Les modes managériaux se succèdent quand ils ignorent ceux qu’ils managent… Est-ce bien sérieux ?
Il est surprenant de constater que la reprise en français de l’anglicisme « manager » ne lui a pas apporté plus de sens, pour quoi, pour qui faire. Ce qui laisse sans doute la place à la variabilité de ses modes et à une réelle opacité pour les niveaux hiérarchiques situés en bas de la pyramide…
Le discours managérial se réduit quand il descend les marches de la hiérarchie
Le terme manager est souvent contingenté aux « petits chefs » ceux qui sont dans la proximité des exécutants, cols-bleus et désormais cols blancs. Pour eux, ce niveau d’organisation est souvent difficilement supportable : pris entre les ordres d’un N +1 qui lui-même prescrit ce qu’on lui a demandé d’ordonnancer dans des faisceaux d’intérêt et de motivation qui ne sont pas ceux de ses subordonnés managers de proximité, et a fortiori ceux des « gens de terrain ». Le séduisant discours des têtes pensantes en haut de la hiérarchie est relayé par les incontournables messagers de la direction que sont les DRH ou les consultants attachés à l’entreprise le temps de leur prestation. Intègre-t-il dans la rémunération du personnel ou la finalité de ses tâches au quotidien, les variables externes impactant l’environnement, la reconnaissance et la récompense de la valeur sociétale des métiers qui assurent la survie de la population en cas de crise ?
Sous quelle forme le discours managérial parvient-il à l’ouvrier(ère), ce qui désormais l’inciterait à imaginer un but pour fabriquer journellement des milliers de boulons et non plus satisfaire uniquement un résultat à atteindre ? La réalité managériale a pris en compte les besoins du personnel sous la forme de l’amélioration de ses conditions de travail. Est-elle aussi en capacité de ressentir les aspirations de l’humain à l’utilité sociétale de sa tâche ?
Depuis toujours, les gens de terrain pensent aussi et ils agissent souvent par conviction de cette utilité lors de leurs gestes quotidiens.
Manager n’est pas une activité prospective !
Plusieurs entreprises et pas seulement des « start-up », ont développé un regard attentif sur l’évolution de leur personnel, que ce soit dans la grande distribution ou l’industrie. Le développement de leurs compétences, la prise en compte de leur souhait de carrière a souvent été écouté et a fait l’objet de mesures qui ont créé dans l’entité l’esprit d’une maison où l’on apprécie se rendre chaque matin pour y travailler. Voici des exemples qui sembleraient contrarier le manque d’attention des managers d’en haut pour les managers et les exécutants d’en bas ! Et pourtant dans le message transmis, une dimension a parfois cruellement manqué, celle de l’évolution des facteurs externes susceptibles de modifier le « risque entreprise ». À l’instar du cocher qui, à son époque, manageait un équipage équin, le développement du courrier l’a obligé à échanger la diligence légère contre une malle-poste plus lourde. Les courageux mérens n’ont plus été en force de tracter une charge devenue aussi encombrante. Il a fallu faire appel à des postiers bretons plus adaptés à la situation. Et les chevaux pyrénéens ont été relégués à l’inactivité…
Le personnel ne démérite pas quand les risques extérieurs bousculent les modes de production. Il en subit les conséquences. Le groupe de magasins s’est rendu compte trop tard qu’il fallait « changer sa diligence contre une malle-poste ». Il l’a fait quand ses concurrents avaient déjà pris position dans le développement du drive. Et il a licencié…
Ce qui questionne la nature du management : est-ce une activité d’application au mieux des directives internes qui dégringolent les niveaux hiérarchiques ? ou concourt-il à anticiper en interaction avec le personnel les réalités extérieures ? Satisfait-il une organisation autocentrée sur des objectifs à court terme ou un système ouvert réactif à son environnement interne et externe ?
Les réalités économiques et sociétales émanent déjà du terrain
L’entreprise n’est pas une entité philanthropique, tout un chacun le sait ! Elle se crée pour satisfaire un besoin peu ou prou comblé par le marché. Pour fabriquer un produit ou un service, entre l’input des « ressources » intégrées (dont l’humaine !) et l’output du résultat réalisé, il existe une zone d’ombre objet de toutes les attentions : l’organisation du travail, la répartition des tâches et l'administration du personnel. Les modes de management s’y sont greffés et ont implanté des orientations oscillantes entre directivité et participation, et parfois vers la collaboration.
Le Léviathan-Béhémot à double tête de l’économique et du social a refait surface avec une pandémie qui bouscule les modes d’organisation du travail reliés aux modes de management. Cet élément externe mondialisé a transfiguré les usages de production d’une économie qui désormais fait face à l’autonomie de salariés qui ont redécouvert qu’ils peuvent penser, agir et décider seuls dans une situation à risques. Les deux visages de la « bête » se regardent sans s’opposer, l’une a pris conscience de l’autre et elles agissent de concert car leur corps est commun, celui de la personne face aux bouleversements de la société.
Depuis longtemps la barrière d’un ordre institutionnalisé dénie aux individus la pertinence de leurs connaissances de terrain. Va-t-elle encore faire obstacle à des « managés » qui ont appris à se réguler eux-mêmes ? S’opposera-t-elle toujours à leur « besoin d’Etre » ?
Pour les responsables d’entreprise la question est simple : de quel type d’information la personne a-t-elle besoin pour exécuter sa tâche et satisfaire la reconnaissance de son désir d’utilité sociétale, étape incontournable d’un management dont il faudrait changer la nature ?
La conscience du risque rend immature le discours managérial
Les entités ne peuvent plus ignorer le lien indicible entre l’humain et la finalité du travail. Si elles souhaitent un réel engagement dans la réalisation de la tâche, on ne peut plus tromper l’un en lui masquant l’autre ! Ce lien a existé il y a longtemps quand les conditions de travail étaient si dures que les personnes pouvaient en mourir. Personne ne reprochera à une organisation de réaliser du profit si elle concourt au désir de l’humain à la reconnaissance et à la récompense de son rôle dans un collectif dont le cadre est plus vaste que celui de l’entreprise. Si tel n’est pas le cas, reste-il encore une mission pour les managers ? Les anciens en auraient sans doute parlé comme d’un « coter sur une jambe de bois », un pansement superfétatoire…
Le flux sanguin d’une entité s’appelle information : externe, interne, descendante, remontante ou transversale. Le risque entreprise a bougé et le personnel ne souhaite plus obéir à des ordres non pertinents quand il dispose de l’information de terrain. Pour un commercial remplir toutes les semaines un questionnaire de type « sale force » fait remonter une enquête de la base dont la réalité vécue se diluera au fur et à mesure qu’elle gravira les échelons hiérarchiques. Poser la question de la maturité de l'entreprise pour faire place à l'interactivité de l’information est du ressort de la parole magique. Qui a déjà donné une poignée de main à une entreprise ?
L’artefact entreprise préserverait-il des actionnaires et des dirigeants qui ont oublié ceux grâce auxquels ils peuvent dépenser un argent qui ne vient pas du labeur ?
Le changement des mentalités fait renaître la conscience de classe
L’évolution du management est bien en aval de l’évolution de mentalités confrontées aux difficultés de la vie de tous les jours. Aujourd’hui, le recentrage des personnes sur leurs conditions d’existence et sur leur famille a balayé les problématiques inutiles de l'évolution de compétences dont on n’