La loi de ratification pérennise les nouvelles règles sur le télétravail sans les simplifier


L’ordonnance Macron devait simplifier le recours au télétravail aussi bien pour l’employeur que pour le salarié. Finalement, avec la publication de la loi de ratification, il n’y a pas plus de droit pour le salarié que de simplification pour la plupart des employeurs.


Plébiscité[1], aussi bien par les salariés que par les employeurs, ce mode d’organisation du travail n’en reste pas moins très encadré.

C’est au niveau européen que tout commence avec un accord-cadre signé le 16 juillet 2002 par les partenaires sociaux européens (Unice, UEAPME, CES, CEEP)[2]. Après une transposition en France via l’accord national interprofessionnel (ANI)[3]du 19 juillet 2005, c’est une loi[4]du 22 mars 2012 qui est venue encadrer le télétravail.

Les mesures de cette loi, qui s’inspirent directement de celles de l’ANI de 2005, sont à leur tour modifiées par l’ordonnance[5]Macron n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail. C’est la publication de la loi[6]de ratification du 29 mars 2018 qui permet de donner à ces nouvelles règles une valeur législative.

A travers cette ordonnance et la loi de ratification, le gouvernement souhaite encourager le recours au télétravail.

Pourtant, que ce soit à la demande des salariés ou un souhait de l’employeur, la mise en œuvre du télétravail n’est pas si simple.

Les nouveaux textes cherchent à faciliter le recours au télétravail

Le télétravail[7]est défini, par l’ordonnance n° 2017-1387, comme étant une forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication.

Ainsi, la distinction entre télétravail régulier et occasionnel disparaît. Désormais, Le télétravail est mis en place dans le cadre d'un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d'une charte élaborée par l'employeur, après avis du comité social économique, s'il existe. En l'absence de charte ou d'accord collectif, lorsque le salarié et l'employeur conviennent de recourir au télétravail, ils formalisent leur accord par tout moyen. Si auparavant, il fallait que l’accord du salarié passe par la signature d’un avenant à son contrat de travail, aujourd’hui le télétravail peut être mis en place par exemple par un simple mail, à défaut d’accord collectif ou de charte. C’est bien là ce que le gouvernement considère comme étant le signe d’une simplification : que le télétravail soit régulier ou occasionnel, il peut être mis en place de gré à gré.

Avec l’ordonnance, puis la loi de ratification, le gouvernement cherche à promouvoir cette forme de travail. D’ailleurs on peut lire sur le site du Ministère du Travail : « Les ordonnances pour le renforcement du dialogue social ont simplifié le recours au télétravail pour les entreprises et leurs salariés »[8].

Pourtant, la prudence s’impose face à ces nouveaux textes, d’application subtile

Lorsque les nouvelles mesures relatives au télétravail ont été annoncées, de nombreux médias ont considéré qu’il s’agissait d’un nouveau droit pour les salariés. Sur Europe 1, par exemple le 6 septembre 2017on pouvait entendre le témoignage d’une personne en stage dans un cabinet de conseil qui compte bien utiliser ce nouveau droit lorsqu’il serait salarié[9].

Or, il n’y a pas de « droit au télétravail ». Les modes d’organisation du travail relèvent du pouvoir de direction de l’employeur qui reste libre d’organiser ou non du télétravail dans son entreprise. La confusion vient des nouveaux textes qui introduisent l’obligation pour l’employeur de motiver sa réponse lorsqu’il refuse d’accorder le bénéfice du télétravail à un salarié qui occupe un poste éligible à un mode d'organisation en télétravail, tel qu’il est mis en place dans l’entreprise, dans les conditions prévues par accord collectif ou, à défaut, par la charte.

A ce propos, il est à noter que c’est seulement lorsque le télétravail est mis en place via un accord collectif ou une charte que l’employeur devra motiver son refus d’accorder le télétravail à un salarié qui occupe un poste considéré comme éligible dans l’entreprise. A contrario, cette obligation n’existe pas lorsqu’il n’y a pas de charte ou d’accord collectif. Ce qui n’empêche pas l’employeur de rester cohérent dans ses choix.

D’autant que l’ANI du 19 juillet 2005 s’applique toujours

A cela s’ajoute la question des textes applicables à l’employeur qui décide de mettre en place du télétravail dans son entreprise.

En effet, les mesures de l’ordonnance Macron et de la loi de ratification ont remplacé celles de la loi de 2012. Mais l’accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juillet 2005, ayant précédé la loi de 2012, est toujours applicable pour les employeurs qui rentrent dans son champ d’application. Or si la loi de 2012 avait repris l’essentiel de l’ANI de 2005, ce n’est pas le cas des nouveaux textes.

Pour rappel, lorsqu’un accord national interprofessionnel est étendu, il s’impose aux employeurs qui rentrent dans son champ d’application. Celui de l’ANI du 19 juillet 2005 comprend toutes les entreprises du secteur marchand, à l’exception de celles dont l’activité n’est pas représentée par l’une des trois organisations patronales signataires, c’est-à-dire le Medef, la CPME et l’UPA. Si bien que les employeurs qui dépendent de l’ANI restent contraints par cet accord.

Par exemple, l’article 2 de l’accord sème le trouble sur les formalités préalables à la mise en œuvre du télétravail. Ce mode d’organisation peut faire partie des conditions d’embauche du salarié ou être mis en place par la suite, sur la base du volontariat. Dans ce dernier cas, l’article 2 de l’ANI précise qu’un avenant au contrat de travail est nécessaire. Par conséquent, un employeur dépendant de l’ANI de 2005 et qui décide de mettre en place le télétravail via une charte devra également faire signer à son salarié un avenant à son contrat de travail alors même que cela n’est pas prévu par les nouveaux textes.

