Pendant le mois d'août, nous publions à nouveau quelques-uns des textes les plus lus de l'année.


Qui ne connait la « tristesse du réveil » après les grandes intentions de début d’année, les belles résolutions de lancement de projet ou les emballées lyriques d’une manifestation de remobilisation collective ? Henri Michaux parle alors de « redescendre », quand « l’Homme retrouve sa défaite : le quotidien ». C’est aussi cette envie qu’il faut réussir à maintenir, cet allant de tous les jours qui s’épuise dans les labyrinthes bureaucratiques, qui s’érode dans les sourires que le collègue du bureau d’en face ne sait plus faire depuis bien longtemps, qui se dilue dans la paranoïa ridicule d’un manager trop affairé pour entendre la beauté du métier. Combien de bonnes âmes, engagées, mobilisées sourire aux lèvres, se sont asséchées au seul contact de ces acariâtres qui polluent les couloirs de leur mauvaise humeur ?

J’ai souvent cette image qui me revient, celle d’un collègue au début de ma carrière, qui, lorsque je lui adressais le traditionnel « ça va ? » du matin me répondait d’un « ça va ! » systématiquement mou, triste et avachi, avec une mine d’enterrement et les épaules aussi tombantes que les paupières qui entourent la fulgurance du regard d’un basset. Je ne sais même plus son nom, je ne me souviens plus que de cette seule image de lui : ses mots disaient « oui » quand l’attitude de tout son personnage affirmait silencieusement un « NON » assourdissant ! A l’inverse, depuis des années, de chaque classe d’étudiants - ou presque - où j’ai pu avoir l’honneur d’enseigner, je retiens au moins un visage, souriant et lumineux, une personne dont l’envie et la bonne humeur constituent à elles seules une récompense.

Qu’avons-nous besoin de faire triste mine ? En quoi un air sérieux serait-il un gage de professionnalisme et d’efficacité ? Pourquoi une bonne blague nuirait-elle à l’intelligence de décision ? Avoir l’air de mauvaise humeur, sembler torturé par la charge d’un travail harassant, courber l’échine sous le poids de la croix des soucis, plier sous le joug des responsabilités, avec une amertume du regard si bien travaillée et un ton plaintif si communicatif. Cela favoriserait-t-il l’autorité ? Serait-ce pour se faire plaindre ? Ou pour tenter de se déculpabiliser d’une prime que l’on estime au fond de soi ne pas mériter tant on a passé de temps à irriguer cette humeur nocive à la machine à café, dans les couloirs, ou jusqu’au bureau du collègue qui n’avait rien demandé ?

« Si vous voulez que la vie vous sourie, apportez-lui d’abord votre bonne humeur » Baruch Spinoza

Il n’y a pas de vie, ni d’envie, sans joie et bonne humeur. Et cette bonne humeur là est communicative. La politesse aussi d’ailleurs.

Et puis enfin, il y a le rire. Le rire, c’est bon pour le moral des troupes comme pour celui de leurs chefs ! Car le rire soulage, fait du bien à tous, et constitue un remède gratuit et joyeux qu’il faut réhabiliter d’urgence en entreprise[1]. Le rire a un impact positif, il libère, donne l’impression que l’on a vaincu la contrariété qui nous assaille. Il agit comme une sorte de défense naturelle qui fait plaisir ! Diverses études montrent en effet que l’humour « se présente comme une véritable stratégie d’adaptation développée par l’individu (…) En cela, l’humour exerce un impact positif sur la santé de l’individu »[2]. Ne dit-on pas que le rire c’est la santé ?

L’humour est toutefois toujours à manier avec précaution, comme nous le rappelle parfois ces blagues sur les horaires ou les apparences physiques, d’apparence anodine mais dont la répétition donne vite la nausée. Mais il y a aussi l’humour libérateur et subversif, celui qui aide à tenir et incite à prendre conscience, celui qui provoque, alerte et fait réfléchir.

L’entreprise doit être un lieu où il fait bon vivre, alors vivons ! Et de bonne humeur, en souriant, avec politesse, gentillesse et sens de l’humour. Cela ne nuit en rien à la productivité, et sert même parfois la créativité.


[1]Mejjad, J. (2010). Le Rire dans l'entreprise. Une analyse compréhensive du rire dans la société. Paris: L'harmattan

[2]Lerot, S., Janne, P., Tordeurs, D., & Reynaert, C. (2000, Janvier). Impact de l'humour sur la santé. Une revue de la littérature. Louvain Médical (119), pp. 42-48.


Ce texte est extrait de l’ouvrage « Le plaisir d’entreprendre » de Patrick Storhaye, EMS 2012

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