Accompagner les collaborateurs dans leurs moments de vie difficiles

Interview de Claude Monnier - DRH Sony Music Entertainment

Je vous parlais des moments clés dans cet article, et pour aller plus loin j’ai souhaité interviewer Claude Monnier, Directeur RH chez Sony Music Entertainment.

En plus des moments clés qui jalonnent le parcours des collaborateurs dans l’entreprise, pour améliorer leur expérience salarié on peut considérer également et prendre en compte leurs « moments de vie ». Ces moments de la vie personnelle du collaborateur qui peuvent avoir un impact sur son quotidien de travail en terme de disponibilité horaire et intellectuelle, de concentration, de stress, de performance. Claude Monnier s’intéresse depuis plusieurs années à ce qu’il appelle les « moments faibles », c’est-à-dire les moments de vie difficiles des collaborateurs (accidents, décès d’un proche, maladie,…).

Séverine Loureiro : Qu’est-ce qui vous a emmené à travailler sur les moments faibles des collaborateurs ?

Claude Monnier : Ca peut paraître étonnant, mais se sont mes échanges avec des artistes ou des créatifs qui m’y ont emmenés. Dans l’univers de la chanson, les artistes expliquent souvent qu’ils ont connu un pic de créativité et d’inspiration après avoir vécu un événement tragique. Le processus de création les a alors aidé à surmonté leur douleur, et joué un rôle de catharsis. Un process créatif qui se trouve densifié et change à jamais après l’événement.

On pourrait citer de nombreux artistes percutés par un drame et qui en ont nourri leur processus créatif : Stromaé, Jacques Brel, Nike Cave un artiste anglais dont le fils de 15 ans est mort dans des conditions dramatiques. Il écrira un album (dont le titre est « Ghosteen » : fantôme adolescent) inspiré de sa relation avec son fils et des difficultés du deuil. Un album très différent de ses précédents. C’est ce nouvel élan créatif chez les artistes qui m’a interpelé, et s’il en était de même pour nos collaborateurs ? Et si les entreprises prenaient en compte ces moments faibles pour accompagner ses salariés dans ce que ça va changer chez eux.

Séverine Loureiro : Comment les entreprises pourraient-elles faire selon vous ?

Claude Monnier : Quand un collaborateur vit un événement tragique, et que l’information est connue du collectif, on constate souvent un soutien immédiat de l’environnement. Du point de vue du collaborateur, l’impact sur son quotidien de travail varie entre une incapacité à travailler ou au contraire un besoin colossal de s’occuper. Concernant l’entreprise, arrive souvent le moment où une baisse de la performance du salarié commence à faire discussion. On compatis évidemment, mais on s’accorde aussi sur le fait que la baisse de performance ne pourra pas durer éternellement… On décide alors d’adapter : adapter les objectifs en les réduisant, adapter la pression, adapter la charge de travail, sans que cela ne soit nécessairement ce dont a besoin le collaborateur à ce moment-là. Et au bout de la chaîne, certaines entreprises choisissent de se séparer de la personne restée trop longtemps en-dessous de la performance attendue. La prise en compte des temps faibles questionnent l’organisation : on est tolérant mais on s’attend quand même à ce que les problèmes restent à la porte de l’entreprise. Moi je pense que, si pour certaines personnes le fait de vivre une expérience difficile peut se traduire en créativité plutôt qu’en chute de performance pérenne, l’entreprise se doit de comprendre cela et de l’accompagner. La réponse doit être une autre alternative que le placard ou la sortie.

Séverine Loureiro : Comme quoi alors ?

Claude Monnier : Clairement la difficulté c’est qu’il y a autant de réponses que de cas. Mais la richesse de notre rôle de RH elle est dans cette capacité à comprendre ce dont les collaborateurs ont besoin. Pour cela, la première chose est de créer un climat de confiance dans lequel les salariés qui vivent un événement tragique n’aient pas peur d’être de la réaction de l’entreprise. Puis il faut comprendre : a-t-il besoin de discrétion, de pudeur, qu’on le laisse tranquille ? ou bien est-ce qu’un nouveau challenge l’aiderait à se mobiliser sur autre chose ? ou encore est-ce que la routine de ce poste occupé depuis un moment n’aide pas et qu’apprendre sur un nouveau job aiderait plus ? Il est essentiel de ne pas répondre à une première peine par une double peine ! On sait comme dans notre société l’identité professionnelle est un marqueur fort, dans ces moments où l’identité personnelle peut être impactée, il s’agit selon moi de ne pas fragilisé en plus l’identité professionnelle. Je cite souvent l’amiral Olivier Lajous qui a dit : "la force d'une chaîne est celle de son maillon le plus faible", c’est à dire que le maillon le plus faible de la chaîne conditionne la force de l’ensemble. Chaque maillon est donc la responsabilité de tous.

Séverine Loureiro : La responsabilité de tous mais surtout des RH si je comprends bien ?

Claude Monnier : Disons que si ça n’est pas dans le champ de préoccupation des RH je ne vois pas bien à bien ce qui peut l’être. En tout cas, c’est comme ça que je vois mon rôle. Investir du temps et du budget sur les meilleurs diplômés des écoles de commerce que l’on a recruté et que l’on forme à devenir nos top dirigeants de demain, ça ne doit pas être le seul rôle des RH. L’investissement sur cette population favorisée par le système me paraît indécent si à côté de cela on a des collaborateurs qui vivent des moments très difficiles que l’on n’accompagne pas. Moi je préfère chercher le moyen de renforcer leur identité professionnelle et les accompagner dans une transformation de leur peine en processus créatif plutôt qu’évaluer leur perte de performance potentielle.

Merci à Claude pour cette interview passionnante. Je réfléchis depuis un moment à tous ces temps clés pour le collaborateur, mais j’avoue n’avoir jamais pris le sujet par la façon dont, pour les moments de vie tragiques, on pouvait l’aider à surmonter sa peine et à la transformer en quelque chose de positif, comme cette énergie créative chère à Claude, mais peut être en d’autres choses aussi, à méditer.

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Après avoir occupé des fonctions RH chez un pure player américain et dans un groupe de cosmétiques français, Claude Monnier occupe une fonction RH dans un groupe japonais œuvrant dans les industries culturelles et créatives.

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Note sur l'image d'en-tête : Frida Kahlo, artiste mexicaine qui a surpassé les accidents de la vie pour magnifier son art (Portrait de Nickolas Muray ©)

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Par Séverine Loureiro, Experte de l'Expérience Collaborateur et de la transformation RH.

Tags: Expérience collaborateur Marketing RH