Le recrutement prédictif agite la sphère RH depuis deux ans désormais avec de nombreux fantasmes à la clef sur ses avantages supposés de non-discrimination, mais également ses risques de profils de candidats identiques. Il est cependant très rare de recueillir le témoignage d'un RH étant passé à ce mode de recrutement ; d'où le profond intérêt de cet échange avec le DRH du BHV, Monsieur Fathallah Charef, Directeur des Ressources Humaines chez LE BHV MARAIS, qui a bien voulu répondre à nos questions en toute transparence. Vous trouverez certainement des réponses sur l'efficacité, la mise en œuvre et les précautions à prendre dans une telle démarche.


1/ Pouvez-vous en quelques lignes nous donner les grandes lignes de votre parcours et vos missions RH actuelles ?

Titulaire d’un Master 2 en droit social et d’un MBA en Management RH, j’ai consacré ma première partie à des projets de restructuration et réorganisation induisant des réductions importantes d’effectifs. Depuis 5 ans maintenant, j’accompagne le BHV dans son repositionnement stratégique. Il a fallu repenser totalement la stratégie RH et concentrer les ressources RH sur la création de valeur.

La stratégie RH du BHV Marais aujourd’hui s’articule autour de 3 politiques RH fondamentales :

  • Le recrutement : comment attirer et recruter des candidats qui nous ressemblent ?
  • Le management des compétences : comment passer d’une logique métiers à une logique de compétences ?
  • La Qualité de Vie au Travail : comment offrir à nos collaborateurs plus qu’un simple lieu de travail, un lieu de vie organisé autour du plaisir et de la découverte ?

2/Le recrutement prédictif consiste à rechercher des liens entre des réponses à des questionnaires orientés sur les soft skills et la performance constatée ensuite en fonction de ces réponses pour identifier des profils offrant les meilleures chances de performance dans le poste du point de vue statistique. Avez-vous une autre définition ou des compléments à cette définition de base à nous apporter ? Quelles sont les soft skills qui sont incontournables pour un candidat à vos yeux pour envisager son recrutement ?

Il est vrai que lorsque l’on parle de recrutement prédictif, on a tendance à focaliser sur le potentiel de performance, mais j’aimerai rajouter que le recrutement prédictif permet également de retenir le ou les candidats présentant le plus fort potentiel d’engagement.

Pour répondre à cette seconde question, il faut partir de notre besoin ou en tout cas de l’ambition du BHV. Quelle est-elle ? le BHV Marais en tant que grand magasin entend ré-enchanter la relation client et faire vivre à sa clientèle une expérience émotionnelle forte reposant sur le plaisir et la découverte.

Partant de là, il nous faut donc recruter des collaborateurs capables de créer ces émotions chez nos clients. Ce qui revient à dire, que nous recherchons des collaborateurs qui ont la passion du client, ou des caractéristiques personnelles telles que la bienveillance…Je vais même plus loin lorsque je m’adresse à mon équipe recrutement, en leur demandant de nous recruter des « gens qui aiment les gens ». Par exemple, lorsque nous recrutons un vendeur, peu importe qu’il ait été vendeur avant ou non, peu importe qu’il maitrise les techniques de vente. En revanche ce qui nous intéresse, c’est la chaleur qu’il dégage, sa bienveillance, des étoiles dans les yeux quand ils nous parlent des « gens ». Ces qualités naturelles sont innées chez un individu. On les a ou pas. Alors que la technique de vente, l’argumentaire sont des éléments que vous allez acquérir chez nous à travers un parcours d’intégration et de formation.

3/Depuis quand êtes-vous passé au recrutement prédictif et quelles sont les raisons qui vous ont poussé à changer vos modes de recrutement ?

Cela fait maintenant 18 mois que nous utilisons à plein régime le recrutement prédictif. Mais c’est un projet que nous avons démarré, il y a 3 ans. Il nous a fallu environ 6 mois de recueil et traitement des données ; et ensuite environ un an de calage.

A l’instant où j’ai découvert le recrutement prédictif, j’ai compris qu’il s’agissait de la solution dont le BHV avait besoin pour maintenir et préserver notre avantage concurrentiel : « le savoir être de nos vendeurs, hôtes de caisses et chargés d’accueil ».

Comme je vous l’expliqué plus haut, nous recherchons avant tout des « gens qui aiment les gens ». Et bien, vous conviendrez que ces caractéristiques n’apparaissent pas sur le CV et qu’il n’y a rien de plus subjectif qu’un entretien d’embauche. Par ailleurs, avec le recrutement traditionnel, nous recrutons un candidat sur son expérience passée. Or ce qui m’intéresse en réalité, n’est pas sa réussite passée, mais bien sa réussite future. Or le recrutement prédictif, parce qu’il se fonde sur les « talents naturels » nécessaires au succès du poste, permet de retenir le candidat qui présente le potentiel de réussite le plus élevé par rapport à notre besoin immédiat mais aussi en tenant compte de sa capacité à s’épanouir et donc être fortement engagé dans notre environnement.

