Maurice Thévenet définit la culture d’une entreprise comme « un ensemble de références partagées dans l'entreprise, consciemment ou pas, qui se sont développées tout au long de son histoire. »
Comment s’articulent culture et stratégie ? Une partie de la réponse à cette question réside dans leurs différences de temporalité. La stratégie s’inscrit généralement dans un horizon de temps de trois ou cinq ans, qui peut aller jusqu’à dix ans. La culture, construite tout au long de l’histoire de l’entreprise, se positionne naturellement sur des horizons de temps plus longs. Une autre différence en découle, sur la profondeur de leur ancrage et donc la facilité à les transformer. Certes la stratégie doit être portée par tous. Pour autant, l’entreprise peut décider d’en changer radicalement et vite. La tâche est moins aisée pour la culture. Ces éléments font que c’est bien la mise en œuvre de la stratégie qui s’inscrit dans un environnement constitué notamment par la culture de l’entreprise, et non le contraire.
Cette articulation explique que certains traits de la culture puissent devenir une contrainte dans la mise en œuvre de la stratégie. La force de la culture de certaines entreprises fait que celles-ci ont naturellement tendance à reproduire ce qui a fonctionné dans les périodes antérieures. En utilisant les mêmes schémas de pensée implicites, en adoptant spontanément des réponses familières, en figeant les comportements, en mettant en œuvre des routines sans même penser à les questionner. L’entreprise va s’enfermer sur une trajectoire. Les auteurs en stratégie parleront de « dépendance de sentier » pour évoquer ce conditionnement.
Cette réalité explique un certain nombre d’échecs stratégiques. Unilever a acquis en 2000 Amora, autrefois propriété du Groupe Danone, en voulant capitaliser sur l’agilité stratégique de cette marque et la diffuser à l’ensemble du Groupe. Mais quelques années plus tard, c’est bien la culture de recherche permanente du consensus existant depuis des décennies chez Unilever, qui a eu raison du positionnement stratégique d’Amora.
La réussite de la mise en œuvre d’une stratégie, a fortiori si elle est novatrice par rapport à la période précédente, suppose donc que l’entreprise soit capable d’analyser sa culture, puis d’identifier pour les faire évoluer les caractéristiques de cette culture qui pourraient constituer des freins.
Analyser la culture, donc en la décrivant de manière explicite et en identifiant ce que sont parmi ses caractéristiques celles qui constituent un atout pour la mise en œuvre de la stratégie et celles qui représentent un handicap. Cet exercice doit s’appuyer sur une démarche rigoureuse et approfondie permettant d’éviter les risques de simplification excessive. Rares sont les organisations qui se prêtent à l’exercice de façon complète. Réaliser l’exercice n’est pas simple. En accepter les résultats l’est encore moins. Se combinent pour l’entreprise les difficultés à avoir du recul sur ce qu’elle est et à accepter le regard critique. Je garde un souvenir douloureux de la réaction de cette entreprise dont j’avais analysé la culture. Dans l’ensemble des caractéristiques que j’avais identifiées, une constituait un handicap : l’entreprise adoptait systématiquement des comportements très masculins, ceci alors que 60% de ses clients étaient des femmes. La réaction de mes interlocuteurs fut violente, avec un déni complet. Quelques mois plus tard, l’entreprise recevait en une seule journée 6 000 appels de clientes mécontentes : dans le catalogue qu’elle venait de diffuser massivement, sur une vingtaine de photos de personnes en situation d’utilisation de ses produits, une seule femme apparaissait.
Une fois la culture décrite et analysée, la seconde étape va consister à transformer les caractéristiques de cette culture qui pourraient handicaper la mise en œuvre de la stratégie. Il s’agit de rendre possible et de faciliter ce qui à défaut butterait sur ces freins. Cette transformation d’un trait culturel nécessite un travail de fond, parfois de longue haleine. Avec deux facteurs clés de réussite : travailler les réponses avec les intéressés, le faire en les confrontant au concret.
Quelles sont les principales évolutions de leur culture recherchées aujourd’hui par les entreprises ? Nombreuses sont celles qui souhaitent développer l’orientation client de leurs collaborateurs. Au-delà d’un discours omniprésent sur la satisfaction du client, les cultures d’entreprise sur cette dimension et les pratiques effectives qui en découlent sont de qualité très différente. Etre centré sur la satisfaction client, faire passer sa fidélisation avant le gain commercial immédiat est pourtant un levier extraordinaire. Quand, dans un secteur donné, une entreprise fait au quotidien la différence avec ses concurrents sur la qualité du service au client, elle en tire des bénéfices durables.
Les entreprises qui veulent transformer leur culture sur cet aspect peuvent parfois s’appuyer sur une interface très développée avec les clients, comme dans le secteur de la distribution où une large majorité des collaborateurs de l’entreprise est en contact permanent avec les clients. Ainsi des enseignes aussi différentes que Lacoste et Chantelle ont-elles dû travailler cette dimension : dans les deux cas, leur historique de fabricant et non de distributeur avait contribué à centrer la culture de l’entreprise sur le produit plus que sur le client.
L’enjeu est de rendre le client final visible pour tous, de mettre en évidence l’impact client de chaque action ou projet, d’utiliser systématiquement les feedbacks des clients pour progresser. Europcar et The Phone House ont fortement développé cette culture client il y a quelques années en mobilisant leurs collaborateurs pour interroger les clients sur la qualité du service apportée, avec une démarche « Net Promoter Score. »
Le développement d’une culture centrée sur la satisfaction du client peut contribuer à traiter plusieurs dérives. Celle de l’entreprise conflictuelle, dans laquelle les représentations mentales du corps social sont basées sur des antagonismes : l’introduction du client final comme acteur majeur permet de transformer le climat social. Celle de l’entreprise lourde, centrée sur ses processus et techniques internes : l’introduction du client final comme acteur majeur permet de la débureaucratiser. Celle de l’entreprise au fonctionnement très politique, centrée sur ses enjeux de pouvoirs et de territoires : l’introduction du client final comme acteur majeur permet de réorienter ses modes de fonctionnement.
Autre transformation culturelle majeure impulsée par de nombreuses entreprises : le renforcement de la culture de performance. Certes, toutes les entreprises recherchent la performance. Pour autant le sens du résultat est plus ou moins bien intégré selon les organisations. Une entreprise comme RTE, Réseau de Transport d’Electricité, a radicalement transformé sa culture sur cette dimension en quelques années. L’entreprise a enrichi sa culture métiers d’une dimension forte de recherche de la performance, sans tensions sociales ni pression sur ses agents.
L’entreprise peut aussi vouloir internationaliser sa culture, notamment lorsque son développement passe par la dimension internationale. L’entreprise devra alors s’interroger sur l’articulation entre sa culture d’entreprise et les cultures nationales. Les caractéristiques de sa culture sont-elles toutes compatibles avec les cultures des pays où elle veut se développer ? Quel est le cadre culturel commun qui doit être déployé partout et quelle est la marge de manœuvre laissée localement ? C’est faute d’avoir répondu à ces questions qu’aucun acteur français du secteur de la distribution n’a réussi à s’implanter durablement sur le continent américain.
Ces trois transformations de la culture, orientée client, centrée sur la performance, internationalisée, se révèlent parfois indispensables pour que la stratégie de l’entreprise puisse être mise en œuvre.
Newsletter RH info
INSCRIVEZ-VOUS !