Le manager de proximité, nageant entre plusieurs eaux, ne risque-t-il pas de se noyer ? – cas de SSII #2

Dans un environnement en perpétuel mouvement et dans un contexte où tout est axé sur la rentabilité, aux dépens des GRH, le manager de proximité en SSII est soumis aux risques psychosociaux. Or si l’on attend de lui qu’il soit vecteur de bien-être au travail de ses collaborateurs, ne faut-il pas s’assurer en premier lieu qu’il est lui-même en position de bien-être au travail ?

Nous avons décrit en première partie le contexte du manager de proximité en SSII et une première approche des difficultés qui sont les siennes. Nous présenterons dans ce deuxième volet ses relations peu épanouissantes avec les services RH et la hiérarchie.

Où sont les RH ?

Si l’on se réfère aux 3 niveaux de la pyramide des fonctions RH (Verrier, 2012, cf. figure 1), les SSII sont loin d’inverser la pyramide et d’impliquer les RH dans les stratégies d’entreprise. Les RH assurent de manière professionnelle la fonction administrative (pré-requis), délèguent la fonction support (création de moyens) aux managers et si elles sont présentes en comité de direction, (création de valeurs) c’est surtout pour valider les aspects juridiques des décisions managériales.

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Compétentes dans la fonction administrative

Sur les aspects légaux, les managers de proximité sont unanimes, les RH maitrisent leur sujet et assurent un support sans faille. Ils sont les gardiens du code du travail : « Le code du travail est complexe en France, il y a plein de trucs à respecter et pour moi le RH assure ce rôle-là », « Aujourd’hui la RH c’est le capitaine Flam, celui qu’on appelle quand on sait plus quoi faire ».

C’est pourquoi les témoignages sur les services RH sont globalement positifs, car même si les services RH faillissent à la mise à disposition de ressources, les managers de proximité apprécient leur disponibilité « Le RRH est super dispo. Bon lui il a plus le côté légal des choses. Il a toujours répondu présent ».

Manque d’accompagnement dans la fonction support

Tous les managers interrogés en témoignent, il n’existe pas de fiche de poste, de description de la fonction et cela leur manque, car ils ont l’impression que cette fonction n’est pas reconnue, qu’il y a un manque d’homogénéité dans les pratiques et que cela prête à interprétation et donc à conflit.

Par ailleurs, la mise en place et l’imposition, sans accompagnement, d’outils ou process destinés à aider les managers rendent leur utilisation lourde et chronophage « J’ai quinze ans d’ancienneté. L’outil on le change tous les trois ans donc j’en ai vu cinq différents. Ça ne sert à rien, c’est jamais exploité derrière. C’est jamais maintenu ».

Les managers de proximité estiment que les référentiels de compétences ou métiers ont « le mérite d’exister » mais nécessiteraient des réactualisations plus fréquentes, ne sont pas toujours adaptés à l’émergence de nouveaux métiers et oublient les passerelles entre métiers. Par ailleurs ils s’accordent à dire que les entretiens annuels ne servent qu’aux collaborateurs et peu aux RH « Pour le suivi des collaborateurs, de carrière, je pense que les RH n’interviennent pas du tout ».

Les managers de proximité ont également besoin de formations. Ils ne l’expriment pas clairement et se disent relativement satisfaits, mais ils évoquent la nécessité de faire des touches de rappel, d’adaptation aux changements dans les process et l’élaboration des objectifs annuels. Ils indiquent également des besoins de connaissances dans les domaines de la santé et de la sécurité au travail « Je trouve ça effarant qu’on en arrive à ce que des personnes pleurent sur le lieu du travail. Aujourd’hui je ne suis pas préparé à ça » et du management interculturel.

Absence de la fonction stratégique

Les services RH sont perçus comme une fonction d’organisation, et non de décision, qui se fait happer par les contraintes de rentabilité et de performance. « C’est les RH qui communiquent et notre top management qui décide », « Les comités RH, c’est des relevés de compteur ».

