Un nouvel « hashtag » est apparu récemment dans notre monde délicat, entre « Paris2024 » et « balancetonporc » : il suggère la chasse aux DRH. Les réseaux sociaux facilitent les lynchages, d’autant plus aisés qu’ils exigent peu de courage de ceux qui gagnent à bon compte la satisfaction d’exprimer une opinion et de faire un grand acte militant.

Il faut dire que les DRH ont l’habitude de servir de boucs émissaires faciles : films, ouvrages aux titres racoleurs et confessions larmoyantes dans les émissions de la télédénonciation nationale sont une constante, un « marronnier » comme on dit dans le vocabulaire de la presse. La relecture de René Girard est un exercice qu’il ne faut jamais cesser de refaire. Comme annonciateurs de mauvaises nouvelles (on oublie les bonnes), comme représentants de tout ce qui semble difficile dans la vie du travail (il n’y aurait rien de bon), ils présentent tous les signes victimaires d’un bouc émissaire facile. Ce qui est bien ou normal, c’est grâce aux autres et le reste est de leur faute. De là à les empêcher de les réunir pour produire du médiatique pas cher, il n’y a qu’un pas souvent franchi. Ce n’est malheureusement pas la sortie bienvenue d’un récent ouvrage contre le « DRH-bashing »[1] qui devrait y changer quelque chose.

Remarquons que les DRH sont aussi des boucs émissaires faciles à l’intérieur des entreprises. Régulièrement depuis trente ans on entend que le seul DRH est le manager et que l’idéal de l’épanouissement (ou de la libération) de l’entreprise, c’est la disparition des DRH. On enseigne le leadership plutôt que les ressources humaines et on sacrifie à l’illusion technocratique de la transformation numérique pour passer sous silence les aspects humains des organisations. La fonction RH n’est pas la plus prisée par l’entreprise, aussi bien par les salariés que par les autres fonctions.

Pourtant, il est possible de reprendre confiance car tout ne va pas dans le sens d’un affaiblissement de la fonction, pour autant que l’on ne se laisse pas dominer par l’apparence médiatique des choses. Un article récent, sans se focaliser sur les RH, en vient à « prouver » leur importance en utilisant les neurosciences ! Il ne s’agit donc plus de vagues considérations humanistes sur l’importance de la fonction, de ces approches souvent considérées comme faibles et peu solides, mais des neurosciences qui citent suffisamment de mécanismes physiologiques compliqués pour nous faire oublier les considérations de bon sens anthropologiques dont l’ancienneté saperait forcément la pertinence.

Ces spécialistes des neurosciences[2] s’intéressent en fait à la confiance, à ce qui se passe de magique entre deux personnes qui en viennent à ne pas se craindre l’une l’autre et à entamer une relation de confiance. Leur hypothèse de départ considère qu’il devrait exister un signal neurologique indiquant à la personne qu’elle peut faire confiance à l’autre. L’hypothèse est intéressante car il est parfois curieux de reconnaître pourquoi nous sommes plus ou moins prompts à faire confiance, quand on sort de l’hypothèse un peu trop lâche des déterminants sociaux (proximité culturelle, sexuelle, éducationnelle) qui pourraient y conduire. En effet les spécialistes ont repéré chez les rongeurs que l’ocytocine enverrait à l’animal le signal qu’un autre, sûr, est en train d’approcher : cette ocytocine serait donc un marqueur de confiance. Une expérience est alors conduite chez les humains qui permet de montrer que plus on témoigne de la confiance à la personne, plus elle va produire d’ocytocine et plus elle produit de cette substance, plus elle va être disposée à témoigner en retour de la confiance. Les chercheurs s’intéressent alors aux situations managériales pour proposer l’idée que 8 comportements managériaux contribueraient à de la production d’ocytocine et généreraient donc de la confiance.

L’article développe ces huit comportements managériaux et le lecteur réfléchi y retrouve rapidement trois catégories de comportements qui relèvent de trois préoccupations managériales de fond pour l’entreprise : l’organisation du travail, le management et … la gestion des ressources humaines.

La première catégorie fera plaisir à tous les tenants de l’entreprise libérée ou de l’organisation du travail car deux comportements managériaux en relèvent. D’une part les managers doivent laisser aux personnes de la latitude sur la manière de faire leur travail ; par exemple les responsables de projets et d’activités doivent avoir suffisamment d’autonomie pour gérer les personnes et les modes opératoires de conduite de leur projet. L’idée est assez simple puisque l’autonomie est censée contribuer à l’innovation et à l’appropriation par la personne de son travail. D’autre part, en poussant ce principe d’autonomie plus loin, les auteurs suggèrent qu’un comportement managérial conduisant les personnes à définir les contours de leur travail pour aller même jusqu’à les laisser fixer leurs propres missions et objectifs contribuerait aussi à développer la substance magique.

