La convention collective dans l'ordonnancement des sources du droit du travail
Quels liens entretiennent les accords et conventions collectives avec les autres sources juridiques en droit du travail ? Pendant longtemps, le rapport était régi par un principe qui fut celui de « faveur ». Mais, depuis de nombreuses années, ce principe a connu moult entorses, au point que l'on assista à un ébranlement de ce principe.
En vérité, ce que promeut l’actuelle réforme du Code du travail, c’est une certaine primauté des conventions et accords collectifs d’entreprise sur celles de branche. Un tel mouvement est le fruit d’une évolution longue et lente, tortueuse et insidieuse. Tout cela mérite un éclaircissement pour ainsi mieux comprendre quelles normes se doivent d’être appliquées au sein d’une entreprise, perdue parmi les nombreuses normes qui régissent les conditions de travail.
I) Un principe primordial : le principe de faveur
Il faut distinguer ici deux cas ou le principe de faveur fait son œuvre : les rapports qu’entretiennent la loi et les normes collectives au cours des situations ou des conflits naissent entre les sources pros (que sont celles entre conventions collectives), et l'articulation entre les normes collectives et le contrat de travail.
A) Les rapports entretenus entre la loi et la convention collective
Il relève de l'art L .1251-1 du contrat de travail : « une convention ou un accord collectif peut comporter des stipulations plus favorables au salarié que les dispositions légales et réglementaires en vigueur. Ils ne peuvent déroger aux dispositions qui revêtent un caractère d'ordre public ».
L’article s’analyse ainsi. Premièrement, « la convention ne peut déroger aux dispositions ayant un caractère d'ordre public ». On vise ici un noyau de dispositions législatives qui sont des dispositions d'ordre public, qualifiées en droit du travail comme étant d'ordre public absolu. C’est-à-dire des dispositions auquel les parties à une convention collective ne peuvent en aucun cas déroger, même dans un sens plus favorable aux salariés.
Quels sont les contours de cet ordre public absolu ? Un avis du Conseil d’Etat en date de Mars 1973 nous éclaire. Il y est dit que « s'impose de façon absolue d'une part, les textes qui débordent du domaine du droit du travail et d'autre part, les principes ou règles concernant des avantages ou garantis échappant par nature aux rapports conventionnelles ».
Le Conseil d’Etat fournit quelques exemples : une convention collective ne peut contenir une clause qui prévoirait que le conseil des prud'hommes n'est plus compétent en matière de litige individuel du travail. Une convention collective donc ne peut prévoir que la violation de tel ou tel stipulations sera pénalement sanctionné. Une convention collective ne peut pas déterminer la compétence des agents publics.
« Une convention ou un accord collectif peut comporter des stipulations plus favorables au salarié que les dispositions légales et réglementaires en vigueur ». Il y est signifié que, lorsque l’on met de côté les dispositions relevant de l'ordre public absolu, les autres dispositions législatives et réglementaires peuvent être améliorer et ce, par voie de convention collective.
L’ordre public ici est régi par le principe de faveur. Cet ordre public régi par le principe de faveur constitue des dispositions qui peuvent aller dans un sens plus favorable aux salariés à travers une convention collective. Cet ordre public est nommé l'ordre public social.
Pour illustrer cela, la Cour de cassation en date du 3 Février 1993 a admis la possibilité pour une convention collective de limiter le pouvoir de licencier de l'employeur. La convention stipulaire le que constitue une cause réelle de licenciement uniquement les suppressions d'emploi, les fautes disciplinaires et la réduction du personnel. Aussi étonnant que cela puisse paraitre, ceci était parfaitement légale alors que la législation en matière de licenciement est d’ordre public. En revanche, conformément au principe de faveur, cela est possible.
En effet, ces dispositions font partie de l'ordre public social, donc, des dispositions qui peuvent aller dans un sens plus favorable aux salariés que la loi ou les règlements.
L'arrêt rappelle de plus que, ces normes sont bien d'ordre public, mais que, s’inscrivant dans le cadre de l'ordre public social, une stipulation d'une convention collective ne peut être opposer a un salarié si elle est moins favorable au salarié par rapport aux dispositions de la loi.
Il faudra donc comparer la convention collective et les dispositions légales pour savoir quelle norme est la plus favorable. La jurisprudence considère que la comparaison doit s'effectuer au regard de l'intérêt individuel du salarié concerné. Il faudra donc que la comparaison se fasse avantages par avantages, ayant la même cause ou le même objet. Au contraire, les avantages n’ayant pas la même cause ou le même objet sont des avantages qui se cumulent pour le salarié concerné.
