Texte co-écrit par Patrick Bouvard

Le DRH de demain va devoir devenir plus con…

Non ! non ! Ce n’est pas une grossièreté ; c’est au pire un préfixe, au mieux la première syllabe d’un joli mot : Con-temporain, con-versation, con-gruence, con-centré, con-vaincant, con-fiance. Et non : le « con-fort » n’est pas un imbécile musclé… mais une zone dont nous allons nous efforcer de sortir – nonobstant le caractère profondément débile de l’expression consacrée – afin de faire preuve de l’audace nécessaire pour agir face à l’évolution du monde en général, et à celui du travail en particulier.

Peut-être notre provocation a-t-elle rencontré un instant d’indignation chez les professionnels de la fonction RH, et de satisfaction chez les professionnels de la critique ? Ne vous y fiez pas : vous allez en avoir pour le temps passé à cette lecture. Comme disait Erasme : « Rien n'est plus sot que de traiter avec sérieux des choses frivoles ; mais rien n'est plus spirituel que de faire servir la frivolité à des choses sérieuses ».

Devenons plus con…temporains

Le monde a changé, comme on dit sous les marronniers. La révolution digitale a mis à notre disposition des moyens sans précédents :

  • fonctionnalités hallucinantes dans le traitement de l’information ;
  • affranchissement de l’espace et du temps ;
  • intelligence artificielle et automatisation ;
  • développement des Réseaux Sociaux…

Tout ceci entraine, par une croissance qui semble quasiment exponentielle, une évolution des modes de travail, des métiers, de la structuration même de l’emploi.

Mais ne nous y trompons pas. Il est vrai que les évolutions technologiques sont causes “dispositives” : les habitudes et les comportements disposent à des transformations sociales et professionnelles, un peu comme la fonction crée l’organe. Néanmoins, il nous appartient bien de jouer notre rôle et de faire preuve de maturité : ne confondons pas les moyens avec la fin ! Car, sous-jacent à tout ceci, c’est un nouveau contrat social qui est en train d’émerger, plus horizontal, plus symétrique. Les générations montantes sont plus soucieuses d’amitié que d’ordre.Qu’on se le dise : les transformations en cours touchent à la dimension humaine des organisations.

C’est bien pour cela que c’est à la fonction RH de conduire ce changement. Et plus que de le conduire, c’est à elle de le devancer, de l’insuffler, de l’incarner, de lui donner un visage humain. Les professionnels RH doivent acculturer l’entreprise à l’innovation : l’innovation incrémentale, celle qui améliore l’existant ; et l’innovation de rupture, celle qui cherche à répondre à des nouveaux besoins créés justement par les changements de l’environnement.

L’innovation est avant tout un processus profondément humain qui cherche à explorer, à correspondre – par osmose – à la psychologie et à la sociologie de notre époque, d’en devancer les besoins naissants. Les DRH doivent se reconnecter avec ce qui fait le quotidien de leurs « clients » et beaucoup mieux entrer en résonnance avec leur « marché » RH. En effet, si nous voulons ancrer la fonction RH dans la modernité, pas juste pour être à la mode mais pour mieux remplir sa mission d’accompagnement de la transformation, il faut passer au « marketing RH » ! Le marketing RH n’est pas un oxymore. Loin de l’antonymie, le marketing RH nous semble être une opportunité pour la fonction RH de développer sa légitimité avec une efficacité renforcée.

Devenir contemporains, c’est ainsi prendre en compte les perceptions, les évaluer, comprendre les attentes, les besoins, les frustrations du corps social pour mieux y répondre. Et y répondre selon les formes du monde d’aujourd’hui : plus rapides, plus simples, plus esthétiques, quels que soient le lieu et le moment.

Devenons plus con…versationnels

Qui donc aujourd’hui ne fait pas un usage quotidien du digital ? Qu’on le veuille ou non, il est dorénavant un élément constitutif de notre environnement, tant dans nos vies privées que professionnelles. Il modifie l’expression du rapport à l’autre, notre modèle relationnel et nos systèmes communicationnels, en famille, dans nos relations personnelles diverses ou en entreprise.

Il faut prendre la mesure de ce fait : le digital fait évoluer le paradigme de l’échange. Ce n’est plus la possession d’une information ou d’un savoir, formellement, qui constitue l’objet et l’intérêt de notre rapport à l’autre ; ce savoir est probablement disponible en accès libre de n’importe où et à toute heure. L’enjeu est aujourd’hui dans la capacité à relier ces savoirs pour faire de la connaissance un moteur d’expérience, de projets et d’innovations ! Et cela touche autant à la forme qu’au fond, comme nous l’évoquait déjà la théorie des réseaux. Non seulement chacun devient un émetteur public – et non plus seulement un récepteur cible passif –, mais encore chaque interrelation transforme l’information, la multiplie et la décuple à la fois, pour le meilleur… ou pour le pire, parfois ! Le temps des emailings unidirectionnels est révolu, comme celui du push des offres d’emploi ou de formation sans saveur ni aspérité. Il faut maintenant constamment rechercher la mélodie dans le bruit ambiant, nourrir la conversation, donner pour recevoir, produire du contenu qui divertisse, décrypte, interroge, solutionne, etc.

« Devenir conversationnel » c’est devenir intéressant pour les autres : les élèves, les étudiants, les candidats, les salariés, les managers, les partenaires sociaux et tout l’écosystème interne et externe à l’entreprise.

Si vous voulez gagner la guerre de l’intérêt, et parfois simplement celle de l’attention, donnez-vous des munitions : parlez ce langage RH ou le R signifie Relation, Richesse, Réseau, Résilience, Réalisation, Révélation, Réveil, Résolution… et pourquoi pas Révolution, si elle est bien « Humaine » ?

