Comment les entreprises se transforment en 2030

En 2030, avec un rythme de transformation à opérer toujours plus intense, les entreprises ont appris de l’expérience, parfois à leur dépens. Elles connaissent désormais les erreurs à éviter pour réussir une transformation et les démarches qui ne fonctionnent pas. Elles ont aussi identifié les voies à adopter pour que leurs réalités soient effectivement modifiées, sans en rester à l’intention.

Le changement descendant

Beaucoup se souviendront qu’à une époque récente, une approche pleinement cohérente avec le taylorisme alors dominant était encore souvent mise en œuvre pour implémenter les transformations. Quelques dirigeants décidaient de la mutation à opérer, ils en définissaient les moindres détails. Puis une démarche de présentation de ces modalités était déployée. Les managers étaient invités à démultiplier, ils pouvaient parfois s’appuyer sur les outils et supports établis par un service Communication, jusqu’au « kit » permettant de prémunir l’entreprise contre toute dérive ou prise de position sur les contenus. En arrière-plan, une logique simple : une fois la transformation définie, « l’intendance suivra ».

Très souvent, le constat a posteriori était celui de l’échec. La transformation attendue par les dirigeants n’était pas effective. Était alors évoquée la fameuse « résistance au changement ». Fondée sur un postulat, celle du conservatisme dans les habitudes individuelles, elle permettait de dédouaner les porteurs de la démarche et de ne pas s’interroger sur sa nature.

Décrite ainsi, les limites de cette approche paraissent évidentes en 2030. Comment pouvait-on alors occulter la nécessité d’intégrer dès l’amont un objectif majeur, celui de l’adhésion et de la mobilisation des personnes devant mettre en œuvre la transformation ? « Faire pour les gens, sans les gens, c’est faire contre les gens » exprimait déjà un proverbe africain.

Malgré son inefficacité et un constat d’échec quasi systématique, cette pratique a perduré jusqu’aux années 2020 dans certaines entreprises et pour certains projets, notamment lorsqu’étaient mis en avant des impératifs de rapidité et d’efficacité.

L’alibi participatif

Une autre approche avait alors pris le relais dans la plupart des entreprises. Elle a longtemps été présentée comme la seule alternative à la première. Elle se voulait « participative ». Les dirigeants décidaient des grandes lignes de la transformation à opérer. Dans sa version restreinte, un ou plusieurs groupes de travail étaient ensuite mis en place, qui produisaient des préconisations sur les modalités de la transformation. Dans sa version plus large, les propositions émanaient d’une population plus nombreuse, allant parfois jusqu’à l’ensemble des salariés. Puis celles-ci étaient agrégées. Les dirigeants décidaient ensuite des pistes qu’ils retenaient. Le déploiement de ces axes sélectionnés était peu ou prou animé comme dans la démarche descendante.

Ce n’est qu’il y a une dizaine d’années que les entreprises ont commencé à prendre conscience que cette approche ne fonctionnait pas mieux que la première. Dans les deux cas, les collaborateurs devaient mettre en œuvre des mesures retenues par d’autres, en étant essentiellement animés sur les « comment ». Pas vraiment de quoi générer une dynamique, même lorsque les personnes avaient été sollicitées durant la phase amont du projet. Le participatif est alors apparu comme ce qu’il était : une caution pour une démarche qui restait fondamentalement basée sur une dichotomie marquée entre décideurs et exécutants. Ceci dans une société où ces exécutants avaient un niveau de qualification beaucoup plus élevé que par le passé.

Une illustration

Des projets cassant ces codes anciens ont commencé à être déployés dès 2019-2020.

Dans un pays d’Europe du Sud, Auchan connaissait alors à la fois un faible niveau d’engagement des collaborateurs, mesuré à 40% dans la dernière enquête menée, une baisse de la fréquentation client et des résultats économiques décevants dans la durée. L’entreprise avait souhaité relancer l’engagement des collaborateurs. Une immersion dans plusieurs magasins avait permis de constater que les sources de motivation endogène dans le travail des collaborateurs étaient faibles : leur activité se résumait pour l’essentiel à la mise en rayon des produits. La relance de l’engagement ne pouvait passer que par une réactivation du lien social. Le projet « Un sourire pour deux », visant à transformer la relation avec le client, a alors été initié en mettant en évidence le plaisir quotidien qu’apporterait au collaborateur la multiplication de ses actions individuelles sur cet enjeu. Sous réserve de respecter quelques règles de base, chacun était incité à prendre toutes les initiatives qu’il souhaitait, sans en référer au préalable à l’entreprise ou à son manager.

Résultat, 94% des collaborateurs ont pris une ou plusieurs initiatives dans le cadre de ce projet. En 8 mois, le taux d’engagement, mesuré par une nouvelle enquête, a augmenté de 32%. L’entreprise a estimé que ce projet lui a permis de relancer la croissance de son chiffre d’affaires de plusieurs points.

La démarche qui se généralise en 2030

L’analyse de tels projets permet de distinguer quatre phases.

La première reste celle de la décision des dirigeants sur l’axe de transformation. Il s’agit de définir sa nature et sa raison d’être. Nous sommes là au croisement des transformations de l’environnement de l’organisation, qui requiert de sa part cette mue, et des choix stratégiques qui renvoient à la façon dont l’entreprise décide d’y répondre de façon spécifique. Ces éléments constituent les « pourquoi » de la transformation à mener et relèvent d’une responsabilité des dirigeants. Mais, et là est l’essentiel, ceux-ci s’interdisent d’aller plus loin dans les modalités de la transformation à opérer.

La deuxième phase, cruciale pour réussir le projet, réside dans le partage de ces « pourquoi ». Ceux-ci doivent être présentés, débattus, éclairés. L’objectif à ce stade est de démontrer la nécessité et la valeur ajoutée de cette transformation, en en faisant comprendre les déterminants. Si le cap est adopté par tous, une grande partie du chemin est faite. Cet investissement de nature « pédagogique » devra être prolongé et alimenté tout au long du projet.

La troisième phase, et c’est là qu’est la véritable rupture par rapport aux pratiques antérieures, consiste à appeler l’ensemble des salariés à la prise d’initiative pour que la transformation se matérialise. Chaque collaborateur et chaque équipe vont décider des actions qu’ils vont mener pour alimenter la transformation ciblée, dans une logique de contribution. Partageant les « pourquoi », ils décident eux-mêmes des « comment ». Il n’y a aucune sélection de ces actions, aucune validation préalable, du moment qu’elles s’inscrivent dans le cadre des politiques de l’entreprise. L’équipe animant le projet ne veille qu’à deux dimensions : les actions doivent être cohérentes avec l’axe de transformation ; l’agrégation de toutes, et donc le niveau d’ambition, doivent garantir l’effet global.

La quatrième phase relève de l’animation. Maintenir la dynamique suppose de faciliter le partage des initiatives, de les valoriser, de relancer le projet quand nécessaire.

Aujourd’hui, en 2030, les trois approches de la transformation coexistent encore. Tout simplement parce que les entreprises n’en sont pas toutes au même stade de maturité sur cet enjeu. Mais la réussite marquée des mutations engagées par les organisations ayant adopté cette troisième voie, apparue il y a une dizaine d’années, invalide clairement les démarches du passé.

Tags: Projet d'entreprise