Dans la tradition cartésienne, dont on peut penser qu’elle domine encore la culture française, ce qui n’est pas chiffré n’existerait pas. Quoi de plus normal alors que de chercher à rationaliser la diversité en la mesurant ! “L’index égalité”, qui doit être calculé et publié au 1er mars de chaque année, en est l’illustration parfaite. Au-delà de l’obligation légale, on peut se demander en quoi des indicateurs de ce type servent réellement la cause qu’ils sont supposés faire progresser ?

Ne progresse que ce qui se mesure !

Quand le patient va chez le médecin, ce dernier prend sa température avant d’affirmer qu’il a de la fièvre. Si cela semble évident, il en va de même pour les évolutions sociales. Comment affirmer que la discrimination persiste sans pouvoir le prouver ? Apprécier une situation à l’aide de chiffres est bien sûr un moyen de partager une vision commune fondée sur les faits - essentiel sur ce type de sujets où peurs, fantasmes et autres préjugés sont inévitablement de mises. En cela, les indicateurs permettent “de mesurer une situation et de provoquer une réaction (comprenant celle de ne rien faire)” (Zannad, 2009).

« Beaucoup de chefs d’entreprise me disent – de bonne foi, la plupart du temps – qu’ils n’avaient pas pris la mesure de la situation et qu’ils sont désormais résolus à agir. Ils savent que c’est important, pour leur réputation et leur capacité à attirer des talents » affirme Muriel Pénicaud dans une interview au Monde.

Les KPI constituent alors un outil utile à celles et ceux qui étaient déjà conscient∙es de la situation pour argumenter auprès de celles et ceux qui ont tendance à l’occulter. “Un indicateur constitue donc un élément central de toute politique et de toute action qui vise à modifier une situation existante.” (Zannad & Stone, 2010).

Le chiffre manque de mesure !

Mesurer la diversité dans l’absolu ne fait pas sens. Il est en effet nécessaire d’appréhender les relations de causes à effets entre les différents éléments que l’on observe et de s’intéresser ensuite aux différentes pistes qu’elles indiquent pour trouver des solutions. Prenons le sujet de l’égalité salariale par exemple :

Si l’affirmation “seulement 3,5% des entreprises de plus de 250 personnes assurent une égalité réelle” (Index égalité 2019) permet une certaine prise de conscience, elle ne suffit pas à la bonne compréhension de la situation et par là-même à la recherche de solutions pérennes. Si l’humain s’affranchit de son esprit d’analyse et de discernement sur ces questions, il risque de réduire la complexité à des indicateurs insuffisants, se réfugiant derrière une apparente simplicité. Il passe alors à coté du vrai sujet et ne proposera que des solutions partielles.

La mesure n’est pas une finalité

L’approche quantitative de la diversité présente un second risque : l’hypnose de l’indicateur. Obsédé par le chiffre, nous nous détournons de la finalité poursuivie, nous concentrant sur la seule logique de l’affichage et de la conformité d’apparence, travers bien connu.

Les indicateurs doivent rester ce qu’ils sont à savoir une indication. Or, ce qui indique le chemin, n’est pas le chemin.

Il ne faut pas perdre de vue la destination finale.

La finalité n’est pas celle de la parité absolue. Ce n’est pas celle du chiffre ou du quota. Il ne s’agit pas non plus de la diversité dans l’absolu, nul ne sachant au demeurant ce que serait un “bon” niveau de diversité (Zannad, 2009).

Par exemple, se concentrer sur le seul pourcentage de femmes aux postes à fortes responsabilités risque de mener à l’injonction pour celles qui n’en auraient pourtant ni l’envie, ni les compétences, à prendre des responsabilités plus importantes.

La finalité est celle du respect des personnes dans ce qu’elles sont, veulent et peuvent faire. L’objectif étant, bien entendu, d’avoir les “bonnes personnes aux bons postes” pour garantir la performance de l’organisation. Dans un monde idéal, des critères de genre, de sexe, d’âge, de couleur de peau... ne devraient évidemment ni être discutés, regardés, ou considérés... Mais ça, c’est dans un monde idéal !

Dans la réalité en effet, si nous ne prêtons jamais attention à ces critères, si nous occultons et fermons les yeux sur ces analyses, rien ne change. Les chiffres - et leur analyse - deviennent alors essentiels pour se rendre compte que, visiblement, l’égalité des chances et l’équité ne sont pas naturelles. Ainsi, si l’on veut poursuivre efficacement notre but, il est donc nécessaire de changer notre manière de fonctionner et de faire évoluer nos mentalités. Promouvoir la diversité n’est pas une affaire qui se résumerait à quelques KPI mais bien une question plus vaste et plus complexe de pratiques, de normes et de culture d’entreprise (Bruna, Peretti, Yanat, 2016). En matière de diversité, comme en tout, on a besoin d'analyses chiffrées des faits et d'indicateurs de pilotage des actions. Cependant, il faut développer une culture intelligente du chiffre pour ne pas se détourner involontairement (ou pire cyniquement) des objectifs que l'on poursuit.

Mais encore faut-il enclencher le mouvement !


Bibliographie :

Bruna, M., Peretti J. & Yanat Z. (2016). Les nouveaux défis de la diversité : totems à dépasser et paris à relever. RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprise

Zannad, H. (2009). Mesurer la diversité et l'impact des actions de lutte contre la discrimination : état des lieux et pistes de réflexion. Humanisme et Entreprise

Zannad, H. & Stone, P. (2010). Mesurer la diversité en entreprise : pour quoi et comment ?. Management & Avenir

Pour aller plus loin sur l’Index égalité :

https://travail-emploi.gouv.fr/droit-du-travail/egalite-professionnelle-discrimination-et-harcelement/questions-reponses-sur-le-calcul-de-l-index-de-l-egalite

https://www.rhinfo.com/thematiques/strategie-rh/une-revolution-rh-en-france

https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/09/17/egalite-salariale-hommes-femmes-il-y-a-un-travail-enorme-a-accomplir_5511401_3234.html

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