À l’instar de nombreux autres sujets, la diversité et l’égalité professionnelle ont leur label. La complexité de la démarche, les coûts qu’elle est susceptible d’engendrer et les effets réels qu’elle peut avoir sur la finalité poursuivie interrogent la pertinence même de la méthode. Volonté de conformité, intérêts bien compris ou au contraire moyen de favoriser une véritable prise de conscience sur le sujet… La labellisation ne doit pas être vue comme une obligation mais comme une opportunité.

Le label diversité et égalité[1] est né en 2015 de la combinaison de deux labels pré-existants : le label diversité et celui de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. L’objectif de cette alliance est de faciliter la mise en œuvre des demandes de labellisations (un seul cahier des charges[2], un pilotage commun…) afin de valoriser l’ensemble des engagements de l’entreprise tout en gardant une indépendance entre les deux, puisqu’il est possible, suivant les résultats de l’audit, de n’en obtenir qu’un.

Cette course au label présente plusieurs paradoxes qu’il convient d’étudier.

Diversité et égalité : deux labels pour un même sujet ?

Le premier paradoxe réside dans l’existence même de ces deux labels : l’un pour la diversité et l’autre pour l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Alors que nous pourrions considérer que la parité fait partie de la diversité, comment justifier l’obtention du label diversité sans que l’égalité de genre ne soit assurée ?

Ce premier paradoxe renvoie finalement à la difficulté de définir la diversité dans un cadre juridique précis (Junter, Sénac-Slawinski, 2011). En effet, créer un “label global” qui se veut couvrir toute forme de diversité, quelle qu’elle soit, pose une double question (Broussillon, Pierre, Seurrat, 2007) :

  • La première, fondamentale lorsque l’on parle de diversité, nous renvoie à ce qui fait la différence entre les personnes : de quoi parle-t-on lorsque l’on parle de diversité ? Que souhaitons-nous promouvoir ?
  • La deuxième nous interroge sur le risque de comparer des éléments qui ne sont pas de même nature. En effet, comment comparer des pratiques hétérogènes en matière de diversité ? Là où certaines entreprises vont axer leur politique sur les seniors, d’autres sur les personnes porteuses de handicap et d’autres encore sur la parité, tout en occultant les questions ethno-raciales, comment alors comparer ces pratiques qui ne traitent que partiellement la question de la diversité mais qui ont tout de même le mérite d’exister ?

Labelliser : convaincre ou contraindre ?

Le second paradoxe que nous identifions tient dans le cadre donné par le label. Ce cadre, défini par le cahier des charges peut être qualifié de trop “flou” ou laxiste au regard des objectifs qu’il poursuit. En effet, à la lecture, un certain nombre d’éléments peuvent sembler peu factuels voire très subjectifs et nous questionnent sur l’efficacité de telles formules. À titre d’exemple, pour obtenir le label diversité, il est nécessaire de mettre en place une cellule d’écoute composée de personnes « choisies pour leur impartialité »[3]. Pourtant, dans une organisation où les femmes et hommes ont chacun·e leur propre histoire, interagissent, créent et développent des liens entre eux, il serait illusoire de considérer que l’objectivité et l’impartialité priment systématiquement. Nous sommes donc en droit de nous demander comment des règles en apparence si fragiles peuvent garantir le respect de l’égalité et de la non-discrimination dans les organisations.

Cependant, si ce caractère « flou » des règles imposées peut sembler inefficace, doit-on exiger d’un label qu’il impose des normes très contraignantes ? Est-ce bien là son rôle ? N’est-ce pas plutôt celui du cadre législatif ? En effet, le label est une forme de « soft law »[4], destinée à être une vitrine des bonnes pratiques des entreprises, les mettre en avant et les valoriser pour inciter d’autres à prendre volontairement le même chemin. Le label peut être compris comme un complément de la loi en vigueur, et ne vise donc par à la remplacer. Dans cette optique, la devise du label serait alors « convaincre plutôt que contraindre » (Junter, Sénac-Slawinski, 2011).

Un label porté par ses valeurs, vraiment ?

Notre troisième paradoxe repose sur la fin poursuivie par l’organisation faisant la demande d’une labellisation : en effet, si le label vise à promouvoir l’égalité et la diversité au sein de l’entreprise, ne nous voilons pas la face, dans la plupart des cas elle engage une démarche de labellisation dans un objectif de rentabilité indirecte (une hausse de ses profits liée à son image, à une mise en conformité lui permettant de se prémunir contre d’éventuelles attaques, à la satisfaction des employés, ou encore à l’attractivité de sa marque employeur). L’instrumentalisation des labels comme outil marketing pourrait alors faire oublier la logique socio-politique de la RSE au profit de la seule logique économique (Demontrond, Joyeau, 2010).

