Harcèlement moral démissionnaire : (ré) agir avant de trop souffrir

Exercer des pressions sur un salarié pour le pousser à démissionner constitue un harcèlement moral dit démissionnaire. Cette pratique est de plus en plus courante dans les entreprises et provoque burn out(1), bore out(2) et autres dépressions profondes. Comment en détecter les premiers signes ? Comment dénoncer pareille situation pour ne pas être amené à la subir ? Comment s’en sortir sans y perdre la santé ? Voyage en terre contemporaine de Kafka.


Pendant un an et demi, Laurence(3), 57 ans, cadre supérieure dans une grande entreprise de luxe, s’est rendue tous les jours à son bureau avec belle vue sur la capitale. Mais pas pour travailler. Parce que du travail, elle n’en avait plus. «Je ne recevais plus de courriels, plus d’appels téléphoniques, je n’avais plus de projets à mener, plus de dossiers à traiter, je n’étais plus conviée aux réunions et, surtout, quand je croisais mes collègues dans les couloirs, ils baissaient la tête et ne me disaient même plus bonjour. J’ai appris plus tard qu’on le leur avait interdit.» Ce vide sidéral, Philippe, un journaliste chevronné de 53 ans, l’a vécu aussi. Cantonné subitement à un bureau totalement vitré au niveau -1 du groupe au sein duquel il officiait depuis plus de 15 ans, il est resté trois ans sans rien faire ou presque : « Si je voulais travailler un peu, il fallait que je quémande au service Communication un communiqué de presse à rédiger… Mes collègues me voyaient dans mon bocal quand ils prenaient un café à la machine. Mais ils ne manifestaient qu’indifférence ou gêne à mon égard.» Philippe a fait deux longues dépressions dont il ne s’est jamais vraiment relevé.

La mise au placard organisée

Selon une étude menée en 2014 par l’Institut du salarié, le mode de harcèlement diffère selon le statut du salarié. Pour la moitié des cadres, il s’agit d’une perte progressive de leurs fonctions et de leurs responsabilités, une « mise au placard » organisée. Pour les non-cadres, le harcèlement moral passe plutôt par des pressions, des brimades voire des insultes, une politique du « chaud-froid » et des manipulations diverses mises en place par des collègues et/ou des supérieurs.

La qualité de vie et le bien-être au travail s’affichent pourtant comme valeurs essentielles en vitrine des entreprises et de leurs séminaires, mais aussi dans la presse dédiée au management… Alors, comment imaginer que tant de salariés soient atteints en coulisses par les agissements internes de jeux politiques ou de stratégie économique, poussés à craquer et à démissionner? Les directions et les DRH ne feraient-elles donc encore que greenwashing(1) inconvenant en se montrant sensibilisées aux risques psychosociaux et responsables de leurs salariés?

Pour mémoire, le harcèlement moral a été reconnu par la loi n°2002-73 de modernisation sociale du 17 janvier 2002 et introduit aux articles L. 1152-1 du Code du travail et L. 222-33-2 du Code pénal. Au travers de ces textes, les faits de harcèlement moral sont définis comme des « agissements répétés » subis par le salarié ayant « pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

Quand le chaud devient glacial

Parce qu’en France, décrocher un emploi et le garder est devenu un graal, beaucoup de salariés, même s’ils ne s’épanouissent pas ou plus dans leur poste, préfèrent y rester accrochés, « au chaud », plutôt que de prendre le risque d’en chercher un autre. A quoi bon, c’est partout pareil, diront les plus résignés. Dans ce contexte, peu voient donc arriver les signes avant-coureurs du harcèlement. Le manager leur parle mal, ils n’ont pas été conviés à une réunion importante, ils n’ont pas obtenu la prime promise à leur dernier entretien d’évaluation, ils ne sont plus sur des projets porteurs… Pas si grave, ils se racontent qu’ils sont fatigués et que leur fertile imagination leur fait inventer une réalité qui n’est pas; ils se rassurent comme ils peuvent… Puis ils en parlent à un proche, un collègue, un voisin ; ils sont en fait les premiers lanceurs d’alerte sur leur situation. Mais quand leur entourage leur renvoie qu’elle n’est pas normale, qu’il leur faut réagir, souvent ils continuent à avaler les couleuvres ; ils sont dans le déni. C’est pourtant dès l’apparition d’un signal faible, du type un événement en apparence anodin, mais qui laisse un arrière-goût de frustration, de vexation, de sentiment d’isolement et/ou de mise à l’écart qu’il serait important pour eux d’avoir l’oreille aiguisée d’un coach en transition professionnelle -avec une bonne fibre psy- pour envisager la posture à adopter.

