4 orientations pour la fonction RH face au défi de la transformation

Combien de fois quelque chose est-il qualifié de « stratégique » au seul motif qu’il est important ? La fonction RH n’échappe pas à cette habitude, comme s’il suffisait d’incantations pour qu’advienne ce dont on rêve. En réalité, la fonction RH n’est pas plus stratégique que le numérique pourrait l’être. En revanche, s’interroger sur la contribution de la fonction RH à la stratégie de l’entreprise dans le cadre des enjeux de transformation revient à formuler la question suivante : est-ce que cet enjeu de transformation requiert une évolution de la contribution stratégique de la fonction RH telle qu’elle existe dans les faits ?

En toute théorie, la fonction RH devrait avoir 3 principales contributions en lien avec la stratégie de l’entreprise :

  • Faire vivre et évoluer la culture et les valeurs en fonction de ce que demande le contexte et en respectant ses fondamentaux ;
  • Mener une réflexion prospective pour nourrir la stratégie en ce qui concerne les aspects humains ;
  • Décliner la stratégie décidée en une politique RH qui rende possible sa réussite.

Dans les faits, l’observation de la pratique nous livre deux enseignements :

  • les praticiens de la fonction sont bien plus souvent contraints de circonscrire leur rôle à la seule déclinaison RH en aval de la stratégie plutôt qu’à contribuer en amont à sa conception;
  • en outre, ce qui relève du champ de la culture est le plus souvent limité à la définition et à la communication d’un modèle de valeurs plutôt qu’une réflexion prospective sur l’adaptation de la culture telle qu’elle est à ce qu’exige l’ambition du projet d’entreprise.

Aussi, plusieurs évolutions semblent-elles nécessaires.

1. Avoir une plus grande ambition sur le champ culturel

La première d’entre elles concerne la dimension politique du rôle de la fonction RH sur le plan de la culture d’entreprise. La transformation des organisations comporte un important volet culturel. Or, ce volet ne peut en aucun cas être réduit, comme c’est encore trop souvent le cas dans de nombreuses entreprises, à affirmer un modèle de valeurs (« core values »), qu’elle qu’en soit la pertinence dans l’absolu, et ce, pour une raison simple: on ne transforme pas l’entreprise en promouvant arbitrairement des valeurs que l’on aurait édictées, quand bien même soient-elles de coopération, d’innovation ou d’agilité, car on reproduit alors ce qui doit précisément évoluer, à savoir, une conception par trop verticale (« top down ») des choses.

La DRH doit en l’espèce s’interroger sur la manière de favoriser le développement des comportements individuels et collectifs que nécessitent son agilité, non pas dans l’absolu, mais en fonction de ce que sont les traits principaux de sa culture. En d’autres termes, on n’est pas agile de la même manière dans toutes les entreprises !

L’entreprise ne peut pas être agile « contre » elle-même, ses valeurs et ses principes.

C’est en effet en travaillant sur ce qu’elle est et sur ses contraintes, qu’elle peut devenir ce dont elle rêve, mais pas en rêvant à voix haute.

En outre, même si l’on imagine ce vers quoi il faut tendre, même si l’on évalue les compétences à acquérir et les comportements à favoriser, il n’en reste pas moins que la trajectoire doit être réaliste.

Enfin, l’agilité ne consiste pas à adapter sans cesse l’organisation. Elle touche aussi au Business Model même, c’est-à-dire à la conception par l’entreprise - à un moment donné - du « modèle » le mieux adapté à la situation pour créer de la valeur. En d’autres termes, le business model doit lui aussi être en mesure d’évoluer en fonction du contexte alors même qu’il est pensé comme un dispositif plutôt stable. Pour la fonction RH, ceci a pour conséquence le fait qu’il n’est alors pas suffisant de s’engager dans une démarche qui consisterait à décrire les « compétences comportementales » requise par tel ou tel business model. La difficulté porte là sur la nécessité de travailler dans chaque cas particulier sur ce que serait les caractéristiques que le corps social devrait réunir pour rendre ses mutations possibles (méta-compétences, compétences pointues sur certains métiers, comportements, etc.).

2. Réinvestir le champ de l’organisation

La deuxième évolution à envisager concerne le périmètre de jeu de la fonction RH. La transformation, pour autant qu’elle comporte une dimension culturelle, est aussi un enjeu d’organisation, dont les principes sont ensuite déclinés en termes d’approches managériales. Dit en d’autres termes, s’attaquer au thème de l’agilité de l’entreprise, c’est questionner les principes organisationnels en vigueur. L’organisation, définie comme "la somme totale des moyens employés pour diviser le travail entre tâches distinctes pour ensuite assurer la coordination nécessaire entre ces tâches"[1] est à la croisée des chemins entre la stratégie et la RH.

