L’épreuve de la pandémie, ce qu’elle questionne de notre modèle de gestion des ressources humaines…

L’épreuve due à la pandémie covid-19 inverse la hiérarchie des valeurs sur laquelle se fonde le modèle de gestion des ressources humaines. Les caissières, les éboueurs, les soignants, le personnel des EPHAD, les livreurs, les indépendants-ubérisés… deviennent les nouveaux héros de notre société au temps du covid-19. Le mérite des travailleurs est alors jugé sous l’angle de l’utilité sociale procurée dans cette période de crise existentielle. Le salarié-privilégié, subitement devenu télétravailleur, cherche le sens de son travail dans l’équilibre entre vide existentiel et agitation effrénée enchaînant les « confcall ». Ce télétravailleur relativise l’utilité économique de son travail face au risque social d’être contaminé, contaminateur ou de perdre un proche. La finalité économique du travail est, pour un temps, dominée par la finalité sociale : préserver la santé, assurer les besoins primaires, maintenir le lien social. Ce sont nos priorités qui sont bousculées face à l’imminence de la mort.

L’ouvrage « repenser la Gestion des Ressources Humaines » coordonné par J. Brabet en 1996 visait déjà à son époque à une prise de conscience par la communauté en Ressources Humaines des contradictions du modèle instrumental de gestion des ressources humaines installé. Ce modèle renforce les inégalités sociales voire les créé. Ces contradictions entre l’économique et le social sont mises à l’épreuve de la pandémie actuelle. Les mécanismes de domination économique sous-jacents à ce modèle sont dévoilés dans cette période de crise.

Ce modèle de management des ressources humaines a été l’initiateur d’une collection d’outils de plus en plus individualisant (évaluation du mérite individuel, rémunération des performances individuelles, gestion des compétences en substitut à la gestion des qualifications, gestion des carrières sur le mérite individuel etc…) occultant le sens de l’action collective et la dimension sociale du travail. Cette situation de crise questionne les fondamentaux du management des ressources humaines.

Les méthodes d’évaluation des emplois reposent sur des croyances séparant l’économique et le social.

La classification des emplois en lien avec le niveau de rémunération relève d’une hiérarchie des valeurs sur ce qu’une société considère comme important à un moment donné. Notre société d’avant la crise considère qu’une femme de ménage apporte moins de valeurs à la société qu’un trader ou qu’un cadre dans la finance ; qu’un.e infirmière apporte moins de valeurs à la société qu’un.e responsable ressources humaines ; qu’un.e enseignant apporte moins de valeur à la société qu’un.e directeur.trice marketing etc… La contribution du travail de chaque individu est valorisée à l’aune des représentations du « bien » dans notre société. Ces valeurs liées au « bien » sont imprégnées d’économie désencastrée du social. Cela pose la question plus générale de la justice sociale et du mérite.

L’évaluation du mérite individuel : une chimère entretenue par le discours R.H.

Gérer le mérite individuel est devenue l’apanage du management des ressources humaines. Or, la notion de mérite dépend largement de ce que nous considérons comme étant une « bonne » société. Elle dépend de la conception du « bien ou bon » dans la société dans laquelle on se situe. Ce que nous considérons comme bon ou juste a un caractère contingent. Le mérite dépend de notre système de valeurs et ne relève pas d'un "ordre naturel". L’évaluation du mérite est une utopie basée sur un système de valeurs qui diffère en fonction des pays, en fonction des périodes, des situations. La situation de pandémie actuelle questionne plus que jamais cette notion de mérite et les valeurs associées.

La rémunération au mérite prônée par ce modèle de management des Ressources humaines suppose que tous les individus aient les mêmes chances de réussite, qu’il n’y ait pas d’inégalités sociales à la naissance. Pourtant, le capital social et culturel, l’accès à l’information, les trajectoires de vie contribuent à la réussite de l’individu. Il est devenu « normal » en management des ressources humaines d’individualiser le mérite en oubliant la dimension contextuelle et la dynamique des trajectoires individuelles faite de rencontres, de communautés, de collectif. La réussite au sens de statut social ou progression de carrière valorisée individuellement se construit pourtant collectivement. On aurait bien du mal aujourd’hui à séparer le travail des chefs de service de réanimation du travail de leurs équipes, des ASH aux médecins réanimateurs en passant par les infirmières et aide-soignants. De manière encore plus élargie, la qualité de la prise en charge du patient Covid-19 ne dépend-elle pas aussi de la direction administrative de l’hôpital, des ambulanciers, des personnels de la supply chain pour les fournitures en médicaments et appareils respiratoires, des opérateurs de l’industrie pharmaceutiques etc ? Plus que jamais les interdépendances dans l’écosystème de la prise en charge du patient réhabilitent la dimension collective et sociale du travail.

Les évènements vécus ont un rôle dans la construction de sens. Cette crise du covid-19 remet la question du sens du travail en lien avec le sens de la vie, au cœur de la réflexion de tout individu.

Paradoxalement, cette situation de privation de liberté liée au confinement ouvre sur une autre liberté humaine : celle de réfléchir à nos représentations, nos déterminismes. Une période propice pour questionner notre modèle de gestion des ressources humaines, remettre en cause son postulat et ses pratiques R.H. individualisantes. Cette période nous bouscule, nous pousse à réfléchir à ce que nous considérons comme « bon » et « juste » dans notre société. Elle nous invite à dé fixer, innover en essayant de construire de nouveaux outils prenant en compte la dimension collective du travail privilégiant le social sur l’économique. Elle nous incite à accompagner au mieux les salariés dans leur quête de sens.

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