Les années quatre-vingt-dix ont vu émerger une réflexion renouvelée sur la stratégie, avec le courant de l’approche par les ressources ou « Resource-based view ». Ce courant constitue pour la GRH un apport d’un potentiel considérable, encore inexploité. En quoi consiste cette approche ? Alors que la réflexion était jusqu’alors centrée sur l’analyse de l’environnement de l’entreprise, l’approche par les ressources part d’un constat : dans un même secteur d’activité, toutes les entreprises n’ont ni la même position, ni la même performance. Chaque organisation possède donc en son sein des caractéristiques qui expliquent sa réussite plus ou moins grande.

L’approche par les ressources se centre sur les déterminants internes de la performance. Mais elle ne s’oppose pas à l’analyse concurrentielle : elle la relativise et la complète. Cette complémentarité est illustrée par des outils comme l’analyse SWOT, qui couvre d’une part les déterminants internes (Strenghts and Weaknesses), d’autre part les déterminants externes (Opportunities and Threats).

Les capacités stratégiques de l’entreprise

L’analyse va donc porter sur les caractéristiques spécifiques de l’entreprise qui vont constituer pour elle la source de son avantage concurrentiel. Elles formeront ses capacités stratégiques.

Une capacité stratégique est une combinaison de deux types d’éléments. Tout d’abord les ressources. Elles recouvrent les actifs que l’entreprise détient ou est capable de mobiliser, et qui peuvent lui permettre de faire la différence sur ses marchés. Une part de ces ressources est intangible : c’est par exemple la réputation de l’entreprise, ses marques, mais aussi ce qui va être rendu possible par les hommes qui la composent. Les financiers ont des difficultés pour évaluer la valeur de ces ressources intangibles. Mais leur existence se traduit par exemple lors d’une acquisition par le paiement d’un montant additionnel : le goodwill.

Cependant les ressources ne sont pas toujours productives en elles-mêmes. Comme tout actif de l’entreprise, elles doivent être activées, leur impact sur la performance de l’entreprise n’est que potentiel. C’est là qu’intervient le second type d’éléments constitutifs des capacités stratégiques, qui va permettre de matérialiser ce potentiel : ce que les auteurs de langue anglaise appellent les « capabilities » de l’entreprise.

Ces capabilities sont les activités, systèmes, processus au travers desquels une entreprise va employer ses ressources et les combiner pour réaliser une tâche : il peut s’agir de son savoir-faire et de l’expérience accumulée, mais aussi de sa capacité d’innovation, des interfaces internes et notamment du degré de coopération entre experts pour construire des solutions, des relations avec les clients et les fournisseurs, de la capacité d’adaptation des équipes, de la souplesse de sa programmation industrielle, etc.

Ces combinaisons de ressources et de capabilities ne constituent pas en elles-mêmes un avantage concurrentiel. Encore faut-il que ces ensembles soient distinctifs de ceux maîtrisés par les concurrents. Quatre critères sont communément évalués pour déterminer si une combinaison de ce type est à même de procurer un avantage concurrentiel : elle doit être valorisable pour l’entreprise, rare, inimitable et non-substituable.

Prenons un exemple : Ikea est reconnu par les professionnels du secteur comme excellent sur l’organisation interne des magasins. Cette réalité a été construite avec l’histoire et elle est fondamentale pour comprendre l’entreprise. L’entreprise est consciente de ce facteur de différenciation. Elle considère que c’est là son savoir-faire le plus précieux et qu’il est constitutif d’un avantage par rapport à ses concurrents. Elle travaille sur les nouveaux business qu’elle pourrait investir au vu de ces capacités.

Construire un avantage concurrentiel

En effet, au-delà de l’identification de ces capacités stratégiques, effectives ou potentielles, l’enjeu pour l’entreprise réside bien dans leur développement. C’est en disposant de capacités stratégiques renforcées que l’entreprise fera la différence sur ses marchés. A l’inverse, elle peut se retrouver contrainte par le niveau et la nature des capacités stratégiques dont elle dispose.

C’est à partir des capacités qu’elle maîtrise ou qu’elle enrichit qu’elle pourra définir et mettre en œuvre des axes stratégiques de développement. Cette démarche conditionnera le niveau de sa croissance organique.

Avec cette approche, nous sommes très loin de la conception des ressources humaines comme variable d’ajustement. Au contraire, la GRH tient une place centrale en tant que système susceptible de procurer à l’entreprise un avantage concurrentiel sensible et durable. L’entreprise va accroître sa capacité stratégique en identifiant et en développant les combinaisons entre ressources et capabilities qui lui permettront de construire et de renforcer un avantage concurrentiel. La notion de capacité stratégique intervient en tant qu’interface entre GRH et stratégie : « le chaînon manquant », en quelque sorte !

En arrière-plan, l’homme appréhendé comme un potentiel

Cette approche renvoie à une conception particulière de l’homme au travail et des « ressources humaines ». Le terme même de Ressources Humaines fait l’objet de débats récurrents depuis maintenant plusieurs décennies. Il est mis en cause à partir d’un argument : il est choquant que les hommes soient considérés comme des ressources, le terme ressources étant entendu au sens de « consommables ». Reconnaissons que certains dans l’entreprise sont parfois dans cette logique. Pourtant, la réponse de principe à cet argument est simple : les hommes ne sont pas des ressources, ils ont des ressources en eux.

Au-delà de la seule rhétorique, l’approche a du sens si elle conduit à considérer que les hommes représentent un atout potentiel, qui a un caractère latent. La valeur de ce potentiel peut ne pas se réaliser si cette contribution latente n’est pas développée.

Cette affirmation peut être vérifiée au quotidien sur le plan des individus. Nous connaissons tous des personnes dont le potentiel est sous-utilisé par l’entreprise, qui se révèlent dans d’autres activités et qui donnent tout ailleurs que dans l’entreprise. Quelle part des fonctionnalités immenses du logiciel humain l’entreprise sait-elle aujourd’hui utiliser ? Ne doit-elle pas considérer que chacun de ses collaborateurs porte en lui un potentiel spécifique et que les conditions doivent être créées pour que ce potentiel puisse éclore ?

Il est aussi possible d’appréhender le facteur humain comme un potentiel sur le plan organisationnel, au niveau de l’équipe. L’entreprise doit mettre en place ce qui permettra que se développe une dynamique collective, à partir des combinaisons entre les compétences et les motivations de chacun.

Sur le plan individuel comme sur le plan organisationnel, l’entreprise a une responsabilité quant à l’activation du talent. Va-t-elle créer les conditions pour qu’il soit révélé et mis en place ou bien va-t-elle l’entraver, et donc s’en priver ?

Cette approche revient à considérer que l’homme constitue un actif pour l’entreprise, plus qu’une ressource. Il serait à ce titre l’actif le plus important de l’organisation. Puisque le facteur humain constitue un potentiel, il doit être traité dans une perspective d’investissement plus que comme un coût.

Avec le courant de l’approche par les ressources, les RH sont donc abordées comme une source potentielle d’avantage concurrentiel pour l’entreprise. Encore faut-il que celle-ci ait la volonté de développer ce potentiel à travers ses pratiques. Et qu’elle en ait la capacité, en identifiant les voies pour le faire.