Ils font face à une judiciarisation croissante de leur rôle, qui entrave leur coopération avec les managers de proximité et leur participation à l’organisation du travail, car ils sont dans un souci permanent de se prémunir d’un risque légal et ont la pression de leur direction à ce sujet.

Mais qui encadre le manager de proximité ?

A tous niveaux, les managers sont très occupés. Comme une mise en abîme, le haut management pressurise ses N-1, qui pressurisent leurs N-1, qui pressurisent leurs N-1….

Voici les représentations qu’a l’encadrant de proximité de son management.

Rentabilité et surmenage font bon ménage

Les managers hiérarchiques sont plongés dans leurs fichiers Excel, ils n’ont que la rentabilité en tête et sont atteints de réunionite aigüe. Cet état de fait empêche les managers de proximité d’idéaliser leur manager et ils ne se sentent ni guidés ni managés. C’est exactement ce que décrivent certains auteurs (C. Samama, M.Detchessahar).

Rappelons qu’ils sont eux-mêmes des managers aux yeux de leurs collaborateurs et qu’ils ne suscitent pas de vocation de carrière dans le management.

Communication brouillée

Les managers hiérarchiques ne savent plus communiquer ni déléguer car ils sont empêtrés dans leur souci de rentabilité. Ils ne prennent pas le temps de donner les informations ascendantes nécessaires au manager de proximité dans sa compréhension des attentes de l’entreprise et sa redescente d’information auprès de ses collaborateurs.

Par ailleurs le manager de proximité constate que ses managers ne communiquent pas entre eux et ne coopèrent pas « Là on est au niveau N+1, t’as des gros caractères qui ne s’entendent pas spécialement bien, qui ont leurs propres chiffres et objectifs. On ne travaille pas main dans la main ».

Ils manquent également de modernité dans leur mode de management et ne s’adaptent pas aux nouvelles façons de travailler. Ils peuvent être misogynes, craindre le télétravail ou ne pas s’adapter à la flexibilité des temps de travail.

Solitude du manager de proximité

Les managers hiérarchiques ne managent pas, ne rencontrent pas leurs encadrants de proximité, car ils les estiment suffisamment autonomes « Mon N+1 ne cherche pas à me faire progresser. Et c’est dur. Il n’accompagne pas les gens, il n’est pas motivant », « J’ai besoin d’être managé. Je suis un collaborateur, j’ai besoin d’être motivé, qu’on me dise ce que je dois faire et quels sont mes objectifs ».

Manager empêché

Les managers de proximité sont ainsi empêchés et soumis à différentes injonctions paradoxales. Ils sont sous tension et ne parviennent pas à tenir leur rôle de traducteur car ils ne possèdent pas suffisamment d’espaces d’autonomie pour préserver leur position centrale. Les organisations ne leur permettent pas d’acquérir les ressources nécessaires à l’exécution de leur fonction d’encadrant de proximité, créant ainsi des déséquilibres plus ou moins importants.

Tous ont une vision négative de la SSII et sont résignés : il y a une grande désillusion des managers de proximité qui se dédouanent de certaines décisions en se reposant sur des décisions hiérarchiques dont ils ne se disent pas responsables et acceptent de fait la situation pour éviter de souffrir. « Ben c’est à dire que les gens ils en ont plein le dos d’être manager de proximité, ils en ont plein le dos de ne plus avoir de leviers, ils n’acceptent plus de faire passe-plat sur la politique de la boite. Il y a un vrai désamour de la fonction ».

Alors qu’on lui demande de plus en plus de s’investir dans la fonction RH, le manager de proximité subit l’éloignement de sa hiérarchie et des services RH qui sont contraints par les obligations de résultats et délaissent la scène du travail. Que mettre en place pour l’accompagner et que faire pour éviter d’en arriver à des situations de stress et de mal-être au travail ? Ce sera l’objet du troisième volet de cet article.


Cette série d’articles est issue d’une recherche effectuée dans le cadre d’un mémoire de Master2.

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