La notion de délégation est bien connue des entreprises : elle revient pour une autorité (une entreprise, un dirigeant, un manager) à transférer à un collaborateur une partie bien délimitée de ses responsabilités, et notamment de ses capacités d’action et de décision. Elle est en règle générale accompagnée d’un contrôle.

Qu’est-ce que le principe de subsidiarité ?

Le principe de subsidiarité est souvent confondu avec la délégation. Il consiste à considérer que toute responsabilité doit être assumée par le niveau directement confronté à la problématique à résoudre, les échelons supérieurs n’intervenant que si la réponse à donner excède les capacités du niveau évoqué.

Aujourd’hui mis en œuvre comme principe de management et d’organisation par des entreprises comme Danone ou Cofely Ineo, le principe de subsidiarité a été transposé à l’entreprise à partir des années 80. Il trouve son origine dans la pensée de Saint Thomas d’Aquin et chez plusieurs auteurs dont les réflexions ont influencé la rédaction de l’encyclique Rerum novarum de 1891, texte fondateur de la doctrine sociale de l’Église catholique. Il est surtout connu du grand public pour son application à une organisation complexe, l’Union Européenne.

Délégation et subsidiarité ont en commun d’être des formes d’autonomie, qui rapprochent pouvoir de décision et pouvoir de réalisation. Mais le principe même de la délégation est construit sur un postulat : la décision appartient au sommet, qui la concède par exception à la base. Alors qu’avec le principe de subsidiarité, au contraire, la décision appartient à la base qui ne fait appel au niveau supérieur que par exception.

La différence entre les deux approches n’est pas que d’ordre conceptuel. En effet, considérer par principe que la décision appartient aux acteurs confrontés aux enjeux, affranchis des lourdeurs des processus de décision des organisations bureaucratiques mais aussi du contrôle, est pleinement cohérent avec les logiques de transformation de l’entreprise qu’appellent les mutations actuelles.

L’approche du PDG du Groupe Michelin

Dans nos échanges avec Jean-Dominique Senard, PDG du Groupe Michelin, celui-ci nous exprimait il y a quelques mois son approche en la matière :

« Ce principe, qui recommande que les échelons supérieurs ne se substituent jamais aux échelons inférieurs dans les affaires dont ceux-ci sont capables de s’acquitter de leur propre initiative, pose en corollaire le devoir d’assistance des premiers vis-à-vis des seconds. Aide, et non substitution, c’est-à-dire développement des capacités des différents échelons à conduire leurs affaires de façon autonome. En d’autres termes, intervention en cas de nécessité, puis retrait.

Pour les concepteurs du principe de subsidiarité, il s’agissait de répondre à deux besoins essentiels : d’une part respecter la dignité humaine en donnant à chacun la possibilité d’exprimer la plénitude de ses talents ; d’autre part assurer la capacité de la cité à se gouverner efficacement en évitant de disperser l’esprit et la volonté des organes dirigeants dans des affaires qui n’étaient pas de leur niveau, au risque d’amoindrir leur capacité à prendre la hauteur nécessaire à un bon gouvernement.

On ne voit pas de raison de penser qu’un tel principe ne s’appliquerait pas à l’entreprise. Il s’y trouve à tout niveau une somme d’expérience qui inspire une confiance sans laquelle l’autonomie ne saurait être concédée. Un fort maillage managérial et de solides dispositifs de formation permettent la diffusion des valeurs professionnelles, des principes d’action et des buts de l’organisation. Dès lors, point n’est besoin de tout prescrire ni de tout contrôler a priori. Il suffit que chacun, bien intégré au sein d’équipes à la fois protectrices et stimulantes, reçoive les compétences et les autorisations grâce auxquelles il pourra s’acquitter des affaires de son niveau. »

Des expériences concrètes

Le Groupe Daher, équipementier dans l’aéronautique, considère que son développement passera par la décentralisation et la responsabilisation des collaborateurs. Il affirme vouloir faire vivre le principe de subsidiarité. Un large programme d’optimisation (Solution for Excellence and Empowerment by Daher) a été initié en son sein en 2015 pour garantir que les décisions soient prises au plus près du terrain. Dans l’esprit des dirigeants de Daher, il s’agit de délivrer en continu un produit ou un service qui satisfera au mieux le client dans des conditions optimales de sécurité, qualité, délai et coût. Les compagnons son responsabilisés afin qu’ils soient en capacité, au plus près du terrain, de prendre les décisions et d’améliorer les performances.

Un auteur comme Frédéric Laloux, dans son ouvrage récent, Reinventing organizations, décrit quant à lui plusieurs entreprises dans lesquelles les tâches habituellement dévolues aux fonctions support sont assurées pour l’essentiel en direct par les équipes. Une logique de subsidiarité s’applique : par défaut les équipes autonomes sont responsables de tout, sauf pour les sujets qu’elles décident elles-mêmes de transmettre aux fonctions centrales. Des équipes projet volontaires et dédiées peuvent être mises en place pour investiguer des sujets nouveaux.

Condition de réussite : accompagner la montée en responsabilité

L’entreprise est aujourd’hui confrontée à un impératif : dépasser une réalité dans laquelle de nombreuses réactions et décisions sont inadaptées parce que l’acteur en situation n’a pas les marges de manœuvre nécessaires et qu’il ne maîtrise souvent pas les compétences utiles pour décider de façon pertinente.

Le principe de subsidiarité constitue la réponse à cet impératif. L’entreprise considère alors qu’elle est composée d’individus responsables qui vont mobiliser au quotidien tout le potentiel ouvert par la liberté et l’autonomie qui sont les leurs, au service du projet collectif. Ce qui suppose que cette responsabilité soit comprise (enjeu d’information), acceptée (enjeu d’adhésion), maîtrisée (enjeu de compétence) et encouragée (enjeu d’incitation). Il s’agit d’entrer dans un monde d’adultes, dans lequel chaque collaborateur peut dire : « J’ai l’avenir de l’entreprise en partie entre mes mains. »

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