Bâtir une critique constructive, et exprimer sa colère

« Nous devrions avoir une petite conversation ! »

Pour beaucoup d'entre nous, la perspective d'une conversation sérieuse est crispante.

Rares sont les personnes qui abordent avec le sourire un entretien avec des enjeux.

Peur du mot de trop, de la divergence d'opinion, peur de s'énerver, de partir dans une escalade réciproque … bref … de perdre le contrôle et d'aggraver la situation, alors qu'on voudrait l'améliorer, ou au minimum l'éclaircir.

Et puis, soyons francs, nous nous mettons aussi la pression pour « être positif».

Pourtant, exprimer nos critiques est souvent nécessaire.

De même, il est également souhaitable d'exprimer sa colère et toutes les émotions difficiles: déception, tristesse, sentiment de trahison …

C'est une démarche d'affirmation de soi, qui fait partie du savoir-être, quels que soient les contextes.

Elle est utile pour soi, et aussi pour l'autre :

- Cette démarche est vitale pour soi-même, car ne rien dire ou ne rien faire face à une situation insatisfaisante amène à de la frustration, de la rumination et donc à une baisse des performances en contexte professionnel.... la pression monte … et cela finit toujours par exploser (envers l'autre : disputes, accusations, ruptures ...), ou imploser (envers soi : burn-out, dépression...)

- Elle est aussi vitale pour l'autre, qui a besoin de se situer dans la relation. S'il ne reçoit aucun message clair, comment pourrait-il évaluer son positionnement et éventuellement, le corriger pour éviter les conséquences indésirables ?

Fondamentalement, il n'y a rien de pire que la non-communication, siège de tous les malentendus et de toutes les souffrances. Car ne pas recevoir de retour de nos interlocuteurs nous amène à avoir l'impression de ne pas compter, de ne pas avoir d'importance, d'être transparent... invisible.

Levons les tabous sur « le négatif »

Il flotte dans la société une injonction à être « positif », « optimiste », à se comporter de manière « bienveillante ». Ces notions ne sont pas toujours bien comprises et peuvent donner lieu à de lourds contresens.

Une étude publiée dans la Harvard Business Reviewa démontré que 57% des collaborateurs préfèrent recevoir un feed-back correctif, plutôt que des compliments et de la reconnaissance. 72 % pensent que cela est plus à même d'améliorer leur résultat et de faire avancer leur carrière. La plupart des gens sont convaincus que les critiques constructives sont essentielles et souhaiteraient en recevoir de la part de leur manager.

Il semble donc que la critique constructive est difficile à émettre, pourtant elle est souhaitée par le récepteur.

Il y a un contraste entre l'anticipation négative à court terme de l'émetteur, et les effets positifs à long terme pour chacun.

La critique ou la colère ne sont pas en elles-mêmesdes objets négatifs. Ce sont des messages, des informations. Elle correspondent à une vérité, à un besoin d'authenticité et de clarté.

La colère par exemple fait comprendre la gravité des comportements et de leurs conséquences. Leur potentiel destructeur ne vient pas de leur nature, mais de la manière dont elles sont exprimées.

Extériorisées de manière agressive ou maladroite, critiques et colère attaquent l'autre dans son identité, dans son estime de soi, et elles abiment la relation.
Mais au contraire, avancées de manière affirmative et respectueuse, elles peuvent avoir des effets très positifs. Le sentiment de recevoir un retour honnête et franc améliore la relation.

Cela augmente la confiance en soi, car la personne concernée a un sentiment de contrôle sur ce qui se déroule.

Nous allons voir aujourd'hui les fils rouges pour bâtir une critique constructive.

Gardons d'abord en mémoire qu'il existe trois niveaux de communication : sur le comportement, sur la personne, et sur la relation. Un feedback respectueux et utile porte toujours sur le comportement.