Car enfin, dans certaines situations, il est encore temps alors d’aller voir la direction, de faire part de son ressenti et d’en avoir le cœur net. La communication en interne n’est malheureusement pas -ce n’est une surprise pour personne- le fort des entreprises et les maladresses de certains managers, leur manque de courage, peuvent créer des quiproquos dans les équipes et malencontreusement « maltraiter ».

Mais quand un salarié harcelé réalise que sa situation quotidienne s’est dégradée jusqu’à devenir insupportable, qu’il y est pris au piège, que le harcèlement s’est bel et bien installé dans sa vie, qu’il ne sait plus pourquoi il se lève le matin et qu’il déprime, il est déjà trop tard et lui sera difficile d’en sortir sans dégâts.

Préparer sa sortie

Une chose est sûre, s’accrocher alors à son poste est peine perdue, mieux vaut très vite bétonner son dossier et agir. Car, pour une raison qui lui échappe et qu’il ne comprendra sans doute jamais, le harcelé ne fait plus partie de la stratégie d’entreprise. Le coach/psy doit être maintenant doublé d’un avocat. Pour prévenir le pire et pour rassembler les pièces (courriels, témoignages, etc.) du fameux dossier qui permettra au salarié de « sortir » dans les meilleures conditions. L’avocat lui exposera les tenants et les aboutissants de la procédure juridique de dénonciation du « harcèlement moral démissionnaire », le conseillera et sera du plus grand secours pour ne pas faire d’erreurs. Comment dénoncer le harcèlement? Dans quels termes ? Auprès de qui ? Comment effectuer une saisine des Prud’hommes ? Comment réagir aux réactions de la direction quand on a envoyé un courrier de dénonciation de sa situation? Quelle posture adopter lors d’un entretien ? Comment prendre son mal en patience et avec distance quand on doit continuer à aller au bureau? Si tant est qu’il soit possible de le faire…

Il est bon de savoir qu’une direction doit demander au CHSCT, c’est la loi, une enquête en interne suite à la dénonciation d’un harcèlement moral démissionnaire. Mais certaines ne s’en donnent même pas la peine, commettant alors une autre faute à l’encontre de leur salarié qui pourra s’ajouter au dossier qu’il a déposé aux Prud’hommes… Dans certains cas, au grand dam de ce dernier, la direction restera désespérément silencieuse. Tout simplement parce qu’elle ne met pas de limite à son travail d’usure…

Pour se protéger du danger qu’un quotidien vide devenu sans sens aucun -hormis celui de se battre contre l’absurde kafkaïen- représente pour sa santé psychologique et physique, le salarié pourra, bien sûr, pour se protéger être mis en arrêt maladie par son médecin ou encore démissionner. Mais ces actions ne seront pas non plus sans risque et sans conséquence pour lui. Au bout de 60 jours d’arrêt maladie, il verra ainsi souvent son revenu fondre (le montant de l’indemnité journalière versée par la Sécurité sociale pour compenser la perte de salaire est égal à 50% du montant du salaire journalier de base). Et s’il démissionne, il n’aura droit à aucune indemnité de son entreprise et aucune assurance chômage de Pôle emploi. A moins que son harcèlement moral soit reconnu et que sa démission soit requalifiée en licenciement par les Prud’hommes. Lui restera alors à se reconstruire personnellement et professionnellement... Sans oublier de mettre, cette fois-ci, tous les atouts de son côté en se faisant accompagner par un professionnel.


(1)Le syndrome d’épuisement professionnel est engendré par le surmenage et la surenchère. Etat de fatigue émotionnel, mental et physique caractérisé d’un manque de motivation et de performance.

(2) Le syndrome d'épuisement professionnel par l'ennui est un trouble psychologique engendré par le manque de travail, l'ennui et, par conséquent, l'absence de satisfaction dans le cadre professionnel.

(3) Les prénoms des personnes interviewées ont été changés, mais ces dernières ont bel et bien vécu les situations dont elles témoignent.

(4)Désigne un procédé de marketing ou de relations publiques, appelé aussi éco-blanchiment ou verdissage, utilisé par une organisation dans le but de se donner une image écologique responsable.