Chapitre 2 : Quelles missions et quelle promesse pour la fonction RH ?
Quelle est la Raison d’être de la DRH ? Au milieu de la diversité de ses missions, qu’est-ce qui donne son sens à son action ? On peut choisir de rejeter la question comme purement théorique, mais c’est risqué : un peu comme acheter un logiciel sans savoir exactement à quoi il sert, ou rechercher un prestataire sans cahier des charges précis. Dans ce 2ème volet de notre réflexion sur la fonction RH au XXIe siècle, nous nous attardons sur le « R » de DRH et sur les différents rôles qu’il sous-tend.
Let’s talk about RH, baby
La RH occupe une place à part parmi les fonctions de l’entreprise. Elle ne faisait pas partie des six fonctions de base identifiées au début du XXe siècle par Henri Fayol, qui la rattachait aux questions d’administration et de sécurité. Depuis son émergence en tant que fonction à part entière, dans les années 1920, la RH présente toutes les caractéristiques des sujets « délicats », au même titre que le sexe, la religion ou la politique. Les mots qu’on emploie pour la nommer sont souvent ambigus, à double sens, périlleux. Ils s’usent vite, et il faut en changer régulièrement.
« Service du personnel » : l’expression peut être entendue comme « au service des personnes », ou au contraire comme une « chosification » condescendante des salariés. C’est sans doute pour éviter cette dernière connotation qu’on a promu plus tard l’appellation « ressources humaines » : l’Homme est une ressource, qu’il faut valoriser, chérir, développer. « Il n’est de richesses que d’Hommes » comme disait Jean Bodin. Là encore, le point de vue opposé est également possible : on rabaisse l’humain au rang de simple ressource, à l’image d’un minerai ou d’une matière première. Qu’à cela ne tienne ! On parlera de « capital humain », véritable atout différenciant de l’entreprise. Horreur ! On met l’humain en balance avec des liasses de billets.
C’est que la fonction RH se situe au cœur de l’Entreprise comme structure sociale, avec toutes ses tensions, ses contradictions, ses attentes croisées, ses relations de domination, de concurrence et de co-construction. D’ailleurs, si on donne aux acteurs RH des noms plus incontestablement positifs, comme direction des relations humaines ou – dans les cas extrêmes – responsable du bonheur en entreprise, le résultat est le même : les uns idéalisent, les autres ironisent… Et les tensions ne s’en vont pas pour autant. Repeindre le problème en rose ne fait pas disparaître sa complexité.
Aujourd’hui, ce qui frappe, après au moins un siècle d’existence théorique de la fonction RH, c’est l’absence d’un positionnement clair de cette dernière dans l’entreprise. Quelle est la promesse de la DRH ? La plupart des acteurs RH, et surtout la quasi-totalité des autres, seraient bien en peine de répondre à cette question de façon simple. Nous allons nous y essayer, en partant de l’existant.
Définir la DRH, l’R de rien
Le plus sage reste de s’en tenir à la dénomination la plus courante, celle qui s’est fait un nom dans le monde de l’entreprise depuis des décennies : la DRH. Et d’interroger le sens de l’acronyme – plus particulièrement celui de son pivot : le « R » central de « DRH ».
On peut multiplier les facettes de ce « R », mais commençons par en identifier les quatre principales.
Il y a d’abord le « R » de Risques humains. C’est la DRH experte, qui gère au jour le jour, souvent dans l’urgence, la mise en œuvre d’une fonction marquée par un contexte juridique mouvant et une d’une grande complexité notamment en France.
- Le nez dans le guidon, cette DRH défensive s’inscrit dans la gestion des processus à relativement court terme. Elle est le Legal Partner, et tire son pouvoir et son influence de l’ampleur des dangers qu’elle tient à distance : non-conformité, prud’hommes, non-respect des obligations de formation…
Vient ensuite la signification la plus courante : le « R » de Ressources humaines. Cette DRH-là gère le stock de talents disponible, pour faire en sorte que l’entreprise soit en mesure d’atteindre ses objectifs stratégiques. Elle prévoir des recrutements en grande masse, rationalise, déplace, anticipe les départs, les provoque lorsque c’est nécessaire.
- On s’inscrit ici dans le long terme, dans la gestion prévisionnelle en quantité et en qualité des compétences requises en adéquation avec les orientations business de l’entreprise. Cette DRH est Strategic Partner, celle qu’on s’est félicité de faire entrer au Codir.
