Comment démontrer la réalisation de ses heures supplémentaires ? (1)

La législation relative à la durée du travail découle d’une longue construction historique.

La notion de temps de travail est en grande partie due aux luttes organisées par le mouvement ouvrier.

Il convient de tenir compte des durées maximales de travail, des temps de pause, des repos quotidiens et des congés des salariés. Le choix du dispositif d’aménagement du temps de travail ainsi que la répartition des horaires et leur durée de travail sont primordiaux afin d'assurer une gestion efficiente du travail des salariés.

La notion de temps de travail recouvre une multitude d’interrogations sur la gestion des temps d’habillage, et de déshabillage, des temps de pause, ou bien encore du travail de nuit ou des heures d’équivalence et surtout des heures supplémentaires et complémentaires de travail.

Il faut donc au préalable comprendre et décrire la notion de temps de travail effectif. Elle se définit comme « le temps pendant lequel le salarié est à disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles » (article L.3121-1 du Code du travail). Le temps de travail effectif est ainsi défini par deux critères légaux cumulatifs que sont la disponibilité et l’absence de liberté.

Il est possible que le temps de travail puisse dépasser la durée légale du travail.

Cependant, ces heures peuvent faire l'objet de litiges quand à la preuve de leur réalisation. Comment prouver ces heures ? Quels moyens peut-on utiliser ? Quel est le rôle de chacune des parties dans une telle situation ?

I) La preuve des heures supplémentaires

Le temps de travail peut dépasser la durée légale du travail. L'employeur est alors obliger de revaloriser de telles heures en prenant en compte leur spécificité. Ces heures sont des heures dites « supplémentaires ». Les heures supplémentaires ouvrent droit à une rémunération plus favorable (taux horaire majoré) au salarié ou à un repos compensateur équivalent à la majoration. Certaines heures supplémentaires ouvrent également droit à une contrepartie obligatoire en repos.

A) Le mécanisme de preuve

Les heures supplémentaires impayées ont des conséquences juridiques que l'on ne peut minorer. Il faut d’abord prouver leur existence avant de faire une réclamation. Une fois leur existence prouvée, le refus de l’employeur de payer des heures supplémentaires de travail constitue un fait fautif. Le salarié peut alors prendre acte pour rompre le contrat de travail et réclamer au conseil des prud’hommes l’indemnisation du préjudice subi et le rappel des heures. De telles heures peuvent le cas échéant constituer du travail dissimulé.

Les heures supplémentaires se définissent comme les heures de travail effectives réalisées au-delà de la durée légale du travail (35 heures) ou de la durée considérée dans certaines professions comme équivalente. En revanche, il doit s’agir de celles effectuées à la demande de l’employeur ou au moins avec son accord implicite.

A l’appui de sa demande en paiement d’heures supplémentaires, il faut que le salarié puisse démontrer la preuve de leur existence. Pour se faire, lui et son employeur doivent donc concourir à l’établissement de la réalité des faits, si bien que la preuve de l’existence ou de l’inexistence d’heures supplémentaires repose sur l’un comme sur l’autre. Le salarié qui prétend avoir effectué des heures supplémentaires et en réclame le paiement doit préalablement fournir au juge des éléments pour étayer sa demande. C'est uniquement dans un second temps que l'employeur doit fournir des éléments pour prouver les horaires effectivement réalisés par le salarié.

La preuve des heures n'incombe spécialement a aucune des parties aux yeux de la Cour de cassation (Chambre Sociale, 10 Novembre 1998, n°96-42749). En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, la charge de la preuve revient aussi bien à l'employeur qu'au salarié (Code du travail, article L.3171-4).

L'article L. 212-1-1 du Code du travail décrit en quelque sorte le rôle de chacune des parties.

En effet, l'alinéa 1er indique que l'employeur "doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié". Il est précisé à la phrase suivante que '"au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction (...)". Il est difficile d'être plus clair : le salarié ne saurait rester passif et se borner à affirmer qu'il a accompli des heures supplémentaires. Au contraire, il lui appartient "de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande"

Le juge doit donc se fonder sur les éléments objectifs fournis par l'employeur pour déterminer la durée exacte du travail, sans pouvoir opposer l'absence de preuve ou la preuve insuffisante du salarié. Le juge ne peut, pour rejeter la demande du salarié en paiement d'heures supplémentaires, se fonder sur l'insuffisance des preuves apportées par celui-ci (Chambre sociale, 3 juillet 1996, n° 93-41.645)

B) Les éléments de preuves

Il convient aux parties de démontrer la réalité des faits : la preuve de l’existence ou de l’inexistence d’heures supplémentaires repose sur chacune des parties.

La jurisprudence à pu apporter de nombreuses réponses quand aux preuves qui peuvent être mises en avant pour prouver la réalisation d'heures supplémentaires.

1) Un décompte des heures supplémentaires

A titre d'exemple, la Cour de cassation (Chambre sociale, 24 Novembre 2010, n°09-40928) s'est prononcée sur une affaire portant sur la contestation du nombre d'heures supplémentaires qui ont été payées à une salariée licenciée pour faute grave.

