Non, les RH ne sont pas incompatibles avec l’Organisation Produit et les pratiques Agiles
Le train passe à toute vitesse dans un vacarme métallique.
A l’intérieur les Rockstars, les Makers, les ninjas du Lean, de l'Agile et de l'Innovation sirotent leur café le dos bien calé, et regardent distraitement les silhouettes du quai emmitouflées, plissant les yeux pour se protéger du déplacement d’air glacé. Leur train a du retard, ils attendront encore un peu en regardant passer le rapide qui saute leur petit bled de province dans sa course effrénée. Ce train que nous avons tous un jour maudit tout bas la goutte au nez, c’est celui de la Transformation Digitale, de la mutation des organisations, de l’entreprise libérée, de l’efficience et de l’Innovation, le chant sacré qui passe en boucle depuis quelques années. A l’intérieur, il y a un wagon-Lab où l’on vous sert des Hackatons, du Lean Startup et de la disruption. Le contrôleur est Agile et ne bronche pas tant que vous êtes Kaizen et que vous adoptez l’Amélioration Continue.
Petit décryptage de l’Agilité
A l’origine, le logiciel est développé en suivant des cycles longs balisés par des spécifications grosses comme la Russie. Et puis on s’est rendu compte que le développement d’une solution informatique est hautement imprédictible de par l’incapacité du client à bien connaitre et exprimer ses besoins, et par celle de l’équipe de développement à prévoir les immanquables bugs et soucis de production qui ne manqueront pas de venir s’incruster comme les poux sur la tête d’un marmot. Alors on s’est mis à développer du logiciel par petites itérations en étroite collaboration avec le client, et en privilégiant les interactions entre les individus aux processus et aux outils. L’Agile était né.
Depuis, de plus en plus d’entreprises convertissent leur organisation pour passer d’une production logicielle « Cycle en V » où le produit suit dans l’ordre un certaine nombre d’étapes codifiées (généralement Specs -> Dev -> Test -> Marketing/Vente), à une production « Agile » où le produit est bâti par petites itérations successives mâtinées de chaque étape susmentionnée. Les plus avancées d’entre elles disposent aujourd’hui d’une organisation dite « Produit » où la solution logicielle est divisée en plusieurs Propositions de Valeur, chacune portée en autonomie (dans l’élaboration de la roadmap autant que dans le pilotage du budget) par une petite équipe (moins de 10 personnes) pluridisciplinaire. Une « Pizza Team » comme on dit dans le milieu.
C’est beau, et c’est bien. Dans un univers hautement imprédictible, laisser la responsabilité de l’approche client et du choix des fonctionnalités à « ceux qui font » permet de réduire considérablement le temps passé à produire des choses qui ne délivrent aucune valeur et laisse la liberté d’adopter une approche expérimentale, la seule efficace pour faire face au « chaos de l’innovation ». C’est à cela que servent les grandes manœuvres de la Transformation (Digitale) dont on parle depuis quelques années : passer d’une organisation majoritairement centrée autour des rôles et des métiers à une organisation centrée autour des Valeurs délivrées au client par de petites équipes très autonomes et alignées sur la stratégie de l’entreprise par un management qui délaisse le contrôle au profit du coaching.
La Transformation Digitale des organisations est sélective
Hélas, si les démarches pour « Agilifier » nos entreprises sont louables, force est de constater que ce sont toujours les mêmes qui ont droit au menu du chef. Les programmes de Transformation et le cortège d’initiatives qui en résulte restent trop souvent l’apanage des équipes plus ou moins liées à l’outil numérique de par l’historique particulier évoqué plus haut, généralement les personnes au sein des directions IT ou de la DSI selon l’ampleur de la transformation, laissant planer un doute sur la capacité d’agilité des directions hors du giron numérique.
