Article co-écrit avec Ludovic Taphanel

Face aux modes managériales : le DRH un chasseur de tendances ?

On retrouve des modes managériales dans tous les départements de l’entreprise, à chaque étage de l’organigramme. Bien que celles-ci puissent se montrer porteuses de bénéfices pour les collaborateurs, elles peuvent également se révéler hautement dommageables pour l’entreprise. Qui pour modérer un éventuel abus et comment procéder ? Le DRH est selon nous l’acteur le mieux positionné pour détecter ces phénomènes et réguler leur usage au sein de l’organisation.

Le DRH face aux modes

A tous les niveaux d’une organisation, les acteurs font le jeu des modes managériales. Les salariés tout d’abord car la flexibilisation accrue des parcours professionnels les amène à gérer leur carrière par eux-mêmes. Et cette prise en main individuelle les incite à muscler leur CV via un ensemble de mots-clefs à la mode susceptibles d’améliorer leur employabilité sur le marché.

Les managers, ensuite, car ils voient dans les modes managériales un moyen efficace de légitimer leur position en démontrant qu’ils recourent à des outils innovants générateurs de résultats éloquents. Il apparaît en effet plus aisé d’obtenir l’aval de la direction et de fédérer son équipe par le biais d’une feuille de route standardisée, validée par les acteurs clefs du marché.

Le comité de direction, enfin, dans la mesure où une mode managériale permet de rassurer les actionnaires en démontrant qu’il recourt aux méthodes les plus récentes pour atteindre les objectifs fixés. En témoigne, l’accueil généralement positif que réservent les actionnaires aux entreprises qui déploient des politiques de transformation digitale.

Pour toutes ces raisons, l’organisation se retrouve en prise avec des modes managériales qui servent les intérêts individuels des collaborateurs, sans pour autant garantir ceux de l’entreprise.

Instrumentaliser les modes managériales : une conduite à risque

Au-delà des multiples bénéfices politiques qu’un acteur peut tirer du conformisme, il demeure néanmoins délicat pour une entreprise de subordonner sa stratégie à un phénomène dont on ignore la pertinence et l’impact à moyen terme. La sanction du marché peut en effet se révéler sévère comme en témoigne l’effet de la matrice BCG. En 1972, soit deux ans après le lancement officiel de la matrice de portefeuille, 100 multinationales américaines en avaient adopté une. Et, six ans plus tard, 75% des firmes du fameux classement Fortune 500 emboîteront le pas. Moult études ont pourtant démontré depuis que les entreprises ayant eu recours aux matrices ont obtenu de moins bons résultats que les autres. Et il ne s’agit ici nullement d’un cas isolé : depuis près d’un siècle de multiples pratiques se sont succédé à intervalles plus ou moins réguliers pour venir orienter – de façon significative – le fonctionnement des entreprises du monde entier.

DRH : triez le bon grain de l’ivraie !

Le DRH est probablement l’acteur le mieux placé pour cerner et réguler l’usage des modes en entreprise. Voici trois réflexes qu’il pourrait à cet égard adopter pour gérer au mieux les phénomènes de modes managériales : repérer les modes, interroger leur genèse et oser dire non.

1- Repérer les modes. Le DRH dispose en effet d’une place de choix pour détecter les phénomènes de mode. Les nouvelles demandes en formation, les offres de formateurs externes, les nouveaux critères de recrutements, les profils et compétences plébiscités en interne sont autant de signaux faibles, de faisceaux d’indices, qui doivent être recoupés pour détecter et identifier si l’entreprise est soumise, ou non, à un phénomène de mode.

2- Interroger la genèse de la mode. Une mode managériale naît au sein d’un contexte particulier qui peut se révéler orthogonal à celui de votre entreprise. Le lean management, par exemple, est le produit du toyotisme dans un contexte japonais d’emploi à vie et d’un corps social orienté sur les réalisations collectives. Appliquer ce mode d’organisation au sein d’une entreprise où l’activité se nourrit d’expertise individuelle, dans un contexte de turn-over élevé, pourrait dès lors se révéler contre-productif. Il impose en conséquence au DRH d’apprécier si la mode identifiée est réellement en mesure de répondre aux problématiques de l’entreprise.

3- Oser dire non ! Le DRH, en tant que garde-fou, doit être en mesure d’endiguer l’essor d’une mode managériale préjudiciable à l’entreprise. Pour ce faire, il ne doit pas rester seul. Toute mode managériale possède ses détracteurs. L’objectif ici est de les identifier en interne, comme en externe, et d’en faire des alliés. Ils auront sans doute des retours d’expériences édifiants que le DRH pourra alors utiliser pour contrer, si besoin, le déploiement de la mode identifiée.

Il nous semble en d’autres termes que le DRH doit être l’acteur du discernement, en éveil constant, face à ces phénomènes mimétiques possiblement néfastes pour l’entreprise. Il doit, malgré les forces environnantes qui poussent à l’adoption, réguler les phénomènes de modes en interne, c’est à dire, endosser le rôle de chasseur de tendances : apprendre à les reconnaître tout en étant capable de les mettre à distance. Le DRH renouerait alors avec son rôle initial de méta-manager, soucieux de la culture, de la politique et des outils managériaux en vigueur dans l’organisation. Il importe toutefois de souligner qu’en dépit de l’urgence stratégique que revêt une telle responsabilité, la donne est fortement complexifiée par le fait que le DRH, lui-même, malgré sa position privilégiée, n’est pas toujours insensible aux sirènes des modes managériales…