On me demande régulièrement si au bout de 15 ans d’expérience en recrutement, je suis devenue « infaillible » en la matière. Ma réponse est toujours la même… non, pas du tout… Pourquoi ? Parce que le recrutement n’est pas une science exacte et reste un processus humain donc éminemment subjectif et imparfait. A qui la faute ? Les premiers à incriminer sont essentiellement les biais cognitifs tout particulièrement à l’œuvre dans les processus de recrutement.

Selon le psychologue Jean-François Le Ny, « Un biais est une distorsion (déviation systématique par rapport à une norme) que subit une information en entrant dans le système cognitif ou en sortant. Dans le premier cas, le sujet opère une sélection des informations, dans le second, il réalise une sélection des réponses ».[1]Inconsciemment, notre cerveau va « prendre des libertés » dans le traitement des innombrables informations qu’il reçoit et effectuer des « raccourcis » en accordant une importance démesurée à certaines informations ou bien en en occultant d’autres complètement.

Il est très difficile de lutter contre ces biais même en déployant toute une artillerie technologique et en mettant en place des processus élaborés. Néanmoins, avec de l’expérience, une forte volonté d’améliorer sa pratique au quotidien et une bonne connaissance des principaux biais cognitifs, nous pouvons en « déjouer » un maximum et tendre vers un recrutement le plus « objectif » possible. Je vous propose donc de passer en revue les principaux biais cognitifs.

Le biais de la première impression

C’est le biais le plus connu et celui qui fait le plus de ravages. Nous nous focalisons sur les tous premiers éléments d’information que nous avons sur un candidat à savoir sa poignée de main, sa tenue … pour en tirer des conclusions globales et malheureusement quasi définitives. Ainsi, nous prenons pour acquis le fait qu’un candidat en retard n’est pas fiable et organisé. Nous aurons alors beaucoup de mal à nous départir de cette première impression car nous relativiserons, modifierons voire occulterons toutes les informations qui ne nous confortent pas dans cette opinion initiale.

Le biais de confirmation

Nous partons d’une seule et unique caractéristique d’un candidat et la généralisons à l’ensemble de ses caractéristiques. Nous aurons ainsi tendance à percevoir un candidat avec une belle apparence physique comme quelqu'un de plus compétent que quelqu’un d’apparence moins soignée. D’ailleurs, selon une étude de 2019, les salariés jugés « beaux » perçoivent des salaires en moyenne 12% plus élevés…

Le biais d’association

Nous procédons par associations d’idées et faisons automatiquement des liens entre certaines informations figurant sur un CV et des traits de caractère que nous prêtons au fait d’appartenir à tel groupe d’individus ou de pratiquer telle ou telle activité. Nous estimerons ainsi qu’un candidat fan de sports d’équipes est forcément sociable et qu’il n’appréciera pas de travailler seul. Bref, nous tirons des conclusions hâtives sur lui.

L’effet de Dunning-Kruger

Selon les psychologues Dunning et Kruger, les moins compétents auront tendance à surestimer leurs capacités alors que les plus compétents auront, au contraire, tendance à minimiser les leurs. Un candidat incompétent n’a, en effet, pas les compétences requises et nécessaires pour réaliser qu’il l’est. Alors qu’a contrario, un candidat très compétent aura une conscience aiguë de ses propres limites et des connaissances dont il ne dispose pas encore. Nous devons donc nous méfier des candidats affichant une confiance sans limites dans leurs compétences et connaissances.

Le biais de cadrage

Concrètement, cela consiste à débuter un entretien avec une idée bien précise en tête de ce que nous attendons de cet échange et avec la volonté d’être conforté dans notre opinion et nos préjugés. Ainsi, nous formulons nos questions de telle manière que le candidat sait exactement la réponse que nous attendons de lui et « souhaitons » entendre Il ira ainsi dans ce sens sans pour autant que cela soit la vérité car nous l’avons trop fortement influencé. « J’ai vu que vous avez un Bachelor de Management, je suppose que vous êtes à l’aise en anglais et en mesure de travailler dans un environnement international sans difficultés ? »

L’effet de contraste

Ce biais est tout particulièrement à l’œuvre dans le cadre de recrutements de profils pénuriques et de postes difficiles à pourvoir. Ainsi, si nous avons présélectionné et reçu 3 candidats en entretien, il y a de fortes chances que nous ayons envie de sélectionner le « moins pire » des candidats rencontrés. Pour autant ce dernier, même s’il tire son épingle du jeu et se démarque des deux autres, n’est pas forcément un candidat adéquat pour pourvoir le poste en question.

L’effet de récence

Ce biais repose sur le fait que nous nous souvenons mieux des derniers candidats rencontrés et donc des dernières informations engrangées. A compétences égales, nous aurons ainsi tendance à privilégier et à préférer le dernier bon candidat rencontré uniquement pour la simple – et non bonne - raison que nous l’avons récemment rencontré et que nos échanges et interactions avec lui sont plus frais dans notre mémoire et notre esprit.

Le biais culturel

Nous nous montrons plus bienveillants et ouverts avec les candidats qui nous ressemblent et avec lesquels nous avons une certaine proximité voire connivence intellectuelle. Nous privilégions, par exemple, les personnes ayant fait les mêmes études, partageant les mêmes passions ou étant fan des mêmes écrivains. Pour autant, ces goûts et points communs ne préfigurent en rien de l’adéquation réelle du candidat au poste à pourvoir.

L’effet de simple exposition

Là encore, nous éprouvons un sentiment plus positif et bienveillant vis-à-vis d’un candidat du fait même de l’avoir déjà rencontré et de la simple exposition répétée à ce candidat. Dans un contexte de recrutement, cela signifie que nous serons enclins à évaluer plus favorablement et à « avantager » un candidat que nous avons déjà rencontré ne serait-ce qu’une seule fois à l’occasion d’une soirée cooptation ou d’un salon par rapport à un candidat que nous découvrons pour la première fois en entretien.

L’effet de conformisme de groupe

Lorsque nous hésitons entre plusieurs candidats, il est naturel de vouloir impliquer un maximum d’interlocuteurs dans la prise de décision. Force est de constater que cela peut, malheureusement, être contre-productif. En effet, selon Janis Irving, les individus d'un groupe ont tendance à rechercher prioritairement une forme d'accord global ou « consensus » plutôt qu'à appréhender de manière réaliste la situation. Ainsi, au lieu de permettre la prise de décision la plus objective, fiable et équilibrée possible, une prise de décision collective aboutit bien souvent, à une décision convenue et conformiste.

Le biais de l’angle mort

C’est mon biais cognitif « chouchou ! Il s’agit tout simplement d’un biais qui nous pousse à croire que nous sommes moins sensibles que les autres aux biais cognitifs….

Conclusion

En conclusion, les processus de recrutement offrent un formidable terrain de jeu aux biais cognitifs !

Il est crucial que nous en soyons conscients afin de pouvoir « lutter » au maximum contre ces biais cognitifs qui nous assaillent en permanence. La prise de conscience et la connaissance des biais cognitifs est, en effet, un premier pas vers un recrutement plus objectif et de meilleure qualité.

Pour autant, vouloir s’en débarrasser totalement est clairement voué à l’échec tant ils sont nombreux, inconscients et gouvernent nos schémas de pensée. Je n’ai pas de solution miracle si ce n’est de vous conseiller de rester vigilants, de prendre du recul, de préparer aux maximum vos entretiens, d’exercer pleinement votre esprit critique et de vous forcer à penser contre vous-même.

[1] « Biais », Grand Dictionnaire de la Psychologie, Larousse

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