L’utilité durable du travail, l’Œuvre, n’est plus reconnue. Place à la certification formative !
Chaque jour coule sous les ponts de Garonne une eau, jamais la même. Et pourtant il s’agit bien du même fleuve poétisé par Nougaro qui s’écoule dans le sens de son aval… Chaque jour, la personne est présente à son travail et se fait une joie d’être utile pour sa famille, son organisation. Elle ne refera jamais le même geste car les circonstances sont différentes et ce geste contribuera à la connaissance d’un savoir-faire métier toujours renouvelé au fil du temps. Elle n’attend plus la reconnaissance de son utilité par son organisation, reconnaissance qui souvent tarde à venir ou qui n’arrivera pas. Pour elle, n’y aurait-il plus de reconnaissance possible de l’utilité durable au quotidien de son travail, son « Œuvre », que dans une certification formative qui stigmatise pour l’avenir le fruit plus ou moins mûr de l’instant, sans la (re)connaissance de l’arbre qui le porte ?
Aujourd’hui, le travail n’est plus une œuvre durable
Pour un grand nombre d’individus, répondre aux nécessités de l'organisation l’emporte souvent sur leur désir d’exercer leur liberté de bien faire au travail selon eux. Et pour les entités, la même nécessité de s'ajuster au marché les oblige à rechercher sans cesse les compétences les plus adaptées du moment. L’économie tient lieu de régulateur dans une temporalité raccourcie avec des cycles imprévisibles à plus de deux ou trois ans. Comment dans ces conditions œuvrer durablement pour un travail qui se matérialiserait aux yeux de tous, quand l’entité, à court terme, n’aura peut-être plus besoin du métier ?
Dans l’Antiquité, l’acte de l’homme libre était dégagé de la satisfaction de ses nécessités. Pour le christianisme, le travail était devenu un moyen et pas une fin car il participait à l’Œuvre divine, dans une compréhension qui dépassait celle de la personne. Au Moyen-âge, l’Œuvre des compagnons était réalisée pour durer. C’était une action de sens qui générait la beauté. Chacun d’entre eux signait son Œuvre. Aujourd’hui, la personne au travail doit répondre à des procédures contraignantes ; réduire tout son métier dans une compétence requise, en laissant de côté les autres savoirs qui y concourent. Celle-ci s’inscrit dans un moment et dans un espace sans finalité sinon ceux d’une performance contingentée et objectivée.
Le caractère instantané et fragmenté du travail ne s’inscrit plus dans une durée longue ni dans un espace social qui l'a instrumentalisé. Le travail est devenu une sorte de vecteur de lien social dans un collectif où l’on ne sait plus trop comment chacun contribue au but commun trop flou pour être porteur de sens. La dématérialisation d’un travail que l’on ne peut plus toucher avec les mains, transporter ou poser sur un meuble, a accentué le sentiment d’un travail haché, sectorisé par le rythme d’un processus économique qui en a détruit la possession. Cette synchronicité du temps et de l’espace qui existait dans le monde d'avant…
La satisfaction de l’accord avec le mode de production a remplacé celle du travail bien fait. Et le besoin de reconnaissance par le manager, à défaut de sa propre reconnaissance, s’est substitué à l’objet réalisé pour durer. L'Œuvre est morte !
Quand l’utilité pour soi du travail n’est pas valorisée par l’organisation…
La France attache une importance et un amour particulier au patrimoine. À ces Œuvres qui durent malgré les péripéties de l’histoire et qui ont inscrit la vie de leur auteur dans l’épaisseur du temps. Le manque de stabilité d’une réalité individuelle au travail, a ancré la fragilité de l’Etre humain contemporain dans le mode idéalisé d’une croissance continue. Et ce, malgré tous les avertissements de la planète sur le plan écologique et ceux d’une multitude d’individus connectés et reliés par le sens commun de la pérennité de la vie.
Le sens ? Il faudra bien que la personne le trouve pour continue à Etre dans un monde où sa liberté a été réduite à celle d’un choix… économique ! (« Nous le valons bien ! [1] ») Les certitudes imposées seraient-elles devenues des vérités qui mettent le voile sur les réalités vécues par elle ?
Dans l’Antiquité, le travail était réservé aux esclaves, ceux qui n’avaient pas le choix. Au Moyen-Âge, il rachetait l’homme de son péché. Aujourd’hui, le travail n’est plus le lieu de sa reconnaissance sauf à identifier son bon fonctionnement par des actions sans cesse renouvelées. Attendre la reconnaissance des managers de ce qui est pour la personne son utilité pour elle, est devenu aussi superfétatoire qu’une voiture qui démarre ou qu’un robot qui visse les boulons de la carlingue de l’avion[2]. L’utilité individuelle n’est pas vendeuse car elle est devenue normale. Seules les erreurs ou les fautes sont identifiées. Pas ce qui fonctionne « bien » car c’est normal…
L’Etre humain en mal de Reconnaissance se tourne vers celle qu’apporte l’organisation, la formation certifiée…
Dans un univers où un nombre important de métiers disparaîtront à l’horizon 2025 et/ou seront transformés notablement par le numérique, comment inscrire dans la durée l’utilité du travail et dans l’espace sa reconnaissance par le collectif ? La certification formative saura stigmatiser dans l’instant, partie de l’Œuvre imaginée par la personne et qui lui fait encore sens : celle de sa contribution à la performance collective. La certification matérialisée de la compétence par un document pourra être encadrée et affichée sur le mur du bureau. Piètre satisfaction d’une reconnaissance objectivée suivant des normes préétablies qui ne met pas en évidence l’investissement du Sujet au travail… Il lui faudra cependant s’en contenter !
L’engouement de la formation en situation de travail ne saurait apporter à l’individu la pérennité de la reconnaissance d’une Œuvre durable. À l’instar des formations en présentiel, il s’agit de certifier la conformité de l’action individuelle à un processus normé, rien de plus. La confusion du lieu et du temps entre le travail et sa reconnaissance par la formation, ne saurait faire illusion à celui ou à celle dont la conscience de ne pas agir en conformité avec sa conscience, peut être ressentie comme une souffrance.
Et si chacun aspirerait à Etre un « Œuvrier » ?
[1] Référence à la publicité d’une marque de cosmétique et de produits de beauté
[2] Cf. M. Thévenet, « Expérience travail » 15 janvier 2020 – Enquête réalisée par la chaire Sens et Travail de l’ICAM
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