Devenons plus con…gruents

Le DRH est en équilibre instable au carrefour de diverses tensions, pris entre l’enclume et le marteau : le court terme et le long terme, l’économique et le social, les actionnaires et les partenaires sociaux, les salariés et leurs employeurs, l’entreprise et la Cité.

La gestion de ces tensions pousse parfois à la schizophrénie, à la dissonance, pour la fonction RH comme pour les managers. Comment chercher – et trouver ! – la congruence entre l’identité « employeur » (son projet, son histoire, sa culture, ses activités, ses métiers, etc.), son image (interne et externe), et ses pratiques (RH et managériales) ?

A titre d’exemples :

- La promesse employeur véhiculée auprès des candidats se doit d’être une réalité vécue par les salariés. Dans le cas contraire, cette distorsion communicationnelle est contre-productive.

- Les valeurs promues par l’entreprise pour valoriser son image éthique et citoyenne doivent être celles avec lesquelles sont traités en interne les salariés et les partenaires sociaux. Dans le cas contraire, cette distorsion organisationnelle crée du désengagement.

- Le management doit transcrire dans les faits, par la restauration d’une vraie relation contractuelle, fondée sur la confiance, l’autonomie et la responsabilité des collaborateurs. Dans le cas contraire cette distorsion structurelle détruit le sens même de ce qui constitue une véritable contribution individuelle et collective.

Distorsion structurelle, distorsion organisationnelle et distorsion relationnelle : c’est le projet lui-même qui perd son sens.

« Devenir congruent » c’est prendre ses responsabilités sur le “D” de DRH :

  • la Direction, celle qui donne le sens à l’action ;
  • la Destination, c’est-à-dire la vision cible que l’on cherche à atteindre collectivement ;
  • la Durabilité, en garantissant l’authenticité et l’incarnation des valeurs portées, la convergence toujours renouvelée entre identité, image et pratiques.

Si nous voulons donner du sens, donnons un cap et transmettons cette dynamique du bien commun à tous, à commencer par les managers afin qu’ils soient armés et eux aussi les garants, avec nous, de la cohérence entre les finalités partagées, les décisions prises et des comportements adoptés.

Devenons plus con… centrés et plus con…vaincants

Ne l’oublions jamais : la performance et la compétitivité d’une entreprise passe par celles des femmes et des hommes qui la composent, nonobstant tous les moyens technologiques qu’ils emploient, y compris l’intelligence artificielle et l’automatisation de certaines tâches. Prendre soin des salariés, c’est prendre soin des clients ; et prendre soin des clients, c’est servir la croissance.

Demeurons donc concentrés sur l’humain, qui doit rester notre finalité, l’essentiel de notre investissement, comme l’évoque cette allégorie philosophique pleine d’humour et de pertinence.

« Être concentré » c’est être le garant de cette primauté de l’humain. En être les garants auprès de l’ensemble des acteurs (actionnaires, dirigeants, managers, collaborateurs, syndicats, acteurs de l’emploi, influenceurs, écosystème, etc.), c’est développer et proportionner à chacun un pouvoir de conviction qui les fasse converger vers le bien commun.

Mais attention : convaincre, ce n’est pas avoir raison ; tant de DRH ont raison… dans la plus grande solitude ! Et convaincre, ce n’est pas vaincre ; comme en musique, les dissonances trouvent leur résolution dans une nouvelle consonance, sans quoi elles restent de la cacophonie.

Comment rassembler des talents divers et variés – et si souvent individualisés à tous les niveaux de l’entreprise – au sein d’un collectif performant ? On le sait bien : une équipe de sport rassemblant artificiellement les plus brillantes personnalités de la discipline ne tient pas longtemps face un collectif de joueurs beaucoup plus moyens, mais soudés et motivés par un état d’esprit partagé ! L’engagement individuel – lorsqu’il est exacerbé en individualisme par des outils mal utilisés de mesure de la performance – peut devenir le pire ennemi de la réussite collective ! Convaincre, ce n’est pas flatter les ego à grands coups de programmes « hauts potentiels » ! Comme le disait fort justement René Blanchard : « Chaque individu est un gagnant en puissance. Certains sont déguisés en perdants. Ne vous laissez pas tromper par les apparences. » Convaincre, c’est aller dénicher le gagnant dans chacun de vos collaborateurs.

Les quatre dernières enquêtes de RH info – concernant les grandes tendances d’évolution, la formation, les nouveaux modes de travail et la transformation du management– mettent en relief une constante : l'engagement, comme investissement maximal et unilatéral, ne fait plus recette. Plus envie de perdre sa vie à la gagner ! L'empowerment devient plus approprié ; il consiste en ce que tous les acteurs de l’entreprise – au premier rang desquels les managers – sachent et puissent œuvrer pour que la collaboration, la force du collectif, confère à chacun un pouvoir d’initiative, une capacité d’action et de développement de ses potentiels. Ce pouvoir « individuel » est fondé sur le triptyque confiance - autonomie - responsabilité. Ce pouvoir, dans sa nature, se déploie donc au service du collectif, du développement d’une communauté autour d’un bien commun centré sur un projet partagé. Et dans ce cadre-là, les technologies, l’intelligence artificielle et l’automatisation de certaines tâches vont devenir des aides à l’humanité, comme l’évoquait Cédric Villani dernièrement sur LCI.

Voilà une belle promesse de la fonction RH pour les 20 prochaines années, non ? De quoi être plus con…fiant dans l’avenir !

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