Et pourtant, la Transformation Digitale devrait être pleinement inclusive
C’est fort dommage, car ces cousines oubliées ont tout autant la capacité de s’emparer de l’agilité, et tout particulièrement la direction RH qui paradoxalement s’implique aujourd’hui beaucoup dans l’organisation des programmes de Transformation. Rappelons que l’un des principes phare de la Transformation Digitale est d’éliminer les intermédiaires entre les personnes qui œuvrent sur le produit et les clients, afin que cette précieuse expérience terrain ne souffre d’aucune perte immanquablement provoquée par sa délégation à des tiers. Le client est d’une manière générale la personne qui bénéficie de la valeur délivrée par le produit, et ce n’est donc pas nécessairement le client externe de l’entreprise. Selon cette définition, une direction RH a pour clients les collaborateurs de l’entreprise, les candidats, et les candidats potentiels. Parlez de B2E (Business to Employee) si vous voulez faire bien à la machine à café.
Prenons un exemple : conformément à la stratégie de l’entreprise, une direction RH se voit confier la mission de rendre l’entreprise plus attractive auprès des jeunes générations qui sont encore à l’école. Pour réaliser cela, il va falloir faire plein de choses intelligentes : organiser des journées portes ouvertes, faire des formations sur le secteur d’activité, être présents dans les écoles et entretenir des relations avec les chargés de scolarité, concevoir des affiches et des communiqués, signer des conventions de stage et d’alternance, faire passer des entretiens… . Il va aussi falloir innover ! Tout cela demande des compétences variées : juriste, graphiste, expert métier, chargé de recrutement, UX… . Toutes réunies en une seule équipe pluridisciplinaire se levant le matin pour aller travailler dans le même bureau avec une seule préoccupation : que puis-je faire aujourd’hui pour renforcer un peu plus ma valeur délivrée ? L’approche expérimentale est de mise puisque, tout comme pour la fabrication d’un logiciel, la promotion de l’entreprise portée par notre équipe produit RH est hautement incertaine de par la méconnaissance du client et de son environnement : chaque action effectuée n’aura jamais été tentée avant. C’est donc en autonomie et sans demander la permission que nos ninjas RH feront leur tambouille chaque jour pour donner toujours plus envie à nos étudiants de s’intéresser à l’entreprise.
Un mindset qui s’adapte à tous les métiers. Oui, tous !
Quant au contrôle du travail bien fait, il doit obéir exactement aux mêmes règles que toute bonne Organisation Produit : pas de surveillance quotidienne sur des considérations bassement terre à terre qui ennuient tout le monde comme les horaires, le nombre de CV lus à l’heure ou le minutage de la journée, mais plutôt une mesure de métriques très haut niveau qui sont le reflet direct de la valeur délivrée. En l’occurrence, le meilleur moyen de savoir si notre équipe produit « Jeunes » fait du bon travail, c’est de regarder le nombre de candidatures spontanées reçues à l’approche des périodes de stage. Si ce chiffre augmente au fil du temps, c’est que l’équipe est efficace. Nul besoin de plus. Parlez d’OKR (Objective Key Results) si vous voulez faire bien à l’apéro.
Les exemples similaires ne manquent pas au sein d’une direction RH : une équipe produit faisant en sorte que chaque nouveau collaborateur se sente comme chez lui dès le premier jour, une autre sur le thème de la formation chargée d’enrichir la culture des personnes autour de sujet avant-gardistes, une autre encore œuvrant pour que les collaborateurs handicapés puisse travailler sans plus de peine que les autres… . Jusqu’à décomposer une direction hiérarchisée et procédurière en une mosaïque de petites « Squads » pluridisciplinaires très autonomes, chacune habitée par sa valeur, dont la moitié du temps sera consacrée à la découverte du client sur le terrain, et l’autre à l’élaboration de solutions pour renforcer la proposition de valeur en adéquation avec la stratégie de l’entreprise.
Les directions RH ne doivent pas se contenter d’orchestrer la Transformation pour les autres. Elles peuvent et doivent y prendre part !
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