A les observer avec un peu de réalisme, les Ressources Humaines forment un écosystème à part, alimenté par une galaxie de consultants, d’experts, de coach, d’agence de com et marketing RH, sans oublier la foule de startups qui gravite autour de ses services. Tout cela peut donner une image positive d’une fonction sans cesse en mouvement, en recherche de performance et d’innovation.

Seulement voilà : les RH, malgré ce louable dynamisme pour se faire valoir, sont rarement au COMEX ; et je ne connais pas d’entreprise dont le DRH puisse dire… qu’il a transformé son entreprise ! Dans le meilleur des cas, il peut lutter pour être partie prenante ; mais le moins que l’on puisse dire, c’est que « Révolution » et « RH » ne vont pas bien ensemble.

Ce n’est pas faute d’y avoir cru…

Nous avions fini par nous persuader que les RH étaient l’avenir de l’entreprise, « nous », les dignes héritiers de cette école humaniste, qui voit dans chaque personne un acteur dont la puissance se développe d’abord par l’autonomie et la reconnaissance. On avait fini par y croire, avec tous ses articles flatteurs autour de ces acteurs RH voulant remettre l’humain au centre de l’entreprise, et pour lesquels le lien social était indispensable au succès. Mais pour quel résultat, au juste ?

Oui, la sphère RH bruisse de rencontres, de congrès, de cercles de dirigeants et d’experts ; mais de manière concrète, une fois les lumières éteintes, tout cela change quoi pour le salarié en 2019 ? Une baisse de l’engagement, une envie de trouver un équilibre entre vie pro et vie privée, le désintérêt pour les postes de manager et une inquiétude sur l’évolution de leur travail demain.

… mais les lendemains RH qui chantent : c’est cuit !

Les RH semblent prises dans une espèce de boulimie d’innovation qui peut leur apporter un peu de lumière et pourquoi pas renforcer leur image. Tout y passe, et dans tous les sens : que ce soit les hackatons, le corporate hacking, les applications pour le bonheur au travail, le flex office, les discours sur l’entreprise plus ou moins libérée… et bien entendu l’intelligence artificielle à toutes les sauces algorithmiques. Qui pense encore que les MOOC vont changer l’entreprise, que les baromètres sociaux basiques en continu vont permettre une meilleure politique sociale, que l’expérience salarié dépassera l’aménagement des espaces de travail ?

C’est comme si les RH étaient devenues dans l’entreprise ce qu’est le tunning au monde de la voiture ! Je n’irai pas jusqu’à dire que Jacky est au volant des RH, mais cette fonction –auparavant plutôt effacée – est désormais devenue accro aux feux de la rampe, persuadée que notoriété signifie pouvoir.

A suivre la mode, les RH ont perdu toute congruence et toute cohérence. Le nombre de projets innovants – et souvent sans lendemain – ne reflète pas la puissance d’une stratégie de changement profonde emmenant avec elle l’ensemble de l’entreprise.

Un avenir RH incertain

La fenêtre de tir des RH pour vraiment changer l’entreprise est en train de se refermer, en même temps que la « robolution » (mot valise obtenu par la contraction de « robotisation » et « révolution ») et l’intelligence artificielle se développent et vont redessiner le travail. Mais c’est à pleurer de rire quand des “Experts RH” vous expliquent que personne ne doit s’inquiéter, puisqu’évidemment salarié humains et robots intelligents “vivront” ensemble, dans une douce complémentarité, des jours heureux dans une entreprise offrant à toutes et à tous un bonheur béat. En réalité Tout ce qui pourra être économisé par l’introduction de l’IA le sera et ce ne sont pas les softskills qui permettront de sauver les emplois.

En quoi le fonctionnement actuel de l’entreprise, basé essentiellement sur une redistribution des richesses par les dividendes pour satisfaire les actionnaires – dont les fameux fonds de pension – va changer leur algorithme ? En quoi la loi du profit et celle de l’investisseur va-t-elle se modifier par la grâce d’un DRH ?

Même le dialogue social est peu à peu individualisé ; les réformes, sous prétexte de professionnalisation, vont réduire les moyens alloués au dialogue social au travers de représentants et des IRP, pour les multiplier de façon directe sans intermédiaire. Le terrain est déjà préparé pour laisser la place à une entreprise qui deviendra comme un amas d’atomes, constitué de multiples partenaires prestataires de services et non plus d’une entité organisée fédérant le tissu d’un collectif de travail.

Cette fracture entre les RH et le terrain n’est pas sans rappeler une autre crise sociale actuelle ; mais à l’affrontement direct se substituent des techniques d’attentisme, d’absentéisme, de présentéisme ou encore d’individualisme mercenaire.

Le scénario le plus probable est celui d’un éclatement de l’entreprise vers un mode entrepreneurial. Le discours ambiant est déjà de cette nature : votre mobilité, votre formation vous appartiennent et vous n’avez qu’à vous saisir de toutes les applications RH en libre-service pour vous renforcer.

Vive la révolution !

Ce billet semble bien négatif… mais il veut surtout marquer le réveil de cette profession sur la transformation profonde à venir, en cessant de se focaliser sur les soubresauts médiatiques. Je reste persuadé que l’expérience salarié est le moteur de cette transformation vitale ; mais alors il faut que ce soit un véritable projet d’entreprise, avec une vision stratégique partagée par l’ensemble du COMEX, et non comme un énième projet RH avec un énième chargé de mission qui passera son temps à caler des réunions avec tous les autres responsables d’activités et de services RH.

Le RH ne pourra transformer l’entreprise qu’en s’appuyant sur les salariés et en parvenant à convaincre le COMEX de la justesse de sa stratégie co-construite avec les différents acteurs.

Ce serait, pour le coup, une révolution !