Or, force est de constater que dans la pratique, la fonction RH a depuis longtemps laissé ce champ libre aux professionnels de la finance et des systèmes d’information, dont les actions et les outils structurent très fortement la plupart des organisations. Ceci conduit à une prédominance de conceptions et approches opérationnelles trop mécanistes et presqu’exclusivement rationnelles.

C’est précisément dans les apports de la dimension humaine à la réflexion sur l’organisation que réside une partie de l’enjeu de la transformation.

Pour investir le champ de l’organisation du travail, encore faut-il s’intéresser intimement à l’activité et donc à la manière dont les affaires se font sur le terrain, ce qui n’est pas toujours le point fort des experts de la RH.

3. Repenser le « framework » RH

La troisième évolution qui semble nécessaire à nos yeux relève du cadre conceptuel et méthodologique que mobilisent les praticiens de la fonction RH pour décliner la stratégie en politique RH. Elle constitue en outre une conséquence logique du point précédent.

L’essentiel des politiques RH repose sur un concept qui a été inventé pour le modèle taylorien : le concept de poste est en effet le niveau de découpage le plus fin de la chaîne de création de valeur. Il correspond à la plus petite unité de représentation de l’organisation. Le concept de poste correspond en somme à la déclinaison RH la plus directe de la division du travail et des approches Tayloriennes. Cet outil conceptuel constitue par ailleurs le socle ou le point d’entrée de la quasi-totalité des processus RH, c’est notamment le cas du recrutement, de la classification et de la politique de rémunération, de la GPEC ou de la gestion des carrières. Se référer majoritairement à ce seul concept est insuffisant.

Sur un plan RH, s’engager dans une logique de transformation ne peut pas se concevoir en conservant le concept de poste comme seule pierre angulaire des pratiques RH.

Adjoindre une politique de talent management en parallèle d’une approche traditionnelle est loin de suffire car cela ne change pas en effet le fait que le point d’entrée dans le raisonnement RH continue à passer par la notion de poste.

Il conviendrait alors d’imaginer d’autres concepts, suffisamment « stabilisés », sur lesquels on pourrait s’appuyer pour bâtir des pratiques RH durables, permettant de combiner les besoins d’une gestion par poste (nécessaire à l’optimisation des ressources) et d’une « gestion » du talent et de l’intelligence collective (nécessaire à l’agilité collective). Le concept de compétence dans ses dimensions individuelle et collective, et la manière dont il s’articule avec les principes directeurs en matière d’organisation, est l’une des clés de cette recherche.

4. Réhabiliter la prospective

La quatrième et dernière remarque concerne la dimension prospective de la contribution stratégique de la fonction RH. En effet, lorsque prédominaient des approches plus mécanistes dans lesquelles le modèle de référence était donné, il était légitime que le rôle de la DRH soit plus spécifiquement orienté sur la déclinaison cohérente de la stratégie (« alignment ») puis sur son déploiement (« roll out »). A contrario, dans un environnement complexe et incertain auquel on cherche à s’adapter, la dimension prospective prend par nature une place plus importante.

Cette dimension prospective comprend :

  • La capacité de la fonction RH à comprendre son écosystème et à formuler des scenarii sur son évolution de manière à pouvoir anticiper la manière d’adapter ses propres pratiques pour qu’elles soient plus efficaces ;
  • La capacité de la fonction RH à aider l’entreprise à lire, interpréter et appréhender les évolutions probables de son environnement sur un plan humain ;
  • La capacité de la fonction RH à nourrir la réflexion stratégique de ces éléments, à chacune de ces étapes (business model, business plan, budget).

Au-delà des facteurs internes de contingence, la lecture des facteurs environnementaux et la capacité à les appréhender collectivement avec intelligence, constituent des clés de l’agilité. La DRH doit y contribuer de deux manières :

  • par ses apports en la matière : bâtir et partager sa propre vision de l’environnement de l’entreprise ;
  • en développant une culture prospective au sein de l’entreprise.

L’un des facteurs de contingence externe les plus importants est naturellement lié à la révolution numérique et tout ce qu’elle implique. Le rôle prospectif joué par la DRH en la matière est plus que jamais déterminant.


Cet article est extrait de l’ouvrage « Transformation, RH et digital » publié chez EMS (2016)

[1] Mintzberg, H. (1994). Structure et dynamique des organisations. Les Éditions d’organisation.

_____________________________________________________________________RH info | Patrick Storhaye, Président de Flexity

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