Une perception, un questionnement

La question du temps est-elle dans « l’air du temps » ? La question du temps et de la temporalité est-elle à la mode ? De mars 2015 à juin 2017, l’hebdomadaire M Le MAG, a publié une série d’interviews intitulée « Tant de temps ». Cette série reprenait donc le titre du poème de Philippe Soupault, et était expliquée comme suit : « A une époque de profondes mutations, le rapport au temps de tout un chacun est chamboulé ». Le temps est une des mesures du changement. Par notre conscience du temps, nous savons que nous vivons dans le changement et que nous le maitrisons plus ou moins, et de manière plus ou moins heureuse.

L’avenir nous tourmente, le passé nous retient, c’est pour cela que le présent nous échappe. Gustave Flaubert

Si le rapport que nous entretenons avec le temps a toujours été complexe, la période que nous vivons est particulièrement riche en mutations pour qu’il soit un sujet d’interrogation majeur. Depuis quelques décennies, nous observons des mutations profondes, avec des accélérations importantes, pour aller plus loin (aventure spatiale), pour aller plus vite (développement des transports, des communications), pour être plus fort (vieillir en meilleure santé, vivre plus longtemps). Ces accélérations technologiques entrainent des accélérations du changement social qui ont des implications sur les styles de vie, les structures familiales, les conditions de travail. J’ai consacré mon mémoire de fin de formation à la question du coaching et du temps. Je propose ici de faire un petit tour d’horizon des thèmes et sujets que j’y ai abordés, sans entrer dans les détails de chacun. Après les définitions du coaching d’une part et du temps d’autre part, trois grandes parties ont structuré ce travail : comment percevons-nous le temps et comment nous structurons-nous par rapport au temps ? Quelles sont les principales problématiques, demandes rencontrées en lien avec le temps ? Concernant le coach, quelle posture adopter, quels outils utiliser ?

Asseyez-vous, j’ai tout votre temps. Pierre Daninos

Le coaching est relativement simple à définir : discipline issue des sciences humaines, consistant à accompagner des individus ou des équipes à définir et atteindre leurs objectifs, sur des principes, d’autonomie, de responsabilisation et de mise en action. Dans l’article le coaching professionnel, j’y développe cette définition et mon approche du métier de coach. Mais il en est tout autrement pour le temps. Le temps est paradoxal. Il est difficile à définir. Nous ne pouvons pas nous en extraire, nous ne pouvons faire un pas de côté pour l’observer. Et il existe sous deux formes : un temps physique et un temps subjectif. Le premier est mesurable, uniforme. Le deuxième est subjectif, dépend de nos perceptions, variables selon de nombreux critères. Et les philosophes, les historiens, les physiciens, les psychologues ont des définitions différentes et spécifiques à chaque discipline. Mesurer, représenter, parler du temps comme d’un phénomène linéaire s’est imposé comme la norme de notre société. Le temps cyclique, qui lui précédait, basé sur le rythme des jours, des saisons comporte un caractère répétitif et statique et la notion d’évolution portée par le temps, s’imposera au siècle des Lumières. Ensuite l’ère industrielle a ancré la structure du temps au cœur de nos sociétés. Il rythme le présent et donne la direction du progrès. Le temps est à la fois un élément social structurant et un processus dynamique. Sa dimension structurante conditionne nos actions individuelles. Le « temps-horloge » est un temps appris, et un temps passé, partagé avec les autres. Il est donc important de connaitre les mécanismes de perception du temps.

Pour cette connaissance, je me suis appuyé sur les travaux de Paul Fraise, pour la perception et Eric Berne, pour le temps passé avec nous-même et partagé avec les autres. Paul Fraisse, psychologue (1911-1996) s’emploie méthodiquement dans son ouvrage « La psychologie du temps » à détailler notre conditionnement, notre perception, et notre maîtrise du temps au travers de nombreuses expériences. La première des difficultés que nous éprouvons dans la perception du temps, c’est l’absence de sens spécifique et dédié à sa mesure. Il n’y a pas, pour le temps, d’équivalent à la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher, le goût. Le sens le plus adapté pour mesurer notre perception du temps est l’ouïe. La vue tend à assimiler et confondre temps et vitesse, et ne donne pas la bonne perception du temps qui s’écoule, du temps qui passe. Paul Fraisse décrit de nombreuses expériences dans un ordre de complexité croissante. Il commence par définir le présent, en lien avec notre capacité d’attention, qui « se limite pratiquement à une durée de 5s environ… ne dépasse guère 2 à 3s ». Dans la troisième partie de l’ouvrage, il démontre la relativité de la perception du temps, qui s’appelle Loi de Fraisse :

Une journée faite d’activités variées et intéressantes nous paraîtra « bien remplie » et cependant nous laissera le sentiment qu’elle a passé comme un rêve.

