L'inefficace ambidextrie de la fonction RH

Transférer les questions administratives, juridiques et comptables de la fonction RH vers les services compétents déjà existants au sein de l’entreprise ou vers des prestataires externes spécialisés lui permettrait de renouer avec son cœur de métier : l’humain. Mais ne risque-t-on pas d’ouvrir la boîte de Pandore qui mènerait au démantèlement du service RH ? Et si le véritable ennemi de la fonction RH n’était autre que sa dispersion liée à son positionnement polymorphe ? En s’obstinant à tout mener de front, de la réforme du travail à la révolution digitale, de la paie au développement des compétences, les professionnels RH ne signent-ils pas leur propre perte ? Le mouvement de transformation qui est à l’œuvre constitue sans nul doute une formidable opportunité de reprendre la main !


Quand la fonction RH court deux lièvres à la fois

L’ambidextrie de la fonction RH est-elle une nécessité absolue ou le berceau de son échec annoncé ? Pour caricaturer, la fonction RH a la main mise sur des considérations technico-fonctionnelles d’un côté, et de l’autre, des activités plus tournées vers l’humain. Ou plutôt,

  • d’une part des activités génératrices de moins-values potentielles (quand ces activités sont mal réalisées) ; des activités RH « véto » ;
  • d’autre part des activités porteuses de plus-value (quand ces activités sont bien réalisées), des activités RH « levier ».

On peut tout de même se demander si le fait de courir deux lièvres à la fois n’est pas au final plus nuisible à la fonction RH que bénéfique. Explications.

L’enquête « RRH, qui êtes-vous ? », menée par l’ANDRH et dévoilée en juin 2017, montre que ses missions exercées en priorité demeurent :

  • le développement RH,
  • la formation,
  • le disciplinaire,
  • le recrutement,
  • la gestion de carrière.

En toute fin de liste, on trouve l’administration du personnel. Cette dernière ne figure pas dans le Top 5 des activités majeures, mais cette mission n’en demeure pas moins gourmande en main d’œuvre, en énergie et en budget. Souvent 30 à 40 % des effectifs de la fonction RH sont dédiés au traitement des salaires et à l’ensemble des déclarations sociales et fiscales s’y rattachant. Si ces tâches de la fonction RH avaient le mérite d’être un vrai vecteur de plus-value, leur légitimité à rester dans son champ d’action serait incontestable. Or, on peut sérieusement douter de leur potentiel en la matière. Est-ce qu’une paie bien réalisée entraîne une plus forte performance salariale ? Une déclaration sociale bien remplie génère-t-elle de la motivation ? Comme la lessive qui lave plus blanc, peut-on faire une paie plus juste que juste ? La remettre en avance va-t-elle accroître la performance des collaborateurs ?

Transférer, déléguer et externaliser : nouveaux enjeux de la fonction RH

L’établissement des contrats de travail, l’administration des absences et des présences, la gestion logistique de la formation, le pilotage des entretiens, la gestion « en masse » du sourcing, etc. ont beau avoir une valeur fondamentale, bien réalisées, elles ne génèrent pas plus d’engagements de la part des collaborateurs, ni ne boostent leur créativité ou leur capacité à innover. En clair, elles ne jouent pas un rôle de levier de la performance. Et mal exécutées, elles peuvent même se révéler coûteuses pour l’entreprise, tout en donnant naissance à de l’insatisfaction et de la méfiance.

Alors, pourquoi ne pas purement et simplement faire scission ?

N’est-il pas pensable de déléguer l’ensemble des activités juridiques et légales à la direction juridique ? Rien que dans la formulation de cette question, il y a une forme d’évidence logique.

De basculer les activités administratives, fiscales et déclaratives vers la direction administrative et fiscale qui, on l’espère, porte bien son nom ?

Et in fine, s’entourer de partenaires externes dont c’est le métier pour gérer les activités dont la contribution à la valeur ajoutée globale de l’entreprise est nulle ?

Fonction RH en danger : ne nous trompons pas d’ennemi

J’entends au loin certains experts et praticiens tirer la sonnette d’alarme devant une externalisation totale des activités technico-fonctionnelles. Selon eux, se séparer de la gestion de la logistique de la formation reviendrait ou conduirait, à moyenne échéance, à faire une croix sur la formation dans sa globalité. Un scénario qui se répéterait pour chaque volet de la fonction RH : bulletin de paie /rémunération globale, sourcing / attractivité des talents, etc.

Le danger qui guette, c’est donc une fonction RH morcelée, dispatchée. Se dessaisir des missions chronophages et techniques reviendrait à la disparition de la fonction RH, une DRH diffractée. Et si pour une fois on regardait la délégation interne ou externe par le prisme de l’excellence ? En effet, l’idée est bien de confier des missions fondamentales à des spécialistes et non des missions accessoires aux premiers venus. Aussi, n’est-il pas préférable d’admettre que la DRH ne parvient pas à triompher sur l’ensemble de ses axes de prédilection (Expert administratif, Employee Champion, Business Partner, Strategic Partner) ? Et qu’au lieu d’être ambidextre, la fonction RH ressemble davantage à un droitier essayant désespérément d’écrire avec la main gauche, et inversement ? Le risque de perdre « les mains » sur la machine RH existe bel et bien. Mais il provient de cette persévérance irrationnelle à vouloir mener de front des missions polymorphes. In fine, c’est l’action globale de la fonction RH qui perd en crédibilité et en utilité. S’obstiner dans cette voie dispersive ne peut déboucher que sur la paralysie du système et l’absence de rayonnement de la DRH.

Des Ressources humaines vers des Relations humaines

Cessons de perdre du temps. Recentrer dès que possible les moyens et les ressources sur les missions de la fonction RH générant de la plus-value devient vital pour sa pérennité. Car à l’heure de la transformation accélérée de l’entreprise, les professionnels RH n’échappent en rien au dessein des autres corps de métiers : ils doivent affronter leur mutation de face et impérativement modifier leurs pratiques. Leur objectif : se focaliser sur les missions ayant un caractère stratégique. Cela signifie qu’ils doivent créer les conditions favorisant la motivation et l’engagement, accompagner les collaborateurs dans leur nouvel environnement de travail, mais aussi développer une culture de l’innovation, de l’expérimentation, du collaboratif et du collectif. La fonction RH a le choix entre disparaître, devenir un service de la direction des services généraux ou profiter de cette opportunité pour exister pleinement, au sein du Codir comme au sein de l’entreprise étendue.

Saisir cette balle au bond, c’est s’assurer un second souffle et une revalorisation de la fonction, aussi bien auprès des salariés que de la direction générale. A l’ère du HR Bashing, les Ressources Humaines peuvent réussir leur transformation en Relations Humaines. Remettre l’humain au cœur des actions, voilà le défi de la fonction RH.

Relevons ce challenge et reprenons notre destin en main ?