En face de ce « R » impersonnel de la ressource se tient le « R » aspirationnel de la Richesse humaine. C’est une DRH accompagnatrice, qui aide les managers à gérer et faire grandir leurs équipes. C’est la dimension « transitive » de la fonction RH : garante de la qualité du management des ressources humaines, du recrutement, de la formation, de la rémunération, de l’évaluation et du développement. Elle ne doit pas en être l’opératrice directe mais l’inspiratrice.
- Cette DRH se projette elle aussi sur le long terme, mais sur le versant managérial, par opposition à celui du process. C’est une DRH Business Player, en appui des managers et au service de la performance globale des équipes.
Enfin, il y a le « R » historique, un peu oublié, celui de Relations humaines. L’expression nous renvoie à l’école de pensée du même nom, qui s’efforçait de redonner à l’individu une autonomie dans l’organisation – une école, cependant, qui a plus marqué l’histoire des idées que celle des entreprises. Aujourd’hui, il s’agit de promouvoir une écoute active des collaborateurs, un échange permanent avec l’ensemble des salariés, un dialogue constructif avec les partenaires sociaux.
- La DRH se situe ici dans le quotidien de la relation, dans le court terme et dans l’humain. Elle est Human Partner. La perception des salariés de leur collaboration et des services RH délivrés constitue pour elle du grain à moudre. Elle s’intéresse à l’expérience que vivent les collaborateurs dans l’entreprise, et travaille à l’améliorer.
Alors, quelle promesse pour la DRH ?
Aujourd’hui, aucun de ces quatre « R » ne peut prétendre résumer la réalité de la DRH sur le terrain. En fonction des entreprises, des contextes, des moments, elle peut accorder plus ou moins de place à l’un ou l’autre. D’autres s’y ajoutent. Le « R » de Responsabilité humaine prend de l’importance : responsabilité de l’entreprise vis-à-vis du collaborateur, de l’entreprise vis-à-vis de la société et de l’environnement, du collaborateur vis-à-vis des causes qui lui tiennent à cœur et qui l’aident à se sentir engagé. Le « R » de Réseau met l’accent sur la gestion des conséquences et des opportunités du digital dans la vie de la communauté humaine qu’est l’entreprise. Le « R » de Renouveau mise sur l’innovation, technologique et surtout organisationnelle. Mais tous ces « R » renvoient à des aspects du métier, à des façons de faire, à des outils. Les quatre que nous avons identifiés définissent des postures, des dominantes.
Aujourd’hui, la doctrine enseignée, et que beaucoup de DRH s’efforcent de mettre en œuvre, se rattache le plus souvent au « R » de Ressources. Avec quelques éléments de langage empruntés au « R » de Richesses, parfois à celui de Relations.
En pratique, cependant, sur le terrain, on retrouve surtout des DRH affairés à gérer les Risques. La complexité d’un cadre légal mouvant, la rapidité avec laquelle les outils numériques se déploient dans l’entreprise et la société laissent souvent peu de temps aux services RH pour faire autre chose que prévenir des catastrophes, garantir la conformité de la paie, des déclarations sociales, des consultations internes, de la formation, des licenciements, de l’utilisation des données des collaborateurs…
Selon la dernière radioscopie de l’Observatoire CEGOS, les DRH, appelés à juger les différents apports de leur fonction, placent aux premiers rangs de ceux-ci :
- leur rôle de conseil sur le terrain auprès des salariés et des managers
- leur rôle de partenaire stratégique et d’accompagnement du changement.
Mais au quotidien, leur rôle administratif demeure largement prédominant : il représente un quart de leur temps de travail, alors qu’il est considéré par les DRH eux-mêmes comme le moins important.
En l’état, la promesse de la DRH à l’entreprise semble être « vous en faites pas, patron, tout est sous contrôle ». Quant à la promesse de la DRH aux collaborateurs, elle est soit inexistante, soit purement incantatoire (le « bonheur au travail »), soit très limitée (« on fera tout pour votre développement quand on aura géré tout le reste »).
Nous croyons à la possibilité et à la nécessité d’une promesse plus positive, plus proactive, plus engageante. Nous souhaitons une DRH qui promet aux collaborateurs et aux managers une expérience de travail de qualité, et qui transforme son écoute en offre de services RH internes. Cela suppose, pour la fonction RH, de se recentrer sur le « R » des Relations humaines. Pour y parvenir, elle doit à la fois dégager du temps pour se reconcentrer sur cette promesse, et se doter des outils pertinents. Ce sera l’objet de notre troisième volet.
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