Redonner la parole à ceux qui en sont habituellement privés. Cette attente, qui s’exprime de manière criante vis-à-vis de nos institutions publiques, est également présente – certes, de manière moins spectaculaire – au sein des entreprises. Il est regrettable que la préconisation du rapport Gallois de 2012 en faveur d’une meilleure représentation des salariés aux Conseils d’administration n’ait pas été entendue par le législateur. Au-delà du déficit de participation des salariés aux décisions stratégiques, on peut s’interroger sur l’insuffisance de leur participation aux décisions opératoires qui concernent pourtant leur travail quotidien.

Dans un contexte qui nécessite de plus en plus d’adaptation et d’intelligence collective, ne serait-il pas temps de reconnaître l’animation de la discussion sur le travail comme le cœur de l’action managériale ?

Quelques points clés pour se donner les moyens de discuter du travail sans se disputer.

1/ Connaître le travail

La centralité des diplômes et des statuts, particulièrement développée en France, peut laisser croire qu’il n’est pas nécessaire de connaître le travail pour pouvoir le manager. Or, les spécialistes des tableaux de bord – adeptes du pilotage à distance – sont incapables d’animer la discussion sur le travail. Ils préfèrent répondre aux sollicitations de leur équipe par un « débrouillez-vous, soyez autonomes ! ». Les dysfonctionnements s’accumulent alors dans un climat de frustration et de désengagement. Pas de doute, on a besoin de managers ancrés dans la réalité de terrain.

2/ Distinguer conflits d’idées et conflits de personnes

Un manager peut hésiter à débattre de situations concrètes avec son équipe, non seulement par peur de mettre en lumière son incompétence sur des points qu’il maîtrise mal, mais aussi par peur du conflit.

C’est que le conflit est généralement vu de manière négative, comme le signe d’une opposition ou d’une tension entre deux parties. On peut au contraire le voir comme l’expression de plusieurs libertés !

Le conflit est constructif à condition de porter sur les différentes façons de voir le travail, et non sur les personnes. Ces deux types de conflit – conflit d’idées / conflit de personnes – sont inversement liés : plus le manager met le travail en discussion, plus le risque de conflits interpersonnels diminue grâce à la dynamique collective générée.

3/ Accueillir sans jugement la parole de l’autre

Pour que des conflits d’idées ne dérivent sur des conflits de personnes, l’existence d’un climat de bienveillance est nécessaire. Lorsqu’on estime que l’autre ne va pas user de sa liberté à notre détriment, la parole se libère. Envolée la peur d’être jugé.

Frédéric Laloux (1) énonce le cas d’une entreprise allemande dans laquelle les réunions se déroulent sous l’œil vigilant d’un volontaire équipé de petites cymbales qu’il fait tinter dès lors que le principe de bienveillance n’est pas respecté. Les participants doivent alors attendre la fin du joli son cristallin avant de reprendre la parole, temps durant lequel chacun est invité à méditer sur l’attitude inappropriée qui a été adoptée.

4/ Favoriser la simplicité et la spontanéité des échanges

Pour nécessaire qu’il soit, l’accueil bienveillant de la parole de l’autre est insuffisant si le cadre d’échange reste excessivement formaliste.

On a besoin de simplicité et de spontanéité. Que de solutions pratiques trouvées en quelques minutes autour de la machine à café ! Ces échanges ne peuvent toutefois se substituer à la tenue des réunions, notamment parce que l’ensemble de l’équipe n’est pas forcément présent dans ces situations informelles.

Mais de multiples techniques (créativité, facilitation graphique, design thinking, etc.) peuvent être utilisées en réunion, précisément pour favoriser la parole dans une atmosphère décontractée.

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Le goût et l’aptitude à la discussion sur le travail méritent d’être placés au cœur des politiques de recrutement, de formation et de gestion des carrières. Promouvoir des personnes de dialogue aux postes à responsabilités représente sans doute le signal le plus fort et le plus crédible d’une volonté de redonner de la visibilité et de l’efficacité au travail réel. Pour que les échanges trouvent la plénitude de leur sens, encore faut-il que l’organisation gagne en agilité en redonnant des moyens et du pouvoir d’agir aux acteurs proches du terrain. Histoire de ne pas discuter pour rien…


(1)Laloux F. (2015, p.235), Reinventing Organizations. Vers des communautés de travail inspirées, Les Editions Diateino.

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