Il faut retenir que, le principe de faveur n'a pas de valeur constitutionnelle. Il constitue donc un principe fondamental en droit du travail aux yeux de la Cour de cassation. Aux yeux du Conseil d’Etat, c'est un principe général en droit du travail. Il y’a donc des discordances de qualification entre le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation. Malgré ces incertitudes, ce principe à une force particulière. En effet, ce principe n’a pas eu qu’une influence dans la relation entre la loi, les dispositions règlementaires et les normes collectives, mais il aussi eu un impact lors des situations de conflits entre les sources professionnelles.
B) Les situations de conflits entre les normes en droit du travail
Dans un tel cas, on observe des conflits entre des normes collectives conclues à différent niveaux.
A titre d’exemple, le conflit entre une convention de branche applicable dans l'entreprise et une convention d'entreprise : ici, la convention d'entreprise ne peut prévoir normalement des dispositions moins favorables aux salariés que ceux ayant la même cause et le même objet dans la convention de branche. En revanche, la convention d'entreprise peut prévoir des dispositions plus favorables que celle de branche.
Il peut aussi exister un conflit entre deux conventions de branche conclus dans une même branche, mais dont le champ d'application est distinct : la convention de branche de la métallurgie nationale avec une convention de branche régionale de la métallurgie. Ici, normalement, la convention de branche dont l'application est le moins large ne peut contenir des dispositions moins favorables aux salariés que la convention ayant le champ d’application le plus large.
L'inverse reste tout à fait possible. Il va falloir donc comparer les stipulations de chacune des conventions. Il en ressort que ces comparaisons s'effectuent de manière semi-analytique. Il faudra donc faire une comparaison entre catégories d'avantages ayant la même cause ou le même objet, ces catégories ne se cumulant pas.
La Cour de cassation considéré que, seules les catégories d'avantages issues de l'une ou de l'autre des conventions en conflit s'appliquent donc, celles plus favorables aux salariés.
La CDC ajoute que, ces comparaisons entre la même cause et le même objet se fait au regard de l'ensemble du personnel et non au regard de tel ou tel salarié pris individuellement comme dans le rapport entre la loi et la convention collective.
Il faut une mise au point à propos des situations ou s'applique le principe de faveur. En effet, pour que s'applique un tel principe, il faut une situation de conflit entre conventions collectives.
Cependant, depuis la loi Fillon du 4 Mai 2004, la loi du 20 Août 2008 au sein du volet sur le temps de travail et surtout, depuis la loi Travail du 8 Août 2016, les rapports entre conventions conclus à des niveaux différents ne sont plus agencés dans leur application au regard d’un conflit éventuel. Il est ainsi en raison du fait que, diverses dispositions issues de ces lois admettent que la convention conclus a un niveau supérieur puisse disposer d’un caractère supplétif par rapport à un convention collective conclu à un niveau inférieur (une convention d'entreprise par exemple).
C’est-à-dire que, si une convention d’un niveau inférieur ne traite pas d’un sujet que la convention supérieure a traité, c’est la stipulation présente dans la convention d’un niveau supérieur qui s’applique. Au contraire, si les deux conventions ont émises des stipulations portant sur le même sujet, la convention d’un niveau supérieur s’écarte pour laisser celle d’un niveau inférieur. La convention collective d'entreprise prévaut sur celle de branche.
Ils existent aussi des conflits entre une convention collective et d’autres sources professionnelles de nature différentes. Ici, on vise les situations de conflits entre les usages d'entreprise et engagements unilatéraux de l’employeur avec une convention collective.
Aux yeux de la Cour de cassation, si une de ces sources professionnelles seraient entrées en vigueur postérieurement à une convention collective, ces sources professionnelles ne peuvent avoir des dispositions moins favorables aux salariés que celles issues de la convention collective.
C) L'articulation entre le contrat de travail et la convention collective
L’article L.2254-1 du Code du travail énonce que « lorsqu'un employeur est lié par les clauses d'une convention ou accord collectif, ces clauses s'appliquent aux contrats de travail conclus avec lui sauf stipulations plus favorables ». Par conséquent, si le contrat de travail contient une stipulation plus favorable que la convention ou accord collectif, l'article L.2254-1 ouvre aux salariés la possibilité de prendre appui sur leur contrat pour résister à l'application de la norme collective.
Dans le cas où l'employeur se déciderait d'appliquer malgré toute la norme collective, cette situation s'analysera comme une proposition de modification du contrat de travail qui requiert un accord du salarié. Ainsi, si le salarié refuse la modification, l'employeur pourrait alors engager une procédure de licenciement. Un tel licenciement ne peut se faire que selon une cause économique légitime.
