NDLR : pendant le mois d’août, nous remettons en ligne quelques un des articles les plus lus sur RH info au cours de l’année.


Intelligence artificielle : Les DRH seront-ils bientôt remplacés par des robots ?

L'année 2017 restera marquée, en dehors du renouveau de l'appareil politique en France , par l'arrivée en force de l'intelligence artificielle et des robots dans les environnements personnels et professionnels comme en témoigne le nombre de start-ups spécialisées dans ces domaines présentes à Vivatech, l'évènement majeur du digital qui s'est déroulé à Paris en juin 2017. Ce qui est en jeu est la substitution progressive de l'homme par la machine dans un certain nombre d'activités qui seraient "automatisables" comme l'ont été durant la première moitié du 19ème siècle celles des tisseurs de soie à Lyon remplacées par des métiers à tisser conduisant à la célèbre révolte des canuts.

Intelligence Artificielle et robots : un tsunami annoncé sur les emplois de demain

Cette compétition entre l'homme et la machine est donc ancienne mais ce qui est nouveau avec cette nouvelle vague de l'intelligence artificielle est la part croissante des activités, de plus en plus intellectuelles, qui sont susceptibles d'être prises en charge par des robots pilotés par des algorithmes puissants de type machine learning permettant à ces machines d'apprendre progressivement l'exécution de tâches de plus en plus sophistiquées. Face à ce qui apparait comme un véritable tsumani annoncé sur les emplois de demain[1], les DRH doivent être en mesure de comprendre et maîtriser ces évolutions et particulièrement dans leur champ de responsabilités : si un certain nombre d'activités RH pourront certainement être prises en charge par des robots et l'intelligence artificielle, il n'en reste pas moins que, bonne nouvelle, la dimension humaine du rôle des DRH les préserve d'un risque de leur remplacement par des robots doués d'une intelligence artificielle. Comme le souligne en effet Luc Ferry, on est encore loin de la mise œuvre d'une intelligence artificielle "forte", caractérisée par l'intuition et l'émotion, deux compétences essentielles maîtrisées par les DRH.

Les apports potentiels de l'Intelligence Artificielle (IA) pour les DRH

Si le concept d'Intelligence Artificielle (IA) est déjà ancien avec les travaux d'Alan Turing durant les années 1950, ce n'est récemment que l'IA a acquis ses lettres de noblesse en deux vagues brillamment décrites dans un livre récent[2] : celle des années 1980 qui a suscité des espoirs mais aussi des déceptions en raison des capacités de calcul limitées des ordinateurs de l'époque et la deuxième qui date d'une petite dizaine d'années avec une forte accélération depuis 2015.

Dans le domaine RH, les apports potentiels de l'IA sont multiples parmi lesquels on peut citer le recrutement, la mobilité et les fameux "chatbots" qui représentent les prémices d'une vague montante annonçant une véritable révolution pour le métier de DRH. Dans les pratiques de recrutement, tout d'abord, l'IA peut, pour les candidats et les recruteurs, relier les talents au meilleur emploi et à l'entreprise, plus rapidement, et souvent avec un niveau de précision et de fiabilité plus élevé que les méthodes traditionnelles comme le montrent les résultats obtenus avec les outils de "matching affinitaire" prenant en compte aussi bien la personnalité des candidats que la culture d'entreprise. Les pratiques de mobilité sont, ensuite, susceptibles d'être sérieusement impactées par l'IA dans la mesure où les données sur les compétences possédées par les individus et les compétences requises existent et peuvent donc être rapprochées par des algorithmes puissants permettant de prendre des décisions de mobilité plus objectives. Mais c'est, enfin, au niveau du back-office RH que le l'IA peut s'avérer particulièrement prometteuse avec le développement de robots conversationnels ou "chatbots" qui peuvent prendre en charge, avec l'aide d'une IA relativement peu sophistiquée, une partie croissante de la partie administrative RH comme les réponses à des questions des collaborateurs sur les droits à congés.