Prenons un autre exemple avec la prise en charge des coûts liés au télétravail. Depuis le 24 septembre 2017, l’article L. 1222-10 du Code du travail ne prévoit plus que l’employeur est tenu de prendre en charge tous les coûts découlant directement de l'exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci. Cette suppression dans le Code du travail a d’ailleurs valu un grand nombre de titres dans les médias selon lesquels les frais relatifs au télétravail n’étaient plus pris en charge par l’employeur.

Pour autant, là encore, les employeurs qui dépendent de l’ANI et qui mettent en place le télétravail par une charte ou par tout moyen, restent tenus de prendre en charge les coûts directement engendrés par ce travail, en particulier ceux liés aux communications[10].

D’ailleurs, d’une façon générale, les employeurs sont tenus de respecter les différentes décisions de la Cour de Cassation en ce qui concerne la pris en charge des coûts directement liés au télétravail. Considérer qu’il n’y a plus d’obligation pour l’employeur de financer les différentes dépenses découlant du télétravail serait en décalage avec la jurisprudence et source de litige ultérieur.

Finalement mettre en œuvre le télétravail n’est pas si simple

Les nouveaux textes ont pour ambition de favoriser le recours au télétravail, et l’employeur qui souhaite le mettre en place dans son entreprise aura trois possibilités. S’il ne souhaite pas ouvrir de négociations sur le sujet ni élaborer une charte, il pourra formaliser par tout moyen, via un simple mail par exemple, le fait que l’employeur et le salarié conviennent de recourir au télétravail. Toutefois, cela demande à l’employeur de rappeler à chaque fois le cadre dans lequel le télétravail s’organise, avec le risque de rencontrer des situations identiques gérées différemment, notamment sur la prise en charge des frais.

L’employeur a donc tout intérêt à rédiger, a minima,une charte. L’article L. 1222-9 du Code du travail rappelle les différents éléments que doit contenir la charte, ou l’accord collectif relatif au télétravail. La charte présente l’intérêt de rappeler les règles devant s’appliquer aux différentes situations, télétravail régulier ou occasionnel ou encore en cas de situation exceptionnelle. L’inconvénient est bien sûr pour les employeurs qui relèvent de l’ANI de 2005 qui devront quand même passer par la signature d’un avenant au contrat de travail, lorsque le salarié demande à bénéficier de télétravail en cours de contrat.

Il reste alors la signature d’un accord collectif qui permet de contourner l’ANI de 2005. Faut-il encore disposer dans son entreprise d’au moins un délégué syndical ou d’un conseil d’entreprise, sachant que depuis le 1ermai 2018 l’accord majoritaire devient la condition de validité des accords. Pour les entreprises dépourvues de délégué syndical ou de conseil d’entreprise, depuis les ordonnances Macron, l’employeur peut manifester son souhait de négocier auprès de ses représentants du personnel, ou de ses salariés. Dans ce cas, l’employeur devra respecter les nouvelles conditions de validité[11]des accords qui dépendent, d’une part, des signataires (représentant mandaté, non mandaté ou salarié mandaté) et d’autre part, de l’effectif de l’entreprise.

Vous en conviendrez, ce n’est finalement pas si simple de mettre en œuvre le télétravail, et ce, malgré la simplification annoncée lors de la publication des ordonnances Macron.

Conclusion

Dans un monde de changement où chacun doit développer ses capacités d’adaptation, le télétravail a sa place. Il permet notamment au salarié de bénéficier d’une certaine souplesse dans l’organisation de son travail et de mieux concilier sa vie familiale et sa vie professionnelle. Pour l’employeur c’est un moyen d’assurer la continuité de service en présence de situation exceptionnelle et en cas d’épisode de pollution tel que cela a été rajouté par la loi de ratification. S’il est bien encadré, le télétravail peut également favoriser une meilleure qualité de vie au travail.

Mais toute la difficulté réside dans l’encadrement du télétravail : quels sont les postes éligibles, télétravail régulier et/ou occasionnel, quels sont les frais qui seront pris en charge, comment appliquer le droit à la déconnection, comment décompter le temps de travail à distance… Autant de questions que l’employeur et le directeur des ressources humaines devront se poser pour que ce mode d’organisation du travail contribue au cercle vertueux de l’entreprise.


[1]Le Figaro : http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/dessous-chiffres/2017/08/19/...

[2]Unice : l’Union des industries de la communauté européenne ; UEAPME : Union européenne de l’artisanat et des petites et moyennes entreprises ; CES : la confédération européenne des syndicats ; CEEP : Centre européen des entreprises à participation publique et des entreprises d’intérêt économique général.

[3]Accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 étendu par arrêté du 30 mai 2006, JO du 9 juin 2006 et modifié par un arrêté du 15 juin 2006, JO du 24 juin 2006.

[4]Loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, JO du 23 mars 2012

[5]Ordonnance n° 2017-1387 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail, JO du 23 septembre 2017.

[6]Loi de ratification n° 2018-217 du 29 mars 2018, JO du 31 mars 2018.

[7]Article L. 1222-9 du Code du travail

[8]http://travail-emploi.gouv.fr/actualites/l-actualite-du-ministere/articl...

[9]http://www.europe1.fr/economie/code-du-travail-louverture-dun-droit-au-t...

[10]Article 7 de l’ANI du 19 juillet 2005.

[11]Ordonnance n° 2017-1385 relative au renforcement de la négociation collective, JO du 23 septembre 2017.

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