Comme évoqué dans mon précédent article sur le sujet, il existe plusieurs pistes et techniques intéressantes à mettre en œuvre pour réduire au maximum les dégâts occasionnés par les biais cognitifs qui rôdent et nous assaillent en permanence. Je vous propose de découvrir aujourd’hui 4 nouvelles pistes. C’est parti !

Limiter les entretiens non-structurés et combiner différentes techniques de recrutement

Certains d’entre vous vont peut-être grincer des dents mais j’estime qu’il est sain, de temps en temps, d’envisager le recrutement sous un angle « scientifique » et de s’interroger sur le type d’entretien à privilégier pour accroître sa performance et limiter les biais cognitifs.

Ce n’est pas livrer un « scoop » que de rappeler que l’entretien non-structuré est jugé par de nombreuses études comme la plus mauvaise méthode envisageable. Pourtant, les entretiens non structurés sont très répandus et « reçoivent de manière permanente le plus haut niveau de score sur l'efficacité perçue de la part des managers » affirme Iris Bohnet, économiste comportementale et professeure à la Harvard Business School.

L’étude de référence en la matière date de 1998 et a été réalisée par les chercheurs Frank Schmidt et John Hunter [1]. Ces derniers ont passé en revue et évalué la pertinence de 19 techniques de recrutement différentes en intégrant les résultats de 85 années de recherche et publications sur le sujet. Ils sont arrivés à la conclusion que les entretiens non-structurés ont une très faible capacité à prédire la performance future d’un candidat recruté, capacité évaluée à 14%. Ce faible taux de prédictibilité de la performance ou taux de corrélation est essentiellement imputable aux biais cognitifs qui sont « à la fête » dans ce genre d’entretien.

Selon cette étude et de nombreuses autres, plus le processus de recrutement est structuré, plus sa prédictibilité est forte. Sans surprise, l’entretien structuré tire clairement son épingle du jeu et obtient un score de 26% de prédictibilité à égalité avec les tests de capacités cognitives mais juste en-dessous de l’analyse d’un échantillon de travail ( 29%) qui est jugée comme étant la méthode la plus fiable de recruter et d’évaluer objectivement les compétences d’un candidat.

Que peut-on en déduire de manière concrète ?

Tout d’abord, force est de constater que le meilleur score de prédictibilité plafonne à 29% ce qui est bien mais qui n’est pas clairement pas suffisant et satisfaisant en soi. Cela signifie donc qu’afin d’assurer un recrutement plus qualitatif et performant, il faut combiner plusieurs techniques de recrutement pour augmenter ce score de prédictibilité et dépasser ainsi la barre des 50%.

Autre enseignement à en tirer, il convient, dans la mesure du possible selon le poste à pourvoir et la confidentialité des informations en jeu, de demander en priorité aux candidats de fournir un échantillon de leur travail ou bien de les mettre en situation réelle afin de se faire la meilleure idée possible de leur adéquation pour un poste donné.

Enfin, un dernier enseignement est de limiter les entretiens non-structurés. Je suis, néanmoins, d’avis qu’il ne faut pas viser un processus constitué à 100% d’entretiens structurés car cela conduirait inévitablement à un « appauvrissement relationnel », à une perte de spontanéité et à une évaluation plus délicate voire impossible des soft skills jugées de plus en plus essentielles par les entreprises. Cela nuirait ainsi fortement à la qualité de « l’expérience candidat ».

Aussi afin de bénéficier du « meilleur des deux mondes », je préconise soit d’opter pour l’entretien structuré lors de la phase de présélection en utilisant éventuellement le potentiel de l’entretien vidéo différé soit d’opter pour un entretien semi-structuré comprenant une introduction et une conclusion non-structurées mais le corps même de l’entretien structuré.

Promouvoir l’esprit critique

Afin de limiter au maximum l’influence des biais cognitifs, il est nécessaire que l’entreprise promeuve et encourage de manière continue l’exercice de l’esprit critique au sein de sa structure.

Cela lui permettra de se prémunir au maximum contre « l’effet de conformisme de groupe ». Les individus d'un groupe ont, en effet, tendance à rechercher prioritairement une forme d'accord global ou consensus que je qualifierais de « mou » plutôt qu'à appréhender de manière réaliste la situation telle qu’elle est. Ainsi, au lieu de permettre la prise de décision la plus objective, fiable et équilibrée possible, une prise de décision collective aboutit , le plus souvent, à une décision convenue et conformiste.

Il est donc crucial de permettre aux acteurs du recrutement de pouvoir librement exprimer leur opinion sur les candidats rencontrés et d’éviter ainsi qu’ils ne « s’auto-censurent ». Il est également souhaitable de les inciter à tenter de « penser contre eux-mêmes » et à jouer leur propre avocat du diable lors de la prise de décision.

Analyser de manière fiable son activité recrutement

Dans l’optique de tendre vers un recrutement plus objectif, il est nécessaire qu’une entreprise soit en mesure d’analyser de manière fiable son activité de recrutement et ce au travers d’indicateurs pertinents. Elle peut ainsi en tirer des enseignements, identifier ses axes d’amélioration et se « benchmarker » vis-à-vis des concurrents et standards du marché ce qui est toujours une bonne chose…

Assurer une veille constante des tendances et outils

Enfin, il est nécessaire qu’un acteur du recrutement idéalement le responsable de l’équipe soit en veille constante sur les nouveaux outils, pratiques et tendances du recrutement mais aussi sur les apports des sciences du comportement, de la psychologie et des neurosciences sur le sujet afin de pouvoir faire bénéficier son entreprise de ces avancées et d’améliorer en continue ses pratiques en la matière.

Conclusion

De très nombreux biais cognitifs sont à l’œuvre dans un processus de recrutement tant et si bien qu’il est totalement illusoire de prétendre pouvoir tous les « éradiquer ». Néanmoins, j’estime qu’une entreprise animée d’une forte volonté de s’attaquer à ce problème dispose tout de même d’une réelle marge de manœuvre pour se prémunir contre un maximum de biais cognitifs et en réduire les effets délétères.

Pour ce faire, elle doit mettre la formation au cœur de ses préoccupations en formant ses équipes de recrutement aux biais cognitifs et tout particulièrement aux techniques d’entretien et de questionnement. Elle doit aussi s’interroger sur son processus de recrutement, le réviser régulièrement, le formaliser et s’assurer qu’il soit bien connu de tous afin de garantir une équité de traitement des candidats. Elle doit également accepter de remettre éventuellement en cause ses pratiques en optant pour des entretiens plus structurés et en combinant, si possible, différentes techniques de recrutement.

Il faut toutefois résister à la tentation d’un recrutement constitué à 100% d’entretiens structurés car c’est prendre le risque de transformer les recruteurs en robots – ce qui leur est déjà reproché -, d’appauvrir les échanges, de dégrader fortement l’expérience candidat, de rendre difficile voire impossible l’évaluation des indispensables soft skills, bref d’être victime du biais de l’entomologiste à savoir un jugement exclusivement fondé sur des faits et des compétences techniques….

[1] Schmidt, Frank L.; Hunter, John E. (1998). The validity and utility of selection methods in personnel psychology: Practical and theoretical implications of 85 years of research findings, Psychological Bulletin, Vol 124(2), 262-274

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