Il est des basiques faciles à perdre de vue. Comme le fait qu’une entreprise est une communauté d’hommes et de femmes qui ne peuvent produire qu’en coopérant. Certaines expériences font douter de cette évidence, notamment quand dominent les logiques de pouvoir et de territoire ou bien quand la performance individuelle est érigée en principe exclusif.

Lorsqu’une entreprise se développe, il est assez fréquent qu’elle se complexifie et que les logiques de coopération deviennent moins évidentes ou naturelles. La technostructure est souvent une tueuse du sens et de l’implication au travail mais aussi, en diffusant ses effets, de la créativité et de la performance globale.

La coopération, un enjeu renouvelé

Trois causes ont conduit les logiques de coopération à être aujourd’hui un enjeu central :

- L’individualisation des objectifs, y compris pour des personnes qui contribuent aux mêmes livrables, a parfois amené à la mise en concurrence des collaborateurs, ainsi qu’à des situations de stress qui ne sont pas toujours compensées par d’autres dispositifs.

- L’aspiration des salariés à plus de collectif est croissante depuis une dizaine d’années, comme en témoignent les enquêtes d’engagement, à l’international et plus encore en France.

- Les innovations de rupture et les transformations réussies sont souvent le fruit d’équipes projet interdisciplinaires affranchies d’une partie des contraintes de l’entreprise. Les dirigeants y voient la preuve que la transversalité est un accélérateur à généraliser.

La mobilisation dans la réussite de l’autre

Coopérer, ce n’est pas simplement se concerter ou répartir les tâches pendant les moments de forte charge, c’est coproduire dans un rapport de confiance et d’exigence. De ce point de vue, le stade ultime de la coopération est constitué par la mobilisation d’un collaborateur dans la réussite de ses collègues.

Ce n’est pas une relation facile à construire, d’autant qu’elle ne peut s’établir que pour un objectif externe aux acteurs développant cette coopération : ils collaborent au service du client ou dans le cadre d’un projet dont l’objectif est supérieur à ceux de ses contributeurs.

Comment faire vivre la coopération ?

Écartons les réponses psychologisantes. Quatre pistes permettent de stimuler la coopération en entreprise :

1) Promouvoir une logique de « contribution au collectif »

La réorganisation d’une direction industrielle, composée de services autrefois séparés, a conduit récemment un groupe à mettre en place de nouveaux rituels de management. Parmi ceux-ci, un tableau de bord prospectif utilisé en réunion de direction. Ses indicateurs n’ont de sens qu’au niveau global, à la condition que chaque responsable de service amène sa contribution et se positionne dans une logique de« rang supérieur ». L’approche paraît très simple, mais elle change la donne. Dès lors, arrive un temps où le responsable de la maintenance ou de la production dépasse ses logiques de périmètre et s’inscrit dans une coopération dépassant son seul intérêt.

2) Aligner les processus RH, notamment en matière de gestion de la performance et derémunération

Un nombre croissant d’entreprises font machine arrière en matière d’individualisation des rémunérations. Elles ont non seulement constaté le développement de comportements mercenaires, mais aussi un impact financier négatif lié à l’absentéisme et aux RPS générés par la mise en concurrence interne. Quand les dispositifs de rémunération prendront-ils enfin en compte l’évolution des organisations, le fonctionnement en mode projet ou en matriciel et l’interdépendance des compétences ? D’autant que la rémunération variable peut facilement devenirun instrument de reconnaissance de l’individu, mais dans sa contribution aucollectif.

3) Stimuler les fonctions transverses pour qu’elles jouent un rôle defacilitateur

Communication, Finance, Qualité, RH ou encore RSE sont souvent de bons témoins du niveau de transversalité effective. Une partie de leur valeur ajoutée consiste à mobiliser l’ensemble des métiers et à agir directement sur la coopération. Dès qu’une fonction se positionne ainsi en animateur de la transversalité, elle gagne en crédibilité et en efficacité. Les fonctions RH qui organisent des échanges rassemblant tous les métiers sur les budgets d’augmentation plutôt que de traditionnelles « bilatérales » gagnent sur tous les registres.

4) Expliciter les différences d’approche entre ceux qui ont à coopérer

Personne n’est compétent seul. Les exigences en termes de qualité et d’innovation supposent d’ouvrir le jeu des parties prenantes et d’élargir l’écosystème. Cela conduit à mettre autour de la table des profils, des compétences et des logiques différentes, voire antagonistes. Dans ces conditions, la principale condition de succès est d’expliciter, le plus en amont possible, l’intérêt à agir de chacun, les « drivers » en d’autres termes. Ces derniers restent trop souvent implicites et sont souvent source de fantasmes : que veut vraiment l’autre ? Dois-je montrer ce que je veux vraiment?

Lorsque je suis face à des acteurs aux enjeux différents, je leur pose deux questions très simples : « Qu’avez-vous à perdre et qu’auriez-vous à gagner de cette coopération ? » Surpris, les participants fournissent des clés qui permettent de mieux les mobiliser. Ainsi, pour reprendre le vocable de la théorie des jeux, la coopération est facilitée parce que chacun connaît ses possibilités d'action, celles des autres « joueurs », les gains résultant de ces actions et les motivations de chacun.

« Le plus grand plaisir humain est sans doute dans un travail difficile et libre fait en coopération, comme les jeux le font assez voir. » écrivait le philosophe Alain, il y a près d’un siècle, dans ses Propos sur lebonheur.