Eric Berne (1910-, 1970), fondateur de l’Analyse Transactionnelle, nous donne des clés, dans « Des jeux et des hommes », pour comprendre de quelles manières nous passons le temps avec nous–même et avec les autres. Il y décrit le besoin de structure et notamment celle liée au temps. Il appelle programmation, l’aspect opérationnel de la structuration du temps. Cette programmation a trois faces : matérielle, sociale, et individuelle.

Il développe ensuite six façons de passer son temps : le retrait, les rituels, les passe-temps, les activités, l’intimité et les jeux psychologiques, balayant l’ensemble de nos activités, allant de la solitude à l’intimité en passant par les activités quotidiennes et de socialisation. Les jeux, qu’il décrit dans l’ouvrage sont les temps des enjeux et le temps des stratagèmes, dont certains peuvent durer toute la vie. Ces éclairages peuvent vous permettre de mieux comprendre certains de vos réflexes, de prendre conscience de certaines habitudes. Le coach, en ouvrant des champs d’expérimentation, accompagnera ces processus d’apprentissage, de changement de rapport au temps.

Il est possible de classifier les demandes liées au temps en trois grandes catégories. La surcharge, qui correspond à une impression d’avoir trop de tâches à effectuer pour le temps imparti, de manquer cruellement de temps. La dispersion, qui donne le sentiment d’utiliser son temps de manière désordonnée, désorganisée, l’impression désagréable de la gaspiller. Et l’urgence, qui donne l’impression d’agir toujours dans la précipitation, de ne pas anticiper, de se faire débordé par les évènements. Evoquer ces difficultés, les nommer, bien les identifier, c’est faire un premier pas vers leur résolution. Il faut savoir que nous faisons ce qui nous plait avant ce qui nous déplait, ce qui va vite avant ce qui prend du temps, ce qui est facile avant ce qui est difficile et ce qui est urgent avant ce qui est important. Une bonne connaissance de soi, de votre fonctionnement, de vos besoins et de vos valeurs vous permettra de trouver et de choisir les outils les mieux adaptés à votre situation et à votre environnement. Et nombreux sont les outils qui ensuite vous aident au quotidien pour mieux classer et retrouver vos documents, mieux organiser votre temps de travail et équilibrer vos temps de vie, de mieux gérer vos mails, de mieux prioriser vos tâches à effectuer, bref, d’être plus productif, de gagner en efficacité. Le coaching apporte une bonne analyse de vos besoins et valeurs, vous permettant ensuite de faire les choix éclairés. L’urgence, la tâche à effectuer sans attendre, a ceci de particulier, par rapport à la surcharge et la dispersion, qu’elle colonise le temps. L’urgence s’impose. Et est relative. Elle n’est pas toujours vitale, elle ne dépend pas toujours de vous, et il importe toujours de savoir qui la définit : vous, votre hiérarchie, vos clients ? L’urgence est paradoxale : par son caractère pressant, elle est génératrice de stress. Etes-vous en mesure d’y répondre ? D’y faire face ? Et par son caractère « dopant », elle est génératrice de satisfaction forte, par l’apport d’une réponse appropriée à la situation, à la résolution d’un problème, d’un conflit. Un questionnement spécifique est alors nécessaire pour répondre aux demandes relatives à la gestion de l’urgence.

Si le coach a des outils d’investigation spécifiques, son premier outil est le questionnement, et c’est celui-ci que je vais rapidement développer. Le coach écoute, observe et questionne. Questionner le temps, interroger le temps d’un.e client.e c’est aussi revenir au langage, à la langue française, à la grammaire, à la conjugaison. Vous questionner sur votre rapport au temps, c’est interroger les adverbes de temps : c’est maintenant ? c’était hier ? c’est souvent ? C’est interroger des habitudes : Quand ? A quelle fréquence ? Depuis quand ? Le coach, par son questionnement gardera la maitrise du temps, du temps du récit, du temps de l’action. « A ce moment-là, qu’avez-vous fait ? », « qu’auriez-vous fait ? », « que ferez-vous ? ». Le choix du temps utilisé induit alors une projection totalement différente, et vous inscrit soit dans une introspection, une réflexion, ou bien encore dans l’action, dans l’atteinte de votre objectif. Parce que chaque situation, dépend d’une histoire, d’un environnement, en maitrisant son questionnement, le coach peut se « jouer du temps », pour aller direct au but, ou bien emprunter des chemins de traverses.

En interrogeant, questionnant notre rapport au temps, nous éclairons différemment nos actions, nous révélons nos besoins, nos valeurs. Nous reprenons le contrôle de nos activités, nous nous comportons différemment, nous revoyons nos priorités, harmonisons nos actions avec nos aspirations profondes.

Les temps sont ce que nous en faisons. Arne Garborg

Tags: Formation au long de la vie & CPF