Comment faire face aux bouleversements sans précédent qui s’annoncent en matière de compétences et de métiers, notamment du fait des technologies ? Une évidence : les réponses traditionnelles en matière de formation démontrent de plus en plus leur insuffisance.

Notre analyse part d’un constat : secteur après secteur, métier après métier, les entreprises sont confrontées à la nécessité et à l’urgence d’un gigantesque effort de reconversion. Il s’agit à la fois d’intégrer l’impact qualitatif que les technologies vont avoir sur les métiers, de faire face à la rapidité de transformation des compétences requises et de parvenir à développer celles qui, du fait de leur rareté, sont critiques et source d’avantage concurrentiel.

Or la façon d’approcher la formation professionnelle est restée très traditionnelle. Quelques approches complémentaires s’y sont greffées (cas pratiques, simulations, dispositifs ad hoc, e-learning, etc.). Mais elle est conçue sur les mêmes bases que le modèle scolaire : l’exposition au savoir est la source de l’apprentissage, qui reste externe au travail effectif du quotidien. Est-ce vraiment là le meilleur moyen de transformer les pratiques professionnelles ?

La rupture à engager

La vraie rupture pour le collaborateur serait d’apprendre en faisant et en comprenant comment et pourquoi il l’a fait ainsi. Avec cette approche, le travail lui-même est repensé et réorganisé comme activité apprenante. L’entreprise œuvre à engager ses collaborateurs dans des situations professionnelles où ils vont se développer. La formation classique est déplacée vers l’apprentissage au sein de l’activité, enrichie par la mise à disposition de ressources.

Les travaux sur l’organisation apprenante avaient paru en leur temps apporter une vraie rupture dans cette direction. Soyons objectifs : leur mise en pratique est restée marginale. Mais la donne est en train de changer. À l’aune de la situation actuelle et future liée à la digitalisation de notre monde, il est temps de reconsidérer le concept d’entreprise apprenante. L’entreprise doit définir comment elle peut, en s’appuyant sur les technologies digitales, repenser :

  • Le développement des compétences au cœur des situations de travail, qui doivent donc devenir apprenantes ;
  • L’organisation du travail pour qu’elle embarque cette possibilité au quotidien ;
  • Le management pour qu’il soutienne ces processus d’apprentissage de leurs collaborateurs.

Reconfigurer la situation de travail

Par situation de travail, nous entendons l’ensemble des éléments, physiques ou non, qui permettent de réaliser l’activité. Ce qui inclut poste de travail, objectifs attendus, contraintes, interactions, etc.

C’est bien la situation de travail qui est la pièce centrale, puisque :

  • Ce qui intéresse l’entreprise, c’est que ses collaborateurs soient le plus compétent en situation de travail ;
  • Si l’objectif de transfert est fondamental, autant s’en rapprocher le plus possible pendant la formation ;
  • L’entreprise aura de plus en plus les moyens de doter la situation de travail d’informations propices au processus d’apprentissage continu, via les technologies ;
  • Ce qui se passe dans l’activité elle-même est déterminant en termes d’engagement, d’appropriation et donc d’efficacité de l’apprentissage, de transfert réussi et d’intelligence des situations.

Rendre les environnements capacitants

Pour apprendre, ces situations de travail reconfigurées produisent en elles-mêmes des informations à intégrer au fur et à mesure. Mais elles doivent être enrichies par l’environnement organisationnel qui comprend alors :

  • L’accès en temps réel aux informations nouvelles indispensables à l’activité : tout changement dans le contenu du travail est livré sur le poste lui-même ;
  • Des ressources d’apprentissage mises à disposition par l’entreprise, avec des contenus variés et facilement accessibles ;
  • Des réseaux apprenants et des apprentissages par les pairs, avec une vraie influence des communautés ;
  • Un accompagnement pédagogique personnalisé, prenant en compte les différences dans la capacité d’apprentissage ;
  • Une culture de l’apprenance, véritable volonté d’apprendre et d’apprendre ensemble.

Quant aux managers, leur responsabilité de gérer les compétences de leurs collaborateurs, donc leurs apprentissages, devient première dans ce contexte. L’attention est portée sur les individus, mais aussi sur leurs interactions, en organisant les apprentissages collectifs et organisationnels.

