Article co-écrit avec Mahé Bossu

Prendre conscience de l’importance du sujet de la diversité est plus que jamais nécessaire et doit conduire à une équité effective dans les sphères professionnelles et personnelles du citoyen·ne. Nous le rappelions dans un premier article. Néanmoins, qui est responsable de déclencher cette conscience collective et d’en porter les actions qui en découlent ?

Bien souvent, face à un sujet qui relève de dimensions à la fois individuelles, collectives, sociales et sociétales, les protagonistes se renvoient la balle de la responsabilité. L’entreprise dira que c’est à l’Etat de s’emparer de cette question quand la justice proposera un cadre juridique ; L’éducation nationale sera frileuse et invitera les individus par ailleurs à agir par eux-mêmes. Les citoyen·nes se sentiront alors petit·es et impuissant.es face à ces institutions. Les associations accuseront ce qu’elles appellent le système de les empêcher d’agir pleinement et celui-ci n’évoluera pas. Evidemment, ceci dépeint un tableau très sombre et masque les initiatives collectives comme individuelles déjà en place à l’échelle locale, nationale voire mondiale. L’enjeu n’est plus de savoir qui est le coupable ; La question n’est plus de savoir « qui est le plus responsable de la situation et qui doit initier le mouvement ». Le mouvement doit être en effet initié par tout un chacun, à son échelle, dans son environnement social et dans les espaces de proximité auxquels elle·il appartient. Si cet article se focalise alors sur le rôle de l’entreprise (et de ses salarié·es), c’est parce qu’il s’agit de l’environnement social de la majorité des lecteur·rices de RH Info et donc le terrain sur lequel nous pouvons, toutes et tous, agir en tant que salarié·es, indépendant·es, entepreneur·ses, dirigeant·es… Parce qu’il n’est plus possible, face à un tel sujet, de pointer du doigt ce que les autres sphères de la société ne font pas pour justifier notre propre inaction.

Agir pour le bien-vivre ensemble : un choix volontariste

Nous pourrions nous poser l’éternelle question « qui de la poule ou l’œuf » : nous demander qui doit faire le premier pas, reprocher aux lois de ne pas être assez dissuasives ou au label diversité de ne pas être assez prescripteur et contraignant. C’est certainement le cas mais ils ont le mérite d’exister. Agir pour le bien vivre ensemble est par nature un choix volontariste dont nous estimons que l’entreprise doit le porter. « La question de la diversité marque le réinvestissement par l’entreprise de sa mission intégratrice première et de sa fonction sociale » (Bruna, 2011)

En s’inscrivant dans une perspective RSE, nous estimons que l’entreprise a également un devoir social par nature. Qui dit entreprise, dit travail et le travail est un fait social total[1] en ce qu’il repose sur de nombreuses dimensions : morales, familiales, juridiques, symboliques, économiques… (Alter, 2002). Source d’épanouissement, facteur de dignité sociale, origine du pouvoir d’achat, d’indépendance financière… le travail est fondamentalement structurant dans toute société. En cela, l’entreprise, fournissant du travail a de fait inévitablement un impact sur celle-ci. Les choix qu’elle fait alors des conséquences de portée sociétale. Moins bien rémunérer une catégorie de la population (sur la base de critères d’identité de genre par exemple), refuser d’en recruter une autre (sur des critères d’origine socio-culturelle par exemple), ne pas lutter contre le harcèlement au sein de son entité, a des répercussions sur les personnes concernées (baisse du pouvoir d’achat, exclusion sociale, sentiment de rejet…).

L’entreprise ne peut plus s’affranchir des conséquences de ses décisions sur la société civile car même l’inaction est un choix.

Le rôle des individus qui composent l’entreprise

L’entreprise est un lieu de socialisation dans laquelle des individus aux profils et origines culturelles variées évoluent, se rencontrent et échangent. Il s’agit en fait d’une micro-société -plus ou moins représentative de la société globale - dans laquelle existe un jeu de relation interpersonnelle. Ces relations sont vectrices d’identité et d’estime de soi. L’entreprise en tant que micro-société n’est-elle finalement pas là où se joue le début du respect de l’Autre ? L’entreprise en tant qu’entité a alors un rôle à jouer pour s’assurer de reconnaitre l’ensemble de ses salarié·es dans leur identité propre et leur individualité. Toutefois, dire cela reste abstrait : qui est « l’entreprise » ? Ce rôle doit être incarné par les personnes qui la constituent, à tout niveau hiérarchique. C’est à chacun·e de s’emparer des questions de respect de la diversité, de reconnaissance de l’individualité, du bien-vivre ensemble, dans ses propres relations quotidiennes sur le lieu de travail (comme dans la vie personnelle d’ailleurs). Chacun·e a un cercle d’influence dans lequel elle·il peut agir : ses collaborateur·rices proches, son équipe, son service… Le cercle d’influence dépend du poste occupé, de la personnalité de l’individu, des responsabilités qui lui incombe, il est plus ou moins étendu, certes, plus ou moins puissant mais il existe forcément. La lutte contre la non-discrimination devient alors la responsabilité de tous et toutes.

De l’engagement réel aux intérêts bien compris

Les entreprises ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Certaines entreprises, ne serait-ce que parce qu’elles sont plus irréprochables que d’autres, le sujet de la discrimination n’est pas un élément central. D’autres, ayant pris conscience de leurs imperfections se sont déjà emparées de ces questions et mènent des actions concrètes pour lutter contre les discriminations. En interne par exemple, sur un plan RH, certaines entreprises repensent leur politique de recrutement, d’autres mettent en place des formations afin de sensibiliser les protagonistes sur ces questions ou encore établissent des chartes éthiques et sélectionnent leurs fournisseurs sur des critères intégrant des notions relatives à la diversité. De la même manière, dans une perspective externe, certaines entreprises vont soigner leur image de marque en rendant visibles (dans la publicité par exemple) certaines catégories de la population peu représentées dans les médias, y compris parfois en communiquant sur des caractéristiques internes (mise en avant d’une figure de l’entreprise appartenant à une minorité visible) développant ainsi la diversité des role modelauxquels chacun·e peut s’identifier.

Ces initiatives résultent pour la plupart de réelles intentions altruistes mais peuvent également être portées par des acteurs ayant parfaitement compris les intérêts qui sont les leur et ce qu’ils ont à y gagner. La diversité est un marché toutefois ces initiatives peuvent aussi s’inscrire dans une démarche militante[2] avec un engagement réel pour défendre des valeurs fortes.

Toutes les initiatives sont-elles alors bonnes à prendre ? Quand le Business se sert des causes pour faire valoir ses intérêts propres, dessert-il les causes elles-mêmes ?


[1]Mauss, théorie du don, 1950

[2]Pour approfondir : entretien de Laure Bereni par Patrick Simond « Le discours de la diversité en entreprise : genèse et appropriations », Sociologies pratiques


Bibliographie :

ALTER Norbert (2002) « Théorie du don et sociologie du monde du travail », Revue du MAUSS

BERENI Laure (2011) « Le discours de la diversité en entreprise : genèse et appropriations », Sociologies pratiques

BRUNA Maria Giuseppina (2011) « Diversité dans l'entreprise : d'impératif éthique à levier de créativité », Management & Avenir

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