Réflexions sur une recherche internationale

La COVID-19 dans le monde académique a déclenché une abondance de publications en Gestion des Ressources Humaines, incluant des articles professionnels courts, des livres et des articles scientifiques. Pour nourrir ces derniers, les chercheurs doivent s’appuyer sur des données rigoureuses, difficiles à obtenir dans un contexte de pandémie où les préoccupations des répondants potentiels sont probablement centrées sur des problèmes d’une autre nature. Pourtant, il est nécessaire d’encourager les personnes à participer aux études scientifiques en sciences de gestion, comme dans d’autres domaines, pour pouvoir comprendre afin d’agir. La COVID a montré, à celles et ceux qui sont éloignés du monde de la recherche, que nul domaine n’était épargné par un possible risque d’utilisation de données peu fiables, résultant en des publications dans des revues prestigieuses dont la crédibilité est alors mise en doute. Le doute fait partie du processus de recherche, comme le débat. Le principe même d’un résultat de recherche est de pouvoir être réfuté. Le débat contribue au développement de la connaissance où la vérité d’aujourd’hui ne sera probablement pas celle de demain. Cet article a pour objectif d’exposer une recherche internationale en cours sur la réussite de carrière, la COVID-19 et ses conséquences en particulier en termes de travail, où la digitalisation des modes opératoires s’est accentuée.

A partir de la ‘Event System Theory’[1] la COVID-19 pourrait être décrite comme un évènement “nouveau, disruptif et critique ». Des périodes aussi disruptives qu’une pandémie comme la COVID-19 et ses temps de confinement et de couvre-feux peuvent créer des difficultés aussi bien d’ordre psychologique que d’ordre économique. Les individus ne sont pas égaux face à de tels évènements, en fonction de leur situation personnelle et professionnelle et aussi de leur capacité à affronter les difficultés de la vie. Pour certains, peut-être les plus privilégiés en termes de ressources disponibles (par exemple, santé, optimisme, situation sociale et économique), un évènement telle la COVID-19 peut être l’opportunité de prendre du recul et de faire le point sur ses aspirations profondes. Pandémie ou non, il y aura toujours des mondes « d’après » auxquels il faut se préparer. Investir sur son « capital humain » en se formant, dans l’objectif d’un retour sur investissement pourrait se traduire par une meilleure réussite de carrière. Chacun a sa définition d’une carrière réussie. La réussite de carrière est définie par la recherche de manière objective et subjective[2]. La réussite objective de carrière utilise comme critères principaux le niveau de rémunération, les mobilités en particulier la mobilité verticale via les promotions, et aussi le statut à l’intérieur et extérieur d’une organisation. La réussite subjective se résume à la satisfaction de carrière mesurée le plus souvent à travers la perception que peuvent avoir les individus des progrès qu’ils ont accomplis dans l’atteinte de leurs objectifs en termes notamment de revenu, d’avancement et de développement de leurs compétences.

L’ambition du 5C Group (Collaboration for the Cross Cultural study of Contemporary Careers), un groupe international d’une cinquantaine de chercheurs (https://5c.careers/5c-country-team-members/) est de mieux comprendre comment les personnes définissent la réussite de carrière dans différentes parties du globe. Deux grandes enquêtes internationales dans 35 pays ont été menées il y a un peu plus de cinq ans et font depuis l’objet de publications académiques. Ces recherches ont montré que la réussite de carrière se présente comme un concept multidimensionnel avec sept indicateurs, sans ordre d’importance les uns par rapport aux autres :1) Développement et apprentissage (apprentissage continu tout au long de sa carrière), 2) Equilibre travail-vie personnelle (équilibre satisfaisant entre ces deux sphères), 3) Impact positif (aider les autres), 4) Entrepreneuriat (avoir son propre business), 5) Relations positives au travail (relations positives avec ses collègues et supérieurs), 6) Sécurité financières (pouvoir faire face à ses besoins fondamentaux) et 7) Réussite financière (atteindre un certain niveau de richesse). Ces 7 aspects de la réussite de la carrière se retrouvent dans les 35 pays représentant les différents continents. L’objectif de ces recherches est de mieux cerner les aspects de carrière dominants en fonction des cultures mais aussi d’autres variables comme la personnalité ou l’attitude envers le changement. Ces recherches sont également utiles au niveau individuel, aussi bien pour les personnes salariées ou non, pour appréhender de manière méthodique les aspects importants de leur carrière. Elles procurent aux personnes des mesures validées scientifiquement pour mieux identifier ce qui est important dans leur carrière. Ces mesures sont définies dans un objectif de développement, en aidant les personnes, sur la base des résultats d’un questionnaire, à interroger leurs priorités en termes de carrière. Comme toute mesure au service du développement des personnes, il ne s’agit pas de les enfermer dans des cases ou catégories mais au contraire de leur donner une plus grande liberté par rapport à leur choix en les encourageant à questionner les résultats issus de ces questionnaires. In fine, cette démarche facilite l’expression de leurs aspirations.