La deuxième catégorie fera plaisir aux tenants du management, à ceux qui considèrent que tout réside dans la mission des managers de terrain ou dans l’inspiration des leaders inspirants. Trois comportements managériaux ressortiraient à cette catégorie. Le premier consiste à partager largement l’information ; en effet beaucoup de personnes se disent mal informées de ce qui se passe aussi bien dans l’entreprise que pour leur travail personnel. Ce n’est pas une surprise ; l’information et la communication ont en commun avec la psychanalyse de ne pas connaître l’état de santé : il y a toujours des problèmes d’information et de communication. L’ouverture semble être favorable, tout comme une certaine transparence : en termes de comportements managériaux, il serait donc bénéfique pour le leader de s’assurer de communications journalières avec ses collaborateurs ou collègues et ce n’est pas toujours facile dans le cadre d’organisations éclatées.

Un deuxième comportement managérial dans cette catégorie consisterait à prendre l’initiative de relations avec les autres car c’est un vrai « travail » de s’assurer qu’il existe des liens et de les maintenir, même quand la concentration de chacun sur ses tâches ne semble pas les rendre nécessaires, même quand les personnes ne veulent pas forcément être en relation avec d’autres. Un tel comportement témoignerait de l’intérêt pour les personnes. Enfin, et de manière plus inattendue, les managers devraient savoir montrer de la vulnérabilité pour entraîner la production d’ocytocine ; en effet, cela montrerait que le manager se sent suffisamment sécure avec les autres et qu’il souhaite la coopération.

Mais une troisième catégorie de comportements managériaux satisfera cette fois les experts de la gestion des ressources humaines puisqu’ils en relèvent. Le premier de ces comportements managériaux consiste à reconnaître l’excellence. Cette reconnaissance doit être tangible, inattendue et venir des pairs. Elle survient immédiatement après que le but ait été atteint. C’est quelque chose d’assez sympathique mais qui ne peut fonctionner que si on dispose de moyens de mesurer et d’attester cette excellence. Cela ne procède pas toujours que de la seule bonne volonté et attention bienveillante du leader comme le suggérerait une littérature un peu naïve : encore faut-il être aidé par des dispositifs qui permettent de suivre cette excellence et de ne pas l’aborder seulement aux moments d’exceptions car la vie courante des organisations n’est pas faite que de moments d’exception.

Le deuxième comportement managérial relevant de la GRH consiste à savoir fixer des objectifs adaptés, ajustés, ceux qui permettent de créer une juste tension, un stress positif qui permet de mettre en mouvement et de développer les personnes et ce, pas seulement pour franchir un obstacle mais pour maintenir cette tension dans la continuité. Là encore, les dispositifs bien sentis de la GRH permettent de trouver les bons ajustements et pas seulement le génie inspiré du leader.

Enfin, le dernier comportement managérial consiste à faire l’effort d’aider les personnes à se développer globalement, c’est-à-dire pas seulement sur le plan des caractéristiques professionnelles mais aussi dans le cadre d’une plus grande harmonie entre leurs vies professionnelle et extra-professionnelle. Là encore, de telles approches de développement, si on ne veut pas faire des « coups » ou si on ne veut pas traiter que les « talentes et les talents » ou les personnes exceptionnelles, cela demande un peu d’appareillages et d’outils.

Ce travail à partir des neurosciences a au moins trois intérêts. Premièrement il montre que les neurosciences, tellement plus modernes que le vieux bon sens anthropologique, confirme finalement les intuitions de ce dernier ou, du moins, ne le remet pas fondamentalement en cause. La nécessité de l’ouverture, le souci de l’autonomie, l’intérêt témoigné aux personnes confortent, j’imagine, la plupart des lecteurs de l’ancien monde. Il n’est peut-être que cette idée de montrer aux autres de la vulnérabilité qui ne figure pas si fréquemment dans les conseils traditionnels donnés aux managers, quand cela ne contredit pas l’image « alpha-male » souvent diffusée.

Le deuxième enseignement intéressant, c’est la mise en avant de l’importance des comportements. Le manager ne dispose que d’une seule arme pour faire son travail de manager et ce sont ses comportements. Ses compétences, ses valeurs ou ses intentions n’ont d’importance que si elles s’incarnent dans des comportements. Il n’en reste pas moins vrai que le lecteur de ce texte qui voudrait changer ses comportements comprendra très vite qu’ils ne se suffisent pas à eux-mêmes et qu’il ne suffira pas de les pratiquer pour qu’ils gagnent aux yeux des autres de la crédibilité et donc de la pertinence pour la confiance.

Le troisième enseignement concerne la gestion des ressources humaines. Tout le monde acceptera l’idée qu’il faut savoir fixer des objectifs adaptés et motivants, reconnaître évidemment l’excellence atteinte et développer globalement les personnes. On ne peut qu’acquiescer mais on a encore une fois posé un problème plutôt que fourni une solution. Comment le faire sans l’aide d’outils, de dispositifs et, plus largement d’une culture RH qui supporte la démarche ? A trop vouloir imaginer que la bonne volonté et l’inspiration managériale peut pallier le manque de connaissances, on risque d’entretenir ces mouvements primaires et dangereux où le « dégagisme » pourrait passer pour une politique quand ce n’est pas pour du courage.


[1] Barabel, M (Ed) : Pour une fonction RH inspirante : une réponse au RH bashing. Editions Entreprises-et-Carrières, 2017.

[2] Zak, PJ. The Neuroscience of Trust. Harvard Business Review, january-february 2017