Dans le style de Pierre Desproges, en hommage...

Je me rappelle ce salon RH, en sous sol entre les tours brillantes et arides de La Défense. Un ami bien intentionné m’y avait fait rencontrer l’un de ces « incontournables » des manifestations et évènements « HR » du tout Paris. Aussitôt vu, aussitôt dit : je devais écrire dans sa revue banale, interviewer des sommités, être partenaire avec RH info de l’évènement du siècle, par lui assurément bientôt organisé. Itinéraire hagiographique qu’il projetait jusqu’au zénith, avec la suffisance de celui qui « peut », à défaut d’humanité.

Je me souviens de la séance photo : déambulant tristement dans les méandres torses de couloirs néonnisés, nous plaçâmes trois chaises autour d’une maigre table aux pieds dépliables. L’incontournable tyrannisa pendant 30 longues minutes le malheureux petit oiseau censé saisir nos inénarrables faciès, sur la seule exigence de son propre profil, mi chafouin, mi has been, mais toujours pleinement satisfait de lui-même. Des heures où la contenance a des vertus que l’on envie aux limites d’une impatience mal contenue.

Là, entre deux prises, je vis défiler des arrivistes et des infatués, des muguets de cour et des ambitieux sans moyens, des rats de direction et des grenouilles sans scrupules, venus rendre au « maître » leurs rapports obséquieux ; de ces femmes, jeunes et presque belles, prêtes à tout pour un destin supposément public, sans relations réelles ; de ces hommes couchés ravalant leur humiliation d’avaler tout ce qui tombe d’un homme qui « fait ». Je voyais les plus serviles se laisser injurier avec cette assiduité silencieuse qu’on impute aux truies sous les assauts du verrat.

J’en vis des plus courageux pudiquement botter en touche, au cas où, pour ne pas contrarier la capacité de nuisance attachée à son introduction dans tous les milieux. J’en vis des plus gentils se mettre au garde à vous sous l’impétuosité du mépris qu’il manifestait d’un revers de main, la bouche déformée de cynisme glaireux, le costard grandiloquent de fric à gogo.

Il me revient ce gros monsieur barbu, cacique bien connu du tout RH parisien, venu le saluer avec déférence. Les incontournables gardent toujours entre eux ce respect boursouflé de vaseline cuite, sous lequel ils cachent mal leurs haines réciproques. Ils se congratulèrent sur je ne sais quelle réussite où leurs intentions de campagne avaient fait front commun ; puis se quittèrent subrepticement, pleins de promesses lubrifiées et de sous-entendus vibrants, tels ces partenaires des boulevards extérieurs après une passe hebdomadaire.

Mon ami m’assura avec une indifférence surfaite que c’était là le style du personnage, son pain quotidien, sa bonté particulière et le pardon de nos offenses : nous n’étions pas encore à lui. Lui se devait d’être fidèle à lui-même, de cette fidélité faussement suicidaire qu’ont les scorpions à queue mole sous l’insolation du démon de midi : ce genre d’onanisme tapageur et si démonstratif que connaissent bien les exhibitionnistes forclos des toilettes publiques de la station Châtelet, à l’heure ou les poulets ont déjà réintégré leur claustration nocturne, indifférents à toute crise réelle.

Bref, j’étais censé ne pas le prendre en grippe, afin qu’il publia dans son canard kraft et glacé les deux pages que nous avions dû rédiger nous-mêmes pour palier à l’inanité de ses scribouillards maison. Le programme prévoyait ensuite un déjeuner commun. Comme aurait dit le regretté Pierre Desproges : « je pris congé pour aller vomir plus loin ».

Tags: Leadership,Podcasts