Comprendre la réussite de carrière dans ses différents aspects a aussi pour ambition de mieux accompagner les entreprises dans leur gestion des carrières. Un des grands enjeux pour les entreprises est de passer d’une gestion des emplois à une gestion des carrières. Il n’est pas possible de gérer la carrière d’une personne sans son implication contrairement à la gestion des emplois. Aussi, nous avons besoin de mieux comprendre comment les personnes définissent la réussite de carrière. L’ambition du 5C Group est de comprendre, en fonction des cultures et des parcours particuliers, comment les personnes définissent leur réussite de carrière et les actions qu’elles entreprennent pour y parvenir. La COVID-19 a imposé des changements de modes de travail avec une présence plus importante des technologies, en particulier digitales, notamment avec le développement à marche forcée du télétravail. Le management de proximité, parfois distant du fait d’une mise en œuvre timide, s’est retrouvé confronté à la distance physique. Si la distance a pu parfois accroitre la proximité via la technologie, elle a aussi pu générer un vide managérial, voire un gouffre quand le vide préexistait.

La COVID-19 a généré un contexte, parfois forcé, propice à s’interroger sur son avenir, aussi bien au niveau personnel et professionnel. Contribuer à une recherche en remplissant un questionnaire s’avère utile à la fois pour la recherche au niveau du développement des connaissances mais aussi aux personnes qui acceptent de compléter le questionnaire de manière volontaire. Aussi remplir le questionnaire que propose le groupe de chercheurs 5C participe au développement de la recherche internationale sur le sujet (une quarantaine de pays participe), mais offre également aux répondants une opportunité d’interroger leur carrière et éventuellement de se projeter vers d’autres horizons. Pour avoir des résultats exploitables, c’est-à-dire d’abord obtenir des réponses, et ensuite que ces réponses soient sincères, la confidentialité et l’anonymat sont garantis. Le répondant ne doit pas simplement faire confiance au chercheur, mais aussi aux outils digitaux utilisés pour collecter les données. Dans un environnement parfois marqué par la défiance, où la recherche elle-même peut avoir souffert de querelles d’égos, le sceau « recherche académique » estampillé sur une invitation à participer à un questionnaire ne constitue plus une garantie suffisante de sérieux. Indiquer que les données recueillies seront traitées pour les besoins de la recherche à un niveau agrégé, avec un respect scrupuleux de la confidentialité et de l’anonymat peut paraitre vain. Encore faut-il que le répondant potentiel fasse confiance au contrat proposé. Or faire confiance, c’est accepter d’être vulnérable. La vulnérabilité est une force qui manque parfois aux répondants potentiels aux enquêtes académiques.

Les enquêtes en ligne facilitent l’accès aux répondants, même si cela était plus facile il y a quelques années en arrière avec un cadre légal plus flexible. Pendant le premier confinement en France, l’auteur de cet article recevait des Etats-Unis ou d’autres endroits du monde une invitation par jour à compléter une enquête en lien avec la COVID-19. La plupart des personnes acceptent ces emails non sollicités et décident de les supprimer s’ils ne souhaitent pas répondre aux enquêtes. Cependant, dans l’environnement Européen, l’envoi d’email, et la recherche n’échappe pas à cette contrainte, devient très encadré. Cela conduit les chercheurs, au-delà de la simple invitation à participer à une recherche de proposer aux répondants potentiels d’en retirer un bénéfice immédiat. C’est peut-être dans la logique d’une culture consumériste où le temps consacré à compléter un questionnaire doit rapporter « quelque chose » à court terme. Il fut une période où l’on pouvait promettre les résultats de la recherche. Cependant, en sciences de gestion, surtout au niveau international, entre la collecte des données et la publication des résultats dans une revue scientifique de qualité, quelques années peuvent s’écouler.

Les systèmes de collecte de données en ligne procure aujourd’hui la possibilité aux répondants d’avoir un feedback individuel sur certains aspects du questionnaire. Pour la recherche du 5C sur la réussite de carrière, la COVID-19 et le digital, le feedback se trouve en fin de questionnaire ou peut être envoyé automatiquement par email si la personne consent à fournir ce dernier, en conformité au RGPD et à la loi Informatique et Libertés modifiée. Ce feedback porte sur les aspects importants de leur carrière et l’influence ou non de la COVID-19, leur résilience en termes de carrière (capacité à faire face aux changements), le fait d’avoir une carrière porteuse de sens, et leur agilité par rapport à la technologie digitale de plus en plus présente en lien avec son travail. Plus important que le feedback, le cheminement tout au long du questionnaire reste l’expérience la plus enrichissante en termes de réflexions sur sa carrière. Prendre le temps de faire le point, tout en contribuant à une recherche internationale participera modestement à mieux formuler ses aspirations et soutiendra le développement d’une recherche où l’expression des salariés en France sur les aspects importants de leur carrière est prise en compte.

_____________________________________________________________________

Invitation de participer à cette recherche 5C :

Participez en 30 minutes à l'enquête et obtenez un feedback personnel, cliquez ici : Questionnaire « Baromètre Carrière »

Et n’hésitez pas à communiquer le lien de cet article pour inviter les membres de votre réseau, quelle que soit leur profession, à compléter ce questionnaire !

[1] Morgeson, F.P., Mitchell, T.R., & Liu, D. (2015). Event system theory: an event-oriented approach to the organizational sciences. Academy of Management Review, 40, 515–537.

[2] Cerdin (Rh Info) Développer l’employabilité par la cogestion des carrières.

Tags: Carrière Gestion des carrières Digital Covid-19