L’image ternie de la fonction RH par un livre : aux DRH de s’interroger et de réagir !


Ce texte a déjà été publié dans la revue "Personnel" en mai 2018. http://www.andrh.fr/services/la-revue-personnel


Un retour d’expérience partiel et partial

Avec le témoignage d’un ancien DRH s’exprimant sur les plateaux de télévision (France 2, BFM TV, LCI…) et repris dans son ouvrage au titre provocateur[1], on a assisté récemment au dernier épisode du RH Bashing qui avait été dénoncé avec force dans la revue Personnel en 2014[2] et dans un livre paru en 2017[3]. Comme le souligne, en effet, la 4ème de couverture du livre en question « pour la première fois, un DRH dénonce la collusion entre les ressources humaines et les directions d’entreprise visant à dissoudre le lien social, et à instaurer une culture de la peur ». Il faut croire que, pour assener une telle « vérité » afin de faire vendre cet ouvrage, le/la responsable de collection de l’éditeur n’a aucune connaissance de la littérature qui décrit et analyse l’entreprise depuis de nombreuses décennies. Il/elle aurait pu lire ou relire l’un de nos plus fins connaisseurs de l’entreprise, le sociologue Michel Crozier décédé en 2013, qui dès 1963 avait décrit, dans un livre qui a fait date[4], certains des principaux dysfonctionnements de l’entreprise autour de la question des relations de pouvoir. Dans cette perspective et depuis plus de 50 ans, les ouvrages n’ont pas manqué en effet pour mettre en évidence les carences de l’entreprise et de certaines fonctions au premier rang desquelles on trouve souvent la Fonction RH prise comme bouc émissaire de tous les maux vécus par les collaborateurs, dédouanant de fait les autres acteurs internes et externes.

Face à ce qui apparait comme une nouvelle tentative pour déstabiliser une profession toute entière, il convient de réagir en soulignant que les DRH doivent tout d’abord s’interroger sur l’existence de certaines faiblesses récurrentes de la fonction RH que ce livre met , malgré tout, en évidence et en leur proposant ensuite quelques réflexions pour leur permettre d’agir pour renforcer la fonction RH en développant leur rôle en tant qu’« activiste crédible » aux antipodes de l’image caricaturale de « l’exécuteur » véhiculée par le livre en question.

Des faiblesses récurrentes de la fonction RH

Force est de reconnaître que les remous provoqués dans la profession RH par ce livre début 2018 sont assez comparables à ceux de 2013 après la sortie d’un autre livre[5] qui avait également suscité un débat passionné. Si ces deux ouvrages, de même que certains articles académiques ou professionnels et des films grand public comme « Corporate » en 2017, ont eu de l’écho pour alimenter les critiques à l’encontre de la fonction RH c’est sans doute le signe que cette dernière n’est pas exempte d’interrogations sur certaines de ses faiblesses récurrentes dont trois d’entre elles sont maintenant évoquées.

La fonction RH se voit stratégique depuis plus de trois décennies comme le défendaient déjà certains ouvrages fondateurs dans les années 80[6], or la réalité observée encore aujourd’hui montre que l’on est encore loin du compte dans un certain nombre d’entreprises. La mode du RH «Business Partner » en est une des raisons principales car être partenaire du business se traduit souvent sur le terrain par des DRH et RRH aux ordres du business sans aucune capacité d’influence. Même dans les CODIR ou les COMEX il y a un strapontin, et c’est malheureusement souvent le (ou la) DRH qui l’occupe. Il faut cependant noter que la tendance est en train d’évoluer vers un rôle stratégique de la Fonction RH plus affirmé comme le soulignent les résultats de l’étude Apec-ANDRH réalisée en 2017[7]sur les offres d’emploi.

Le professionnalisme de la fonction RH est fréquemment questionné comme le montrent les nominations de DRH, sans aucune expérience dans le domaine RH, depuis une dizaine d’années notamment dans les entreprises du CAC 40 : le choix d’un dirigeant venant du business à la tête de la Fonction RH est justifié, entre autres raisons, par une meilleure connaissance des enjeux de l’entreprise et une plus forte capacité à piloter les transformations[8]. Il faut ici aussi reconnaitre que ces observations doivent être nuancées par le fait que la plupart des DRH, en dehors des entreprises du CAC 40, sont des professionnels RH auxquels on reconnait une réelle expertise . Mais, ce qui est souvent en cause est plus profond à savoir la difficulté à être perçu par les autres acteurs de l’entreprise comme étant crédible surtout lorsque les services rendus par la fonction RH ne sont pas au niveau de qualité attendue par ses parties prenantes.

La fonction RH souffre, plus que les autres grandes fonctions de l’entreprise, de la difficulté à donner des preuves tangibles des résultats de ses actions car le champ de l’humain ne se prête pas facilement à l’exercice de la mesure. Que ce soit sur la question du temps nécessaire pour mesurer les effets des actions RH mises en œuvre ou sur la qualité des indicateurs et autres instruments de mesure, la fonction RH se voit régulièrement interpellée par les autres fonctions qui, bien que n’ayant souvent pas des instruments d’une fiabilité supérieure, sont beaucoup plus à l’aise dans la manipulation des chiffres.

