NDLR : Cet article est publié dans le cadre d’un appel à contributions de La Revue des Sciences de Gestion (La RSG) coordonné par David Autissier (maître de conférences HDR à l’IAE Gustave Eiffel de l’UPEC) et Romain Zerbib (enseignant chercheur HDR a l’ICD BS) en partenariat avec RH Info et la Chaire ESSEC de l’Innovation Managériale et de l’Excellence Opérationnelle (IMEO)


Manager, c’est composer avec la complexité. Ce n’est pas facile et ça explique que les dirigeants recherchent toujours des innovations pouvant les aider. Ils sont donc très réceptifs aux modes managériales, pour souvent réaliser qu’elles donnent peu des résultats promis. Que faire alors ?

Incontournables aujourd’hui, disparues demain !

Les modes managériales sont ces nouvelles approches de management, censées décupler la performance de votre entreprise. Mais l’expérience montre qu’elles sont éphémères. En effet, plus d’une centaine ont été recensées depuis la Seconde Guerre mondiale. C’est une industriequi génère des revenus annuels de plusieurs milliards de dollars, surtout pour les consultants. Bien sûr, cela représente autant en dépenses pour les entreprises.

Les modes étalent plusieurs avantages pour susciter votre engouement. La pertinence universelle(One-Size-Fits-All), étant applicable dans presque toute industrie, culture ou entreprise. La facilité à implanter, nécessitant simplement une opération couper-coller. L’harmonie avec le Zeitgeist, offrant une solution aux problèmes contemporains. La nouveauté sans être radical, présentant une fraîcheur qui ne menace pas trop les valeurs managériales. Finalement, la légitimité, étant crédibilisées par des gourous.

Malheureusement, nombre d’études montrent que les modes managériales ont assez peu d’effets sur la performance. Alors, il faut vous demander : le succès tient-il vraiment à l’adoption de « nouvelles pratiques »? Ne serait-il pas préférable de bâtir sur les acquis?

Jamais de solutions simples à un problème complexe

Le principal avantage des modes managériales est d’offrir une solution facile à une problématique complexe. Malheureusement, c’est aussi leur défaut, expliquant leur insuccès. Essayer de simplifier la complexité conduit toujours au contraire à l’aggraver, en ajoutant d’autres problèmes à celui que l’on veut régler. Le seul moyen d’améliorer la performance de votre entreprise est de tirer avantage de la complexité dans son intégralité. Mais, comment cette complexité prend-elle forme?

Vous avez sans doute remarqué que, quels que soient les mécanismes utilisés pour encadrer le personnel et leurs actions, quelles que soient les règles, procédures et structures mises en place, quelle que soit la qualité de la planification stratégique et le nombre de plans élaborés, les choses ne se passent jamais comme prévu. En fait, l’entreprise est un système complexe qui ne fonctionne pas par ses composantes considérées individuellement, mais parce que celles-ci sont en continuelle relation pour former un tout cohérent. Particulièrement, les acteurs y interagissent en continu les uns avec les autres, influençant tout ce qui s’y passe.

Concrètement, ces interactions sont formelles, se faisant lors d’activités structurées. Mais elles sont tout autant, sinon plus informelles, se produisant dans les corridors ou devant la machine à café. Elles visent alors tant les enjeux organisationnels que ceux personnels. En effet, certaines fois, ces échanges peuvent être relatifs à des événements programmés, comme de définir une position commune en vue d’une réunion. Mais plus souvent, elles touchent les relations sociales, les rumeurs, le vécu, les influences politiques, etc.
Aucun de ces arrangements informels n’est représenté dans les organigrammes, ni rapporté dans les documents officiels, ni considéré dans les réunions formelles. Pourtant, ils contribuent tout autant, sinon plus que les dispositifs formels à déterminer ce qui se produit dans l’entreprise et, surtout, sa performance.

Les résultats sont déterminés par la dynamique entre les acteurs

Dans un système social complexe comme l'organisation, ce n’est pas seulement les choses et les évènements qui comptent, mais aussi le sens qu'on leur donne. Cette perception, elle s’échafaude dans les interactions entre les gens. Cela explique que les résultats sont finalement déterminés par la dynamique entre les acteurs qui interagissent sur une base continue.

Dans ce contexte, pour comprendre une situation, un problème, ce n'est pas tellement les faits qui sont déterminants, mais plutôt l'interprétation qu'en font les gens. Pour illustrer, si des rumeurs de réorganisation apparaissent dans votre organisation. Dès lors, les acteurs analysent, évaluent ce qu'ils risquent d'y perdre ou d'y gagner et, immédiatement, se positionnent stratégiquement.

Complexité va donc de pair avec incertitude. Une situation complexe comporte des éléments imprévisibles. Par exemple, dans la gestion d'un projet il est impossible d'anticiper l'ensemble des réactions des parties prenantes. L’entreprise est un monde où beaucoup d'agents s'adaptent les uns aux autres et où l'avenir est extrêmement difficile à prévoir.

Manager en tirant avantage de la complexité : la formulation de problèmes

Pour tirer avantage de la complexité, pas besoin d’investissement financier majeur, ni d’implanter un gros changement. Il suffit de temps et de votre détermination à bâtir en équipe. Cela veut dire travailler avec trois concepts qu’il importe de bien distinguer : le réel, la réalité et la vérité. Le réel est bien sûr ce qui existe. La réalité est le réel tel qu’il est perçu par chaque partie prenante, à partir de sa façon de penser et de ses intérêts. En conséquence, dans le monde de la complexité il n’y a pas une, mais des réalitésqui sont assurément différentes d’une personne, d’un groupe à l’autre. Pour sa part, la vérité est la réalité partagée. Elle se construit à partir de la structure des références communes nécessaires pour être membre de l’organisation. La vérité ne peut donc pas venir de l’externe et s’imposer aux acteurs sans qu’ils puissent agir dessus, comme le présupposent les modes managériales.

Le recours à la technique de Formulation de problèmes vous permet de faire émerger cette réalité partagée. La meilleure décision n’est pas alors celle qui repose sur la description la plus exacte possible du réel, les faits comme disent les experts. Elle est plutôt celle qui prend racine dans la mise en commun de la pluralité des réalités que les différents acteurs perçoivent de la situation. Elle repose sur l’amorce d’un dialogue, d’une négociation avec chaque partie prenante, afin d’arriver à une représentation de la situation, une formulation du problème qu’elle peut faire sienne. C’est seulement ainsi que chacune trouve son intérêt à coopérer, à s’engager à ce que la solution fonctionne.

L’outil pour ce faire est la traductionau sens étendue du terme, puisqu’il ne s’agit pas de traduire d’une langue à une autre. Elle vise plutôt à établir, dans une même langue, des « ponts » entre des univers culturels et conceptuels différents. Cela consiste à convertir un énoncé, une prise de position d’une partie prenante pour faciliter sa compréhension par les autres. Cette série de traductions interprétatives est la condition de l’émergence d’un monde « partagé », mais attention, jamais « commun » puisqu’il n’est d’aucune façon question pour personne de renoncer à ses positions et à ses enjeux.

Dans toute prise de décision, vous devez jouer le rôle d’animateur-traducteur pour favoriser les interactions entre les parties prenantes. Mais aussi et surtout, les alimenter en traduisantles positions et les enjeux de chacune pour les autres.


Pour aller plus loin, un guide pour vous accompagner : Les problèmes organisationnels : formulation et résolution