Cependant, peut-on réellement reprocher à une entreprise de poursuivre des ambitions économiques alors qu’il est clair et communément admis que son modèle est construit sur cette logique de profit ? Au-delà du risque d’instrumentalisation du label, il convient de considérer plutôt l’avantage que ce dernier représente en tant que “prétexte” pour mettre le sujet de la diversité sur la table, « en haut de la pile des préoccupations de l’entreprise » lors de la démarche de labellisation mais également dans la durée, lors de la préparation des audits réalisés par l’AFNOR (Bereni, Epstein, 2014).

Label : le coût de la conformité ?

Bien que l’alliance des deux labels ait permis une gestion commune de la démarche de labellisation et ainsi une réduction des coûts associés, obtenir le label reste une démarche coûteuse au regard du nombre de personnes mobilisées en interne comme en externe pour une mise en conformité avec les exigences du cahier des charges (Bereni, Epstein, 2014). Cette démarche alors onéreuse mise au regard de l’argument d’absence de moyens financiers souvent avancé pour justifier le manque d’investissement pour la promotion de la diversité, pose la question des priorités de l’entreprise. Si le label est une vitrine servant à mettre en lumière les bonnes pratiques déjà présentes dans l’entreprise alors le coût associé au label est en fait non pas un investissement pour la diversité mais plutôt un investissement pour de la conformité. L’argent investi ne devrait-il pas servir autrement ?

Cela étant dit, d’autres entreprises vont profiter de la visibilité qu’offre le label pour initier la réflexion sur la diversité en leur sein, alors même que ce sujet, sans déclencheur concret, était laissé de côté depuis longtemps. Le label devient alors un argument majeur pour s’atteler au sujet malgré le coût qu’il représente.

Label : obtenir le graal ou valoriser sa quête ?

Pour finir, notre dernier paradoxe porte sur la dualité label/labellisation. Bien que la finalité poursuivie par l’entreprise soit l’obtention du label, ce qui nous intéresse dans une logique de promotion de la diversité en entreprise, ce n’est pas le graal mais bien sa quête. C’est « l’engagement dans sa conquête qui est déterminant, la mobilisation que la labellisation organise et les bénéfices qui en sont tirés par certains acteurs au sein même des organisations » (Bereni, Epstein, 2014).

En effet, ce n’est pas tant la destination mais bien le chemin qui est ici empli de sens. Sous prétexte de l’obtention d’un label, c’est la mise en mouvement de l’entreprise dans le cadre de la labellisation, qui mobilise ses moyens et ses salariés à tous niveaux autour des thématiques d’égalité et de diversité afin de mettre en place des politiques qui irriguent l’ensemble de l’organisation. La labellisation apparaît alors comme un levier pour les entreprises, afin que ces dernières adoptent une démarche d’amélioration continue, jalonnée par les audits de l’AFNOR.

Le label n’est donc pas une solution miracle à la lutte contre les discriminations ou à la promotion de la diversité. Les multiples paradoxes qu’il contient peuvent lui valoir d’être considéré comme « trop » contraignant par certain·es, et « pas assez » par d’autres. Cependant, le label a pour objectif d’impulser l’action et de lui donner un cadre, il incite l’entreprise à mener une réflexion sur ses pratiques, et à développer ses propres initiatives. Le label, par le biais de la labellisation, constitue donc un prétexte utile à la mise en mouvement de l’ensemble des parties prenantes sur ces sujets


Bibliographie :

Bereni L. et Epstein R. (2014) Instrumenter la lutte contre les discriminations : le « label diversité » dans les collectivités territoriales, Rapport de recherche pour l’ARDIS

Broussillon G., Pierre, P. & Seurrat, A. (2007) Vers une certification de la diversité dans les entreprises en France ? Management & Avenir

Junter A. & Sénac-Slawinski R. (2010) La diversité : sans droit ni obligation. Revue de l'OFCE

Robert-Demontrond P. & Joyeau A. (2010) Résistances à la responsabilité sociale des entreprises : de la critique des modalités à la critique de la logique économique sous-jacente. Revue de l’organisation responsable


[2] Cahier des charges disponible sur le site de l’AFNOR

[4] Le « droit mou » ou souple, est un ensemble de règles de droit non obligatoires, peu sanctionné ou peu contrôlé.

Tags: Diversité Relations sociales Code du travail