Face à ces faiblesses récurrentes, les DRH doivent bien évidemment agir pour éviter qu’un nouvel épisode du RH bashing jette encore le doute sur toute une profession.

Quelques réflexions pour que les DRH puissent renforcer l’image de leur fonction

Sans avoir la prétention de donner des solutions miracles, il est possible de proposer quelques réflexions aux DRH pour leur permettre de renforcer l’image de leur fonction auprès de leurs parties prenantes.

Une attention particulière doit être tout d’abord donnée aux activités qui constituent le socle de la fonction RH : l’administration du personnel et la dimension juridique. La crédibilité se fonde largement sur la qualité du service perçu dans ces domaines. Des erreurs dans les bulletins de paye peuvent, par exemple, nuire durablement à l’image des RH dans l’entreprise.

Les questions de la rigueur et de la cohérence des politiques et pratiques RH sont également centrales pour renforcer l’image de la fonction. Les DRH doivent, en particulier, veiller à la satisfaction des attentes de leurs parties prenantes dans la définition et la mise en œuvre de ces politiques et pratiques. Ainsi , par exemple aujourd’hui, de nombreuses entreprises remettent en cause actuellement l’entretien annuel de performance pour le remplacer par des rencontres plus régulières de feed-back entre managers et collaborateurs.

Bien sûr, les DRH doivent ensuite faire preuve d’ouverture aux autres métiers et activités de l’entreprise aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de celle-ci. Leur connaissance des autres logiques d’acteurs est un élément essentiel pour asseoir leur crédibilité auprès de leurs collègues du CODIR ou du COMEX. On est bien loin ici de l’image de la « tour d’ivoire » qui caractérise encore actuellement la place de la fonction RH dans certaines entreprises.

Les DRH doivent, par ailleurs, éviter de céder aux sirènes de la dernière mode managériale particulièrement à l’heure de la révolution digitale. Même si les innovations dans les pratiques RH sont susceptibles de revaloriser l’image de la fonction, il est vital pour les DRH de faire preuve de discernement en examinant avec soin la pertinence de ces innovations dans le contexte culturel et stratégique de leur entreprise qui n’est souvent pas comparable avec celui des entreprises qui les ont déjà mises en œuvre .

Enfin, les DRH doivent pouvoir bénéficier de l’expérience de leurs pairs et d’autres managers à l’intérieur ou l’extérieur de l’entreprise en participant à des communautés, réelles ou virtuelles, qui peuvent les aider à renforcer la position de leur fonction notamment en s’inspirant de bonnes pratiques. De ce point de vue, les groupes locaux de l’ANDRH constituent des lieux d’échanges privilégiés pour des DRH et RRH souvent seuls sur le terrain.

Ces différents points ne constituent que quelques exemples de réflexions qui peuvent inspirer les DRH pour renforcer l’image de leur fonction mais ils peuvent aussi s’appuyer sur les résultats de l’importante étude prospective[9]menée jointement par l’ANDRH pour les professionnels RH et l’AGRH pour les chercheurs académiques. On y trouve des pistes très intéressantes pour le renforcement de l’image de la fonction RH sous la forme notamment des 7 compétences et postures attendues demain de la part des DRH: veiller, piloter, transformer, accompagner/conseiller, écouter, respecter et mesurer. On mesure à lecture de ce rapport à quel point la fonction RH du futur est aux antipodes de celle décrite dans le livre-témoignage de l’ancien DRH. Espérons seulement que cette vision prospective devienne progressivement une réalité largement diffusée dans les entreprises.


[1]Bille, D. : DRH, La machine à broyer, Le Cherche-Midi, Collection Documents, 2018

[2]Besseyre des Horts, CH : « Pour en finir avec le RH Bashing », Personnel, n°555, Décembre 2014, pp.44-45

[3]Barabel, M. (coord.) : Pour une fonction RH inspirante : une réponse au RH Bashing, Editions Entreprises et Carrières, 2017

[4]Crozier, M : Le phénomène bureaucratique, Le Seuil, 1963

[5]Amadieu, JF. DRH : Le Livre Noir, Le Seuil, 2013

[6]Fombrun,C, Tichy, N. & Devanna, M.A : Strategic Human Resource Mangement, Wiley, 1984 et Besseyre des Horts, C.H. : Vers une gestion stratégique des ressources humaines, Editions d’Organisation, 1988

[7]Apec/ANDRH, Evolution de la fonction RH à travers les offres d’emploi de l’Apec, octobre 2017

[8]Eyssette, F. & Besseyre des Horts, C.H . : Comment la DRH fait sa révolution, Eyrolles, 2014

[9]Téléchargeable sur https://www.andrh.fr/actualites/10/rh-70-21-scenarii-prospectifs-des-met...