La signature d’une rupture conventionnelle individuelle en plein COVID-19 est-elle possible ?

Il importe de se poser deux questions :

-Comment les parties peuvent elle signer les formulaires de rupture conventionnelle alors que celles-ci doivent respecter le confinement ?

-Une fois la rupture conventionnelle signée, qu’en est-il de son homologation par la DIRECCTE ?

Sous réserve des cas prévus aux termes de l’article L1237-16 du Code du travail dans lesquels la rupture conventionnelle est interdite, la pandémie actuelle n’empêche pas en tant que telle qu’il soit recouru à une rupture conventionnelle individuelle.

En effet, dans la mesure où la rupture conventionnelle est un mode de rupture à l’amiable du contrat de travail, la possibilité de recourir à un tel mode de rupture peut même être souhaitable si les deux parties y trouvent toutes deux intérêt.

Et ce d’autant plus en cette période si les parties avaient, avant le confinement mis en place à partir du 17 mars 2020, déjà échangé sur le principe et éventuellement les modalités de celle-ci.

La problématique pratique qui se pose est relative à la régularisation de la rupture conventionnelle, en d’autres termes la signature par chacune des parties des formulaires CERFA.

Tout d’abord l’article L1237-12 du Code du travail dispose que les parties conviennent du principe de la rupture conventionnelle lors d’un ou plusieurs entretiens lors duquel/desquels le salarié peut se faire assister.

La première question à se poser est relative à la forme du ou des entretien(s).

Si la règle veut que l’employeur convoque le salarié à un entretien ayant vocation à se tenir dans les locaux de l’entreprise en lui adressant une convocation lui rappelant la possibilité de se faire assister, comment procéder en cette période de confinement ?

Par exemple, les parties peuvent convenir que le ou les entretien(s) se tien(nen)t par visio-conférence.

Dans ce cas, l’employeur peut adresser un courrier, à la fois par voie postale (sous réserve du bon fonctionnement des services de la poste) et par voie électronique en demandant au salarié qu’il en accuse bonne réception.

L’employeur doit rappeler au salarié la possibilité dont il dispose de se faire assister soit par un représentant du personnel de l’entreprise ou en l’absence de tel représentant, par un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par l'autorité administrative.

Une difficulté pourrait résulter du souhait du salarié d’être assisté par un conseiller, ce qui nécessiterait d’une part qu’il parvienne à en contacter un et d’autre part que celui-ci accepte d’assister le salarié au moyen d’un rendez-vous en visio-conférence.

Il importe donc que le salarié informe l’employeur de son souhait de bénéficier d’une telle assistance, pour permettre non seulement à l’employeur d’en faire de même s’il le souhaite mais aussi d’organiser une réunion en visio-conférence avec plusieurs personnes.

Lors de cet entretien en visio-conférence, les parties devront convenir alors d’un moyen de régularisation du formulaire CERFA de rupture conventionnelle, notamment grâce à une solution informatique permettant la signature électronique de documents sécurisant la signature de la rupture conventionnelle.

Une fois les formulaires signés, chaque partie conservera un exemplaire de la rupture conventionnelle, étant rappelé la nécessité que les formulaires portent mention du nombre d’exemplaires établis, ce qui importe que le dispositif de signature électronique garantisse la délivrance d’un exemplaire à chacune des parties.

A compter du lendemain de la signature de la rupture conventionnelle, commence à courir le délai de rétractation de 15 jours calendaires laissé à chacune des parties pour se rétracter.

Une autre difficulté pratique pourrait résider dans la notification que voudrait faire une partie à l’autre de sa rétractation.

En effet, en cette période de confinement et en raison de restrictions possibles du fonctionnement des services de la Poste, la notification de la rétractation faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception pourrait ne pas être possible.

Les parties pourraient alors convenir lors de l’entretien en visio-conférence d’un autre mode de notification de rétractation et par exemple contresigner un document annexe à la rupture conventionnelle prévoyant que si une partie entend se rétracter celle-ci pourra le faire par courrier électronique et que la partie qui en est destinataire lui en accusera réception.

Ce sans quoi la rétractation serait inefficace, ce qui nécessite que chacune des parties soit de bonne foi.

Une fois le délai de rétractation expiré et en l’absence de rétractation, chacune des parties peut envoyer à la DIRECCTE le formulaire dûment signé par le biais du service de télédéclaration.

Précisons qu’en temps normal et en dehors de cette période de Covid-19, l’envoi par voie dématérialisée est également une manière de soumettre à homologation la rupture conventionnelle à la DIRECCTE.

Un tel envoi permettant de recevoir un numéro de dossier et d’éditer à l’issue du délai d’homologation laissé à la DIRECCTE une attestation.

Une autre difficulté importante pourrait tenir dans le contexte du COVID-19 à la comptabilisation du délai de 15 jours ouvrables laissé à la DIRECCTE pour homologuer ou refuser la rupture conventionnelle.

Il est rappelé que passé ce délai de 15 jours ouvrables, selon l’article L1237-14 du Code du travail l’homologation peut être tacite si la DIRECCTE n’a pas fait connaître sa décision.

Or, en cette période de confinement dû au COVID-19 se pose la question de savoir si le délai d’homologation de 15 jours ouvrables n’a pas vocation à être prorogé par l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 (relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période).

En effet, l’article 7 de ladite ordonnance prévoit que les délais à l’issue desquels (…) un avis de l’un des organismes mentionnés à l’article 6 (dont une administration de l’Etat), peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n’a pas expiré avant le 12 mars 2020, est à cette date, suspendu jusqu’à la fin de la période mentionnée à l’article 1er c’est-à-dire à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la Loi du 22 mars 2020.

De sorte qu’il ne serait pas possible de déduire du silence de la DIRECCTE une homologation tacite de la rupture conventionnelle et ce parce que le délai n’aurait jamais commencé à courir et ne pourrait donc pas expirer avant le délai précité de l’article 1er de l’ordonnance.

En pratique, une fois le formulaire adressé à la DIRECCTE par voie dématérialisée, sauf à s’enquérir auprès des services de la DIRECCTE par courrier électronique et d’obtenir la confirmation écrite de l’homologation de la rupture, il conviendrait de considérer que l’absence de retour de la DIRECCTE ne vaut pas homologation tacite et que le délai est suspendu jusqu’à l’expiration du délai évoqué ci-dessus.

Or une telle suspension serait elle-même susceptible d’avoir des conséquences importantes sur la rupture conventionnelle envisagée si la date à laquelle intervient ou est réputée intervenir la décision de la DIRECCTE est postérieure à la date de prise d’effet de la rupture conventionnelle mentionnée dans le formulaire.

En conclusion, s’il apparait possible de pratiquer la rupture conventionnelle dans le contexte du COVID -19 ceci nécessite une très grande prudence de la part des parties au regard des incertitudes précitées.

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