Le marché de l’emploi est un marché de promesses. Il n’y a que sur la base d’une promesse qu’un salarié vient rejoindre une entreprise pour y occuper un nouveau poste. Il y a, bien sûr, des conditions concrètes qui sont définies : lieu, salaire, qualification… mais c’est sur la base d’un engagement moral et d’une espérance de ce que l’un va donner à l’autre que va se réaliser la « transaction ».

C’est en fait une double promesse, celle de l’entreprise à travers sa « marque employeur », celle du salarié à travers son « personnal branding ». Il est convenu par avance que ni l’un ni l’autre ne va pas totalement tenir sa promesse, mais l’équilibre des promesses convenu lors du recrutement doit rester à peu près le même. L’entreprise continue à gérer le salarié sur la base de sa promesse ; en lui attribuant par exemple une augmentation au titre de son potentiel au-delà de la performance réalisée. Le salarié, de son côté, constate bien que les éléments de la promesse de l’employeur ne sont pas tous au rendez-vous, mais est attaché à ce que l’essentiel de ce qu’il est venu chercher soit bien là. Lorsqu’il n’y a plus de promesse de part et d’autre, il ne reste plus que les éléments « durs » du contrat de travail et il n’y a plus ce sentiment d’engagement que porte la promesse.

« On ne prête qu’aux riches »

Candidats et entreprises cherchent à se rassurer en se donnant des « preuves » tangibles de la bonne réalisation future de la promesse, à force de classements de bon employeur “good place to work” ou de parcours millimétrés et attendus (double cursus école d’ingénieur, école de commerce et début de carrière en cabinet d’audit). Les entreprises sont en mutation ou en transformation de manière profonde dans des systèmes de plus en plus complexes ; et souvent, ce qui fait partie de la promesse n’est qu’une représentation partielle de la réalité. D’où une certaine désaffectation vis-à-vis des grandes entreprises, qui étaient auparavant la « voie royale »… ou une adhésion de façade.

Les candidats eux-mêmes sont « suradaptés » dans la contradiction, avec des envies personnelles qui ont du mal à s’exprimer et des schémas de carrière convenus. D’où des retournements de situation, des départs non anticipés de hauts potentiels au moment où on leur demande de prendre des responsabilités. La réversibilité des engagements n’a jamais été aussi forte, et il est facile d’en attribuer la cause à un manque de sens, à des conflits de valeurs, à des comportements inappropriés des managers.

Ne prêter qu’aux riches, c’est prendre le risque d’un clonage et d’un appauvrissement des Ressources Humaines. Sans compter qu’on peut mettre de côté bon nombre de personnes qui ont moins de facilité à se vendre, ou qui présentent des parcours moins linéaire. L’usage abusif de la promesse crée de la désillusion chez les premiers de cordée et de la frustration chez les salariés qui ne savent pas se vendre.

La promesse est loin d’être autoréalisatrice. Un peu moins de promesse, un peu plus de part laissé au risque et à la diversité, une approche différente de l’échec et du rebond permettent sans aucun doute permettent sans aucun doute d’engager plus de collaborateurs dans la durée.

« La promesse c’est pour la vie »

L’effet magique de la promesse est tellement fort que les échéanciers, les moments où les uns et les autres évaluent effectivement les contributions passent souvent au second plan avec la crainte d’avoir à se déjuger. D’où une certaine obstination d’employeurs et de salariés d’aller jusqu’au bout d’une promesse à laquelle on ne croit plus vraiment. Une promesse peut se tenir ou bien alors se rendre, une promesse temporaire est moralement aussi valable et bien plus efficace.

« Seuls les écrits restent »

Le propre de la promesse est qu’elle est le plus souvent verbale ; c’est l’acte préparatoire d’un contrat qui a plus de valeur que celui-ci. Il y a toujours des choses qui ont été dites lors des entretiens d’embauche qui nouent l’alliance bien plus que les documents qui parlent de la marque employeur ou des CV donnés par le candidat. Par la suite, ce qui crée du lien entre un manager et son collaborateur, c’est ce qui est dit lors d’un entretien annuel, ce qui est écrit étant le plus souvent dans une langage neutre convenu. Attention aux tigres de papiers (définitions de fonctions, chartes de valeurs…) qui ne remplaceront pas l’effet engageant de la promesse.

« Rien n’empêche de faire des promesses de Gascon »

Le plus simple est de promettre sur la forme et peu sur le contenu en utilisant les symboles du moment, des locaux design, du story telling à outrance et avec la caisse de résonnance des réseaux sociaux. Le risque systémique est d’attirer en contrepartie des salariés qui ne sont eux même que des promesses. Cela se produit souvent sur des secteurs d’activités très financiarisés ( start up, trading, …) où le modèle économique repose déjà essentiellement sur une attente de revenus futurs ( voir les « fonds à promesse », OPCVM sans garantie sur le capital).

Parfois, lorsque la bulle éclate, on se rend compte que les modes de management et de relation au sein de l’entreprise sont plutôt pauvres. Le risque est de se ruiner en promesses même si au départ elles ne coûtent rien.

Des salariés sans promesses ?

Plus on descend dans les niveaux de qualification, plus il est difficile de promettre. Pour ceux qui en ont fait l’expérience, la part de rêve dans un entretien de recrutement ouvrier n’est pas élevée ; et au cas où vous auriez envie de faire quelques promesses, votre interlocuteur vous rappelle rapidement qu’il n’est « que salarié ». La promesse aiguise la méfiance, l’usage est plus de se plaindre de promesses non tenues. Par rapport aux situations de pénurie de main d’œuvre, aux difficultés d’engagement, la promesse est nécessaire mais il est nécessaire de marcher sur des œufs et de soutenir le management de proximité qui est en charge de faire vivre la promesse de l’entreprise.

Que conclure ?

Un article de ce type ne peut se conclure que sur une promesse qui pourrait être la suivante : plus l’employeur tient sa promesse, plus les salariés (honnêtes) sont enclins à tenir les leurs et plus ils sont engagés. Et on ne peut qu’inciter ceux qui trouvent ce postulat trop optimiste à multiplier les démarches d’expérience utilisateur, les 360°, les enquêtes qualitatives et quantitatives pour bien voir où on en est de la tenue des promesses.

Un dernier mot : il doit y avoir en entreprise une personne qui se porte caution des promesses. C’est un rôle difficile, ce qui peut expliquer les retours parfois décevants des systèmes de cooptation ou d’ambassadeurs. C’est la posture délicate des cabinets de recrutement qui peuvent se limiter à promouvoir de « belles opportunités » pour des « beaux candidats ». C’est le rôle souvent déterminant du RH qui se retrouve finalement au milieu de l’échange de promesse entre le salarié et son responsable hiérarchique et qui connait trop les effets des promesses non tenues. Garant des promesses, voici encore une nouvelle mission délicate qui repose sur les épaules des RH.