« Tous DRH ! » Rarement pareille affirmation, titre du livre de Jean-Marie Peretti paru en 1996, a-t-elle rencontré autant de succès dans l’entreprise. La gestion des hommes est une activité partagée entre managers et structure RH. Il est presque surprenant qu’il faille le rappeler à certains responsables RH, qui adoptent vis-à-vis des managers une « posture de gendarme ».

Le manager, premier RH

Au commencement étaient le collaborateur et le manager : dans les premiers temps de l’entreprise, il n’y a pas de DRH. Un administratif se charge de la paie et autres obligations découlant de l’emploi de salariés. Quant aux aspects dynamiques de la GRH, ils sont entièrement assurés par le dirigeant et les managers. Ce n’est qu’au-delà d’un certain effectif que l’entreprise va centraliser certaines de ces activités sur un responsable RH. La gestion des hommes est donc bien une activité relevant originellement du manager, que l’entreprise peut décider de transférer pour partie à une structure spécialisée. Il est important de l’avoir à l’esprit, notamment lorsque certains managers se plaignent de ce que la structure RH se décharge sur eux de ses responsabilités.

« Le manager, premier RH » doit rester vrai, quelles que soient la taille de l’entreprise et la structuration de la fonction RH. Pour une raison très simple : pour un collaborateur, son manager est l’acteur de proximité. Dans la plupart des organisations, il est celui qui le connaît le mieux, qui travaille au quotidien à ses côtés, qui échange avec lui régulièrement. Il est en position pour cela.

Il faudrait des effectifs pléthoriques à la fonction RH, ce que personne n’imagine, pour assurer cette relation de proximité. Un grand groupe pétrolier en a fait la malheureuse expérience. Devant les limites des pratiques de ses managers en matière de gestion des carrières, ce groupe a décidé de les décharger de toute responsabilité en la matière. Une fonction de « gestionnaire de carrières » a été créée en central, supposée assurer l’entièreté de cette activité. Dix postes ont été créés. Puis cinquante. Pour finalement, une fois l’effectif de deux cents gestionnaires de carrière atteint, réaliser enfin qu’il s’agissait d’un puits sans fond.

La valeur ajoutée de la fonction RH

Faut-il pour autant considérer que le manager peut continuer à assurer l’entièreté de la gestion des hommes quand l’entreprise grandit ? Qu’une structure RH est inutile ? Ou tout au moins qu’il est possible de s’en passer ?

Après une période de professionnalisation accélérée de ses pratiques RH jusqu’en 2004, puis de rationalisation à l’extrême, un grand groupe de la distribution spécialisée a décidé en 2007 de supprimer sa DRH Groupe. Elle a certes recréé le poste de DRH en 2010, mais avec pour seule fonction des activités de représentation extérieure, puis l’a à nouveau supprimé. Le bilan qui peut être tiré de ces choix plusieurs années après est assez désolant : l’absence totale d’ambition vis-à-vis des hommes et de toute initiative marquante a ouvert la voie aux dérives de certains managers défaillants, qui se sont multipliées.

Sacrifier la structure RH, que ce soit pour supprimer les coûts afférents, pour des raisons de principe quasi « idéologiques » ou parce que celle-ci ne produit pas ce qui est attendu, conduit à renoncer à la valeur ajoutée qu’elle peut créer.

A l’inverse des deux illustrations malheureuses développées ci-dessus, de nombreuses entreprises ont construit l’articulation entre ces trois acteurs que sont le collaborateur, le manager et le responsable RH en clarifiant ce qu’est la contribution de chacun et ce qui est attendu de ces interfaces.

La relation fondamentale est celle qui existe entre le collaborateur et son manager, du fait de la proximité. Ce dernier fait vivre les dispositifs RH de l’entreprise, que ceux-ci relèvent de la gestion de la performance du collaborateur ou de son développement, parce qu’il en a compris et intégré le pourquoi et la valeur ajoutée. La relation entre le responsable RH et le manager est une relation d’accompagnement, presque de « coaching » pourrait-on dire si ce terme n’était utilisé à toutes les sauces. Aux côtés du manager, le praticien RH contribue à ce que sa pratique se bonifie. Il peut enfin constituer un recours pour le collaborateur.

Quelle répartition des responsabilités ?

Dans la répartition des responsabilités entre manager et praticien RH, le parallèle peut être fait avec la fonction Qualité. Dans les années soixante, lorsque les entreprises ont pris conscience que la qualité de leurs produits pouvait poser problème et qu’elle devenait un enjeu concurrentiel, elles ont mis en place une fonction Qualité. Cette structure dédiée avait la responsabilité entière de la qualité finale des produits, avec une démarche basée sur le contrôle. Elle a permis de progresser, tout en grossissant en effectif de façon parfois alarmante, mais la qualité n’était toujours pas au niveau attendu. C’est alors qu’ont été initiées les démarches de qualité totale, ayant pour objectif de mobiliser et d’impliquer toute l'entreprise sur les enjeux qualité à tous les stades de la production, avec des résultats probants. Aujourd’hui, les entreprises ont intégré que pour répondre à leurs enjeux de qualité, il est indispensable que tous les acteurs soient porteurs de ces impératifs. La structure qualité est alors limitée en taille, elle sert d’aiguillon à l’ensemble des acteurs sur cette thématique.

De la même façon, les entreprises dont les pratiques de gestion des hommes sont les plus appréciées et les plus performantes sont celles dont les managers ont pleinement intégré les logiques RH, compris leur raison d’être, et développé une pratique qualitative, avec une structure RH qui sert d’aiguillon et aide à faire, sans faire elle-même.

Pour de nombreuses entreprises, il s’agit d’une cible plus que d’une réalité. Mais progresser vers la cible suppose que le praticien RH accompagne le manager et le fasse grandir dans sa pratique, pas qu’il se substitue à lui. Cela suppose également que les outils mis à la disposition des managers n’ont pas été construits en partant du postulat que ceux-ci vont mal faire, avec des contrôles et sécurités à tous les niveaux, mais au contraire de la conviction que le manager va bien faire, en l’accompagnant quand nécessaire. Cela suppose enfin que les managers ont été formés sur le pourquoi des pratiques attendues et des outils mis en place, pas seulement sur les outils eux-mêmes.