4/ Quels changement profonds avez-vous constaté depuis dans vos processus de recrutement en terme de réactivité et fiabilité (raccourcissement du process, baisse du turn-over des nouveaux entrants, meilleurs résultats des nouveaux embauchés ?)

Tout d’abord, le recrutement prédictif, nous a permis de réduire les tâches administratives chronophages pour permettre à l’équipe recrutement de se consacrer à des tâches plus qualitatives et créatrices de valeurs.

Exemple : avec le recrutement traditionnel, vous devez commencer par trier les CV reçus (chaque année nous recevons environ 16 000 candidatures spontanées). Ensuite, vous procédez à un premier entretien téléphonique. Enfin, le candidat est convoqué à un entretien collectif. Avec AssessFirst, c’est simple : pour faire acte de candidature, il faut remplir le questionnaire en ligne. Un rapport d’adéquation est envoyé à l’équipe de recrutement ; et s’il obtient un taux d’adéquation supérieur ou égal à 60 %, il est alors convoqué à un entretien collectif.

Nous sommes passés, d’environ 45 à 30 jours pour recruter sur des postes de vendeurs.

Ensuite, AssessFirst nous a permis d’améliorer la qualité des candidats sectionnés.

Avec AssessFirst, nous sommes passés de 17 % de fin de période d’essai à notre initiative à 9 %.

Exemple : en mai 2016, à la suite de la signature d’un accord sur les ouvertures dominicales, nous devions recruter 15 managers de vente pour une prise de poste au 1er juillet, et sur un format de planification particulier (travail effectif les vendredi, samedi, dimanche et lundi). Au départ, nous avions fixé le taux d’adéquation à 60 %. Malheureusement, après avoir recruté 7 managers ayant un taux d’adéquation au moins égal à 60 %, nous avons été contraints de baisser ce taux d’adéquation pour le positionner à 50 %. Plus de 8 mois après, quand nous analysons les résultats obtenus par ces 15 managers de vente , nous constatons que ceux qui ont obtenu un taux d’adéquation supérieur à 60 % obtiennent des résultats supérieurs à ceux qui ont obtenu un taux d’adéquation compris entre 50 et 59 % que ce soit sur des indicateurs qualitatifs (enquête client mystère), que sur les indicateurs quantitatifs (CA réalisé).

5/Comment répondez-vous aux risques du clonage et du manque de diversité des candidats retenus par cette méthode ?

J’aimerais vous répondre par une question : quelle méthode tend à recruter des clones : la méthode traditionnelle qui consiste à ne retenir que des candidats qui ont les mêmes parcours (même milieu social, même cursus scolaire, même typologie de stage et d’expérience, même formatage…) ; ou une méthode qui repose sur les caractéristiques de personnalités de chaque candidat et on le sait chaque individu a sa propre signature identitaire.

Au contraire, aujourd’hui le recrutement prédictif nous permet de recruter des gens uniques qui partagent des valeurs communes et une seule et même envie : rendre heureux nos clients.

6/Quels seraient vos conseils pour les RH désirant passer à ce mode de recrutement et les différentes étapes à respecter, les risques à déjouer ?

Cette question est extrêmement importante. Elle est même déterminante. Si nous avons pu mettre en place le recrutement prédictif et avec ce succès, c’est parce que nous avions une connaissance approfondie de nos métiers et des compétences aussi bien techniques, que comportementales mise en œuvre par nos collaborateurs dans l’accomplissement de leurs missions. En effet, avant de mettre en place le recrutement prédictif, nous avions procédé à un énorme travail de cartographie des filières métiers et des compétences requises. Ce travail est un préalable indispensable. J’ajouterai aussi, que le recrutement prédictif n’est pas qu’un projet RH, c’est un projet d’entreprise impactant l’approche du recrutement et de l’intégration de l’ensemble des parties prenantes. Il s’agit donc d’embarquer aussi bien l’équipe RH, que les membres du comité de Direction que les managers ou encore les représentants du personnel. Si l’on devait retenir qu’une idée, c’est que le recrutement prédictif permet de mettre davantage l’humain au cœur de notre stratégie d’entreprise.

Conclusion

L'objectif du recrutement prédictif est très clair pour le BHV et vise avant tout à identifier le savoir-être de candidats afin de procurer aux clients un contact ré humanisé avec les vendeurs. Finit l'époque des vendeurs gris ou acariâtres pour celle de vendeur empathiques et bienveillants. Un sacré pari pour le BHV qui surprend par sa capacité à innover dans le domaine RH et nous surprendra peut-être demain dans les preuves qu'il pourra nous apporter du réel réenchantement de la relation client et vendeur.

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