C'est, en définitive, une partie assez importante de métier du DRH qui risque d'être "ubérisée" par les outils de l'Intelligence Artificielle et autres robots mais ces évolutions signifient-elles pour autant la disparition des DRH comme elle est rêvée par certains depuis plusieurs décennies ? La réponse est évidemment négative car la machine ne remplacera jamais la relation humaine si essentielle dans un monde de plus en plus digital mais elle peut néanmoins faciliter la transformation du DRH de demain en "DRH augmenté".

Vers le DRH augmenté grâce à l'IA ?

Il est raisonnable d'imaginer que le DRH de demain saura utiliser à bon escient les apports de l'IA dans ses principaux domaines de responsabilités (GPEC, recrutement, mobilité, carrière, gestion de la performance, rémunération, études d'engagement, e-réputation..) mais il serait illusoire de croire que les outils d'IA et les robots les plus sophistiqués puissent remplacer à court terme, c’est-à-dire d'ici 2030, le DRH qui continuera à maîtriser deux compétences essentielles dans son métier : l'intuition et l'émotion. L'IA et les robots l'aideront certainement dans sa mission de relation humaine auprès de ses premiers clients, managers et collaborateurs, en prenant en charge une partie de l' activité "automatisable" avec une plus grande efficacité et en l'aidant dans ses décisions, le transformant ainsi en "DRH augmenté". Le DRH pourra alors jouer, entre autres rôles, ceux de "guide des personnes" et de "garant des valeurs" : deux rôles qu'aucun outil d'IA ou robot ne pourra prendre en charge à court terme si l'on admet que l'on est encore loin de l'IA forte.

Le DRH, comme guide des personnes, devra faire preuve de compétences relationnelles et humaines encore plus développées que celles qui sont exigées aujourd'hui. Les collaborateurs pourront, certes, avoir recours à des outils d'IA et des robots pour obtenir des réponses à la plupart de leurs questions routinières mais la présence d'un DRH sera essentielle lorsque le collaborateur aura un sujet personnel et sensible à traiter et qui demandera de la finesse et de la confidentialité. Le DRH gardera par ailleurs la maîtrise de la validation finale de la décision vis-à-vis du collaborateur et la possibilité de traiter lui-même des questions précises de gestion des personnes.

Le DRH, comme garant des valeurs, sera plus essentiel encore dans une entreprise qui aura de plus en plus recours à l'IA et aux robots, en RH et dans d'autres domaines de gestion, afin de préserver notamment une utilisation éthique de ces technologies. Les risques existent en effet de la non-prise en compte du facteur humain dans le déploiement de ces technologies comme l'a montré par le passé la diffusion de technologies nouvelles comme celles des outils nomades durant les années 2000[3]. Et ce rôle de garant des valeurs est d'autant plus important que les valeurs de la confiance, de la responsabilisation et de la coopération sont celles souvent associées à la révolution digitale.

L'IA et les DRH : le retour aux fondamentaux

Ce qui est en jeu avec l'IA est un nouveau partage des rôles entre la machine et l'homme : à la machine les activités automatisables y compris celles qui peuvent faire l'objet d'un apprentissage de type "machine learning", à l'homme les activités qui demandent de l'intuition et de l'émotion avec, comme corollaire, la créativité du génie humain qu'aucune machine ne saura égaler dans un avenir proche. Dans cette perspective, le DRH est bien positionné car sa fonction s'appuie largement sur les fondamentaux de la relation humaine avec ses composantes de l'intuition et le de l'émotion. Parions que le DRH remplacé par un robot n'a pas encore vu le jour, ce qui nous donne une bonne trentaine d'années pour réagir.


NDLR : Ce texte, reproduit ici avec l’aimable autorisation de l’auteur, a déjà été publié par la revue Personnel : http://www.andrh.fr/services/la-revue-personnel


[1] "L'intelligence artificielle va être un énorme tsunami", La Tribune.fr, 19/05/2007

[2] Devillers, L. : Des robots et des hommes, Plon, 2017

[3] Besseyre des Horts, CH.: L'entreprise mobile, Pearson, 2008