Je ne relate pas tous les postes que j’ai occupé dans mon CV, en particulier celui public sur Linkedin. Je n’y mentionne que ceux où cela s’est bien passé, dont j’ai un bon souvenir, et où on peut appeler pour se renseigner sur moi. Mais il s’est produit des cas de souffrance morale occasionnels et j’en tais l’existence. Cependant il est possible que ces « perpétrateurs » me lisent et se fassent une opinion sur moi, composée de leur expérience et de ce que je me suis mis à raconter. Ces cas pénibles correspondent à des situations « d’attentes » mutuelles qui ont été déçues. Et au lieu de se dire « zut, j’ai oublié de vérifier quelque chose » on rejette son malheur sur la personnalité de l’autre, on le maudit. Ce qui a cloché était dans ma manière de travailler, où je respectais des « standards déontologiques » que je pensais être ceux de mon métier, et que ceux-ci ne convenait pas aux leurs. C’était des conflits de normes, de canons. Nous n’avions pas pris le soin lors de l’embauche de vérifier notre compatibilité déontologique. Car celle de mon recruteur aurait pu susciter l’attention des Services Fiscaux ou d’autres services de l’entreprise. Certaines personnes trouvent normal ce qui ne l’est pas pour d’autres.

Dans un éditorial de Gaspard Koenig paru dans Les Echos, celui-ci semble honnir que morale et législation se soient mises à converger. C’est pourtant l’essence qui constitue les déontologies, les principes de ce qu’il convient de faire dans l’exercice d’une activité. Truander, mot d’origine gauloise signifiant tricher, est-il un principe admissible dans une déontologie ? G. Koenig dénonce avec justesse l’apparition d’un concept « d’abus de droits » pour interdire aux joueurs les plus malins de profiter de failles dans les règles du jeu. Le législateur avoue son inaptitude à concevoir des règles sans erreurs, et demande aux joueurs d’être fair play. La coque du navire a des défauts, des fuites, et c’est à l’équipage de les assumer plutôt que leur fabricant. Les lois sont livrées sans garantie de qualité. Pourtant il a été admis en philosophie par Socrate que n’est injuste que ce qui est réprimé par une loi, et que comme le dira JP Sartre, il faut qu’elle soit écrite. Les lois orales peuvent être ignorées, sauf si le législateur et le justiciable reconnaissent tous deux qu’elle fut communiquée, ce qui peut nécessiter des témoins s’il y a désaccord. Et puis une loi orale peut s’oublier, l’écrit est inaltérable, incorruptible.

Mais se produit alors dans le cours du jeu cet écart qu’il y a entre le droit français ou germanique, d’origine romaine, et celui « anglo-saxon » des Common Laws. Le premier essaie de définir tous les cas possibles et les rédige, tandis que le second fixe une règle générale et décide ensuite au cas par cas à mesure des plaintes pour injustice. C’est l’écart entre jouer à un jeu de plateau commercialisé, testé et mis au point, et celui d’en inventer un sommairement puis interdire des actions au fil du déroulement du jeu. Dans le premier cas on s’applique à respecter des règles, ou les enfreindre à l’insu des autres joueurs, mais dans le second les joueurs doivent admettre un arbitre qui règle les plaintes non précisées dans les règles, et deviennent alors force de loi. Or il m’est à présent évident qu’au sein d’une population on trouve les deux types de joueurs, qui sont friands de l’une ou de l’autre des deux approches, avec chez chacun une certaine proportion portée à truander les autres joueurs, ou à truander l’arbitre. Truander paraît pour certains normal, faisant partie de la norme, de la déontologie. Mais si j’en crois le récit de Jules César découvrant la Gaule, les truands s'y faisaient immoler.

Lorsqu’on créé une entreprise, ou une association selon la loi de 1901, on invente un nouveau « terrain de jeu ». Au cours du temps de nouveaux joueurs rejoignent la partie, d’autres la quittent. Les seules règles écrites au départ sont des statuts, puis vient un règlement intérieur. Mais avec l’adhésion à des normes ISO, l’officialisation que l’organisation suit des normes internationales, vont apparaître des procédures, et enfin depuis peu un code déontologique. Pour le joueur le jeu se complexifie, et son plaisir à jouer s’accroît ou diminue selon ses goûts, en particulier celui de la simplicité, et de son appétit pour le truandage. Ce qui devrait à ce moment être choisi est l’option entre la gouvernance tayloriste où des « hautes sphères » décrètent les nouvelles règles pour tout le monde, ce « règne des managers », ou bien une gouvernance plus démocratiquesollicitant l’avis des joueurs sur un projet de règle. Il y a alors une « rupture historique » avec l’apparition des Intranet, car au lieu d’assemblées de délégués élus auxquels le « peuple » octroie le pouvoir de représenter leurs intérêts, il devient possible de réaliser des référendums à tout moment, que tout le « peuple » s’assemble en quelques clics.

Mais la conséquence est alors lourde entre une technocratie et une médiocratie. Avec Taylor « l’ordonnateur » a suivi une formation, a un niveau d’études élevé, et a des connaissances en ergonomie, en la science qui connait les meilleures façons de travailler d’après une moyennedes physionomies et psychologies. Hélas les travailleurs ne sont pas calibréscomme des obus de canon. Le concept de l’homme-machine ne tenait aucun compte de l’altérité des individus. Et lorsqu’il devient nécessaire d’établir une justice, une équitédans les droits et les devoirs, et dans son niveau de salaire, il faut bien qu’il y ait des règles qui soient les mêmes pour tous, et respectées. Nous voyons alors, un cran au-dessus du choix du « Kratos », du type de gouvernance, de qui sera « couronné », qu’il faut d’abord convenir du mode de justice qui réglera les rapports entre les joueurs, entre le gouvernement et les « citoyens », et si ceux-ci doivent être rémunérés justementpar des barèmes, ou librementsans aucune équité.

Je présume que c’est en suivant un raisonnement analogue que Solon établit la Constitution démocratique d’Athènes. Et qu'il me semble que ce que haïssent tous les gouvernants de société ou d'organisation sont les troubles, or ceux-ci tendent à apparaître avec les injustices, lorsque les pouvoirs des uns et des autres ne sont plus équitables et respectés. L'organisation pose un ordre des choses.

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