La difficulté que soulève l’article L.2254-1 découle du mode de comparaison entre les stipulations de la norme collective et celles du contrat de travail. Pour apprécier qui est le plus favorable, la comparaison se fait au regard de l'intérêt individuel du salarié. La comparaison se fait catégories d'avantages par catégories d'avantages, ayant la même cause ou le même objet.
Cependant, il est possible que le caractère plus ou moins favorable entre les stipulations du contrat de travail et celle de la convention collective ne soit pas établi. Dans une telle situation, certaines décisions de la Cour de cassation ont pu laisser penser que, le salarié pouvait mettre en avant son contrat de travail pour refuser l'application de la convention collective et ce, même que le caractère plus favorable de la stipulation contractuelle ne serait pas objectivement établi.
Toutefois, la Cour de cassation semble avoir une autre lecture de l’article L.2254-1. En effet, la résistance du contrat de travail face à la norme collective est subordonnée à l'existence d'une stipulation contractuelle avérée plus favorable. Deux arrêts du 13 Novembre 2001 et du 27 Juin 2002 mettent cela en avant.
L’arrêt du 27 Juin 2002 exprime, en premier lieu qu'un accord collectif ne peut modifier un contrat de travail. La Cour de cassation précise que seules les dispositions plus favorables d'un accord collectif peuvent se substituer aux clauses du contrat de travail ». Donc, si la rémunération d'un accord collectif qui moins favorable pour le salarié que celle prévue par le contrat de travail les dispositions de l'accord collectif ne s'appliqueront pas. La Cour de cassation justifie une telle résistance du contrat de travail en se basant sur le caractère moins favorable de l'accord par rapport au contrat. Le principe de faveur semble s’appliquer. Par conséquent, seules les stipulations plus favorables du contrat de travail permettent au salarié de résister à l'accord collectif. Si ce n'est pas le cas, la convention aura effet impératif.
Un arrêt postérieur fait en revanche poindre un doute. Un arrêt en date du 28 Septembre 2010 à propos d’un accord collectif qui prévoyait une modulation du temps de travail. La Cour de cassation a admis que, l'instauration de cette modulation par un accord est une modification du contrat de travail, qui requiert donc un accord du salarié.
La Cour de cassation décida ainsi, sans mettre en avant le principe de faveur. En effet, pour justifier une telle décision, la Cour de cassation prend appui sur le fait que, la modulation prévue du temps de travail n'entraine pas un simple changement des horaires de travail mais impose une variation des durées du travail selon les périodes de l'année. La Cour ajoute que ses variations entrainent nécessairement une modification des déterminations des heures supplémentaires et donc de la rémunération par ricochet. La modification du mode de rémunération est une modification du contrat de taf qui requiert donc un accord du salarié et ce, indépendamment du caractère avéré plus favorable du contrat de travail.
Finalement, par une loi du 26 Mars 2012, dite loi Varsmann, la solution de la Cour de cassation est devenue caduque. Cette loi dispose que, la mise en place par accord d'une modulation du temps de travail, sur une période supérieur à la semaine et en plus égale à l'année ne constitue pas une modification du contrat de taf. Un salarié ne peut donc refuser l'application de la convention car, il sera licencié pour faute. Cette loi ébranle ainsi le principe de faveur et ce, même dans les rapports entre la convention collective et un contrat de travail.
Une dernière difficulté est à soulever. Il est possible que le contrat de travail n'ait pas de stipulations plus favorables que celles présentes dans l'accord collectif. Ici, l’accord s’appliquera de préférence au contrat de travail que si l'avantage qu'il prévoit a la même cause ou le même objet que celui issu du contrat de travail.
Pour illustrer cela, la Cour de cassation le 13 Juin 2012 estima que, n'avait pas le même objet, le 13ème mois prévu par le contrat de travail d'un salarié, en tant que modalité de règlement d'un salaire mensuel payable en 13 mois. Donc, si la gratification de 13ème mois n'a pas le même objet que la gratification prévue dans l'accord collectif, le 13 mois prévu dans le contrat de travail s’applique, même après l'entrée en vigueur de l’accord collectif.
Aujourd'hui donc, les rapports entre la convention collective et les autres sources du droit du travail peuvent être examiné à l'aune du principe de faveur. Cependant, ce principe de faveur est secoué.
Le principe de faveur est en effet ébranlé depuis de nombreuses années par les diverses réformes législatives, faisant basculer la négociation collective vers le champ de l’entreprise.
Nous aborderons dans nos deux prochains articles :
II) Un principe qui chavire : l'ébranlement du principe de faveur
III) Les rapports entre conventions collectives
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