volets du projet stratégique de l’entreprise (le Strategic Working Planning intégré dans le Strategic Planning), elle reste souvent en France centrée sur les techniques et outils RH. Troisième constat : la GPEC est désormais associée en premier lieu à la prévention des restructurations plus qu’à une démarche proactive de développement.

Depuis la mise en place de l’obligation triennale de négociation, de très nombreuses entreprises ont ainsi abordé le thème en travaillant à minimiser son impact. Puisqu’il s’agissait en premier lieu pour elles de s’en affranchir à moindre coût, elles ont négocié un accord a minima.

Quelques DRH l’ont traitée à partir des processus RH : ils ont mis en place des mesures pour anticiper les besoins. Ils ont décidé de quelques opérations de requalification. Ils ont pris des engagements sur les parcours. Ils ont identifié quelques actions à mener en matière de recrutement, actions sur lesquelles ils auront parfois à batailler ferme avec les opérationnels.

Pourtant, se saisir de la question de l’emploi et des compétences à partir des enjeux de fond revenait à construire les réponses de l’entreprise aux questions suivantes : du fait du projet stratégique de l’entreprise, quelles sont les activités qui vont se développer et quelles sont celles qui seront en recul ? Quels seront demain les métiers critiques pour l’entreprise et les compétences dont elle aura besoin ? Quels arbitrages entre le développement des ressources internes et le recours à des ressources externes ? Et, cerise sur le gâteau, l’entreprise maîtrise-t-elle des expertises différenciantes qui pourraient accroître sa capacité stratégique en lui permettant de développer de nouvelles activités ?

Peut-être les réponses seront-elles proches de celles adoptées avec une démarche d’entrée par les processus RH. Mais elles seront en plus porteuses de sens. Leur valeur ajoutée par rapport au business de l’entreprise sera claire.

Retourner la contrainte

La différence entre ces approches montre qu’en matière de gestion des ressources humaines, il est possible d’aborder un même enjeu soit avec une démarche centrée uniquement sur la minimisation des impacts et des contraintes, soit en y associant aussi une approche de création de valeur. Et la même logique s’applique à chacune des obligations sociales qui pèsent sur l’entreprise. Mais créer de la valeur suppose d’être dans l’anticipation : ce n‘est pas quand la contrainte tombe, avec son échéance, qu’il est facile de travailler sur le fond.

Les enjeux auxquels l’entreprise doit faire face, les attentes et aspirations des collaborateurs, la mise en cause de la fonction RH et, disons-le, la faible valeur ajoutée qu’elle a parfois, lui imposent de changer de posture. Elle doit se saisir de tout ce qui peut contribuer à développer l’entreprise, même quand il s’agit d’un élément exogène perçu a priori négativement. Avec une question : comment puis-je utiliser cette donnée pour faire avancer l’entreprise sur des enjeux essentiels pour son avenir ?

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