Engager la transition

Transformer l’approche de l’entreprise en matière de développement des compétences suppose dans un premier temps de faire comprendre à l’ensemble des acteurs (collaborateurs, managers, dirigeants) que la formation doit être intégrée dans les situations et les contextes de travail.

L’entreprise devra identifier les systèmes informatiques nécessaires. Si l’impact du digital permet enfin à l’entreprise d’entrer dans cette ère de l’apprenance, encore faut-il matérialiser ce potentiel.

Il s’agira ensuite pour le DRH pleinement conscient de l’enjeu de démontrer concrètement, en assurant la mise en pratique de cette approche sur quelques métiers critiques, avec une logique de test & learn et en construisant les réponses à trois questions.

1. Comment décrire le travail pour pouvoir ensuite agir sur son contenu ?

Les approches aujourd’hui déployées dans les entreprises dans les descriptions de fonction, les référentiels métiers ou dans certains projets de GPEC ne sont pas toujours suffisantes pour comprendre la réalité de ce que font les personnes en situation, avec notamment :

  • La différence entre le prescrit tel que décrit aujourd’hui et le réel ;
  • L’intégration limitée des interactions du collaborateur avec les autres;
  • La faible prise en compte de la façon dont le salarié réalise son activité de son point de vue, en intégrant ce que lui exprime son environnement, peu présent dans les référentiels.

Comment décrire une situation de travail pour qu’il soit ensuite possible de redéfinir son contenu en y intégrant des éléments d’apprentissage ? Plusieurs pistes :

  • Intégrer dans la description ce qui dans l’activité est fait en lien avec les autres (l’équipe, les managers, les clients), puisque le salarié agit en interaction.
  • Partir de ce que vit l’intéressé : qu’est-ce qui va faire qu’il estimera avoir bien travaillé ?
  • Identifier dans les manières de réaliser l’activité les différences qui distinguent un novice d’un expert, les dynamiques qui font que le collaborateur devient un professionnel.
  • Utiliser les « en » pour décrire l’activité, pour se projeter sur la façon dont elle est menée.

2. Comment appréhender les situations de travail de demain ?

Pour qu’une situation de travail puisse devenir apprenante, il est nécessaire d’identifier ce qu’elle sera à terme et donc d’intégrer une dimension prospective. Qu’est-ce qui va et doit se transformer dans cette situation de travail ?

La première approche est « macro ». Il va tout d’abord s’agir d’identifier les transformations majeures qui vont impacter les métiers, quelles soient économiques, technologiques ou culturelles. Puis de les croiser avec les impacts des choix stratégiques de l’entreprise sur ces métiers, dans une approche de type « Strategic Workforce Planning ».

La seconde approche, en complément, est d’ordre « micro ». La situation de travail future devra alors être décrite en y intégrant ce qui, dans ces éléments globaux, l’impactera directement.

L’exercice consistera notamment à préciser ce qui demain, dans cette situation de travail, sera toujours fait par l’homme et ce sur quoi il sera remplacé par les technologies, ainsi que les data alors disponibles et ce qui fera la différence entre le novice et l’expert.

3. Comment rendre la situation de travail d’aujourd’hui apprenante ?

À ce stade, l’enjeu pour l’entreprise va être d’injecter les éléments concrets de prospective dans la situation de travail que vit le collaborateur pour qu’il n’y ait pas de rupture à terme, mais une transformation progressive des pratiques en situation.

Le travail de prospective fournit de nombreux éléments sur ce que peut être l’apprentissage dans la situation de travail. L’entreprise va travailler deux temporalités. Certains éléments constitutifs de la situation de travail future peuvent être introduits sans attendre : une technologie proche, un impact partiel de la transformation anticipée du métier. D’autres sont dépendants des technologies. Ce qui souligne d’ailleurs la nécessité pour l’entreprise de faire de la prospective en continu.

Cette transformation du contenu des situations de travail devra être accompagnée. Le rôle du manager est à ce titre essentiel. Sa responsabilité première devient l’organisation des apprentissages collectifs et organisationnels, en se centrant d’une part sur les individus, d’autre part sur leurs interactions. Ce qui veut dire qu’il doit désormais intégrer en priorité :

  • La nécessité d’anticipation des besoins en compétences ;
  • La liberté de tester et d’accompagner des changements d’organisation du travail ;
  • Le travail à réaliser sur les interfaces avec les systèmes de gestion ;
  • L’accompagnement individuel sur le poste de travail