Une salariée, licenciée pour faute grave conteste le nombre d'heures supplémentaires qui lui ont été payées : la salariée réclame le paiement d'heures supplémentaires en se fondant sur un décompte établi au crayon, calculé mois par mois. Les juges du fond rejettent sa demande considérant que la salariée n'apporte pas de preuve suffisante

Un pourvoi en cassation est formé, amenant la Cour à répondre à la question suivante : un document établi au crayon par la partie réclamant le paiement d'heures supplémentaires constitue-t'il une preuve suffisante de l'existence d'heures supplémentaires effectuées par le salarié?

La Cour de cassation a répondu par la positive en estimant que « la salariée avait produit un décompte des heures qu'elle prétendait avoir réalisées auquel l'employeur pouvait répondre ».

Un tel document, contrairement à ce qu'avait estimé la Cour d'appel, serait suffisamment précis pour la Cour de cassation.

Concrètement, l’employeur ne peut avec cette décision se contenter de demander à écarter des décomptes manuscrits d’un salarié en faisant état de ce qu’elle n’émanerait que du salarié et que ces décomptes ne seraient pas probants.

Il lui appartient de démontrer le contraire.

Cette décision ouvre ainsi la voie à diverses pratiques de la part des salariés compte tenu de l’extrême facilité qui lui est donné à prouver des heures supplémentaires pour le salarié.

Le salarié peut donc étayer sa demande au moyen de fiches de temps (Chambre sociale, 19 janvier 1999 n° 96-45.628) ou, encore, un tableau dactylographié établi lui-même et le planning de ses tâches (Chambre sociale, 21 novembre 2012, n°10-27429).

2) Les bulletins de paye, agenda et attestations

Le salarié peut aussi prouver la réalisation d'heures supplémentaires via des bulletins de paye, un agenda ou encore des attestations de collègues. La Cour de cassation confirme cela (Chambre sociale, 16 Mai 2012, n°10-27646).

Dans cette affaire, les premiers juges avaient rejeté la demande d'un salarié, cadre au sein d'une concession automobile, en paiement d'heures supplémentaires. A l'appui de sa réclamation, le salarié avait fourni ses bulletins de salaires, les horaires d'ouverture de la concession, un agenda de 2007 et 3 attestations émanant de collègues de travail.

Pour débouter le salarié, les juges avaient conclu que les éléments fournis par le salarié, qui se bornait à procéder à des calculs théoriques et forfaitaires à partir d'un volume d'heures hebdomadaires qui ne correspondaient même pas aux horaires qu'il prétendait avoir effectués, étaient totalement insuffisants pour étayer sa réclamation, laquelle ne présentait pas de caractère suffisamment fiable et crédible.

La Cour de cassation refuse l'analyse de la cour d'appel. Aux yeux de cette dernière, les juges d'appel qui se fondaient sur les seuls éléments apportés par le salarié, avaient inversé la charge de la preuve.

Il a été jugé aussi, par exemple, qu’une salariée peut valablement produire un décompte qu’elle a elle-même effectué à partir de ses agendas personnels sur lesquels sont simplement notées des heures de début ou de fin de journée, ces éléments étant corroborées par des attestations de directeurs d’établissements. Selon les hauts magistrats l’employeur pouvait répondre à ces éléments jugés suffisamment précis (Chambre sociale, 30 septembre 2015, n° 14-17748)

3) L'impression des courriels et captures d'écrans

Il existe aussi des moyens de preuve bien plus originaux : pour obtenir le paiement de vos heures supplémentaires, l'impression des courriels et les captures d'écrans peuvent servir.

La Cour d’appel de Paris a rejeté la demande d'une salariée au motif qu’elle ne verse pas aux débats un décompte hebdomadaire des heures sollicitées mais seulement des courriels envoyés de chez elle et des captures d’écran qui ne permettent pas à eux-seuls d’établir l’exactitude de l’heure effective qui y est mentionnée. La Cour d'appel mettait ainsi en avant le fait que l’heure d’envoi d’un courriel peut se révéler inexacte en cas de réglage inadapté de l’horloge de l’ordinateur et qu’aucun autre élément ne vient corroborer que les courriels ont été envoyés au milieu de la nuit ou tard le soir. Elle ajoure qu’il en est de même en ce qui concerne les captures d’écran qui ne permettent pas d’établir la réalité des heures supplémentaires alléguées.

La Cour de cassation fut saisi de l'affaire et réfuta la vision de la Cour d'appel de Paris (Chambre sociale, 15 Janvier 2015, n°13-27072). Aux yeux de la Cour de cassation, en statuant ainsi, alors qu’il n’appartient pas à la salariée d’apporter la preuve des heures supplémentaires mais seulement d’étayer sa demande, la Cour d’appel de Paris, qui aurait dû vérifier si les courriels et les captures d’écran produits par la salariée permettaient de déterminer quelles étaient les heures supplémentaires dont elle demandait le paiement et mettaient ainsi l’employeur en mesure de répondre en fournissant ses propres éléments, a violé l’article L. 3171-4 du code du travail.


Le salarié peut donc utiliser divers support afin d'étayer la réalisation de ses heures supplémentaires, l'employeur faisant de même face aux éléments fournis par le salarié. La preuve de l’existence ou de l’inexistence d’heures supplémentaires repose sur chacune des parties. Au-delà de tout cela, l'employeur se doit de respecter un certain cadre légale lorsqu'il attend de son salarié qu'il réalise des heures supplémentaires.

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