Pour rester constructif, ce que le feedback ne doit pas surtout pas être :

  • Une occasion de disqualifier la personne et de la juger dans son essence : « Tu es égoïste », ... « Vous êtes radin », « ...inconscient », «... stupide », « ...idiot »....
  • Une menace sur la relation : « Si ça continue comme ça, tu pourras te chercher un autre employeur » (ou un autre mari, ou une autre épouse)
  • Un grand déballage fourre tout qui mêle les frustrations ou les reproches accumulés depuis des lustres.
  • Une accusation permanente de l'autre, sous le mode du langage « Tu,tu tu ... » (ou « Vous, vous, vous... »).
  • Une généralisation du comportement « Toujours », « Jamais » ...
  • Un interminable monologue sans échange et sans écoute.

La méthode en 4 étapes pour donner un feedback correcteur :

Votre démarche comporte 4 temps, assez proches du modèle que nous avons évoqué dans l'article sur « L'art de demander »:

1) Préparer l'entretien :

  • Quelle est la situation ?
  • Quel est le problème pour vous dans cette situation ?
  • Que ressentez-vous ?
  • Que voulez-vous demander ?
  • A quels droits se rattachent votre demande (Sur cette notion, relire « On ne peut pas ne pas communiquer »)

2) Choisir votre moment :

Prévoyez de faire cet entretien dans un moment et un endroit calme, sans urgences qui risquent d'interrompre la conversation. Veillez à l'intimité de l'entretien, il serait vexatoire (et dangereux) de faire vos remarques en public. Eventuellement planifiez un rdv: « Je besoin de parler avec vous, pourrions-nous nous voir demain à 14H ? »

A ce stade de votre démarche, dosez légèreté et formalisme. Ne soyez pas trop solennel, mais montrez bien que vous maîtrisez le processus sur une question importante, et qu'il n'est pas question de botter en touche.

3) Utiliser la méthode DESC :

Dans leur livre « Asserting Yourself » Sharon et Gordon Bower, spécialistes de la Psychologie Cognitive, proposent une démarche baptisée DESC.

Un acronyme pour :

Describe : Décrire factuellement le comportement indésirable.

Express : Exprimer les émotions ou pensées à propos du comportement, avec un message « Je »

Specify : Spécifier le comportement alternatif, ou le changement de comportement que je propose.

Consequences : Conséquences gratifiantes et positives du nouveau comportement.

Ce qui pourrait donner par exemple :

D : « Lors de notre dernière réunion, vous avez critiqué l'entreprise devant un client.

E: Je me trouve dans une situation très inconfortable, à la fois concernant le client et concernant vos collègues. Cela peut donner une image négative de notre organisation.

S: Pourriez-vous s'il vous plait partager d'abord avec moi vos réflexions constructives sur les améliorations à porter à nos processus ?

C: Cela nous permettrait d'arriver devant le client après une démarche structurée et des propositions concrètes.

Cette effort de co-construction nous permettrait d'avoir une communication cohérente et améliorerait notre cohésion d'équipe. »

4) Sortir de l'entretien :

Planifier de faire le point quelques semaines plus tard.

Remercier pour l'attention donnée à ce sujet.

Dans l'entretien ultérieur pour faire le point :

  • Si le changement est survenu : remercier et complimenter,
  • Si le changement est partiel : utiliser la technique du disque rayé.
  • Si le comportement inadapté persiste : monter d'un cran, en passant à la communication progressive.

Vous pouvez aussi intégrer les conséquences négatives de la persistance du comportement à l'étape C de la démarche DESC. Par exemple « Si malgré mes demandes vous poursuivez vos critiques sur l'entreprise devant les clients, je devrais vous exclure des réunions impliquant des personnes extérieures. Je serais également tenu d'informer vos collègues et ma hiérarchie de cette décision. »

A ce stade de notre série d'articles concernant l'affirmation de soi, votre boîte à outils s'est joliment étoffée !

Les approches et les techniques exposées vous permettent de comprendre les enjeux d'une communication où vous prenez toute votre place sans dévorer l'autre.

Vous avez les clefs pour être cohérent envers vous-même et vos interlocuteurs.

Vous savez créer un environnement sécurisant qui mêle réciprocité et échange.

Vous êtes également capable de déjouer les pièges relationnels.

Vous avez reçu un savoir théorique et des illustrations des méthodes.

A vous de concrétiser cela dans votre quotidien.

Osez dire les choses !

Osez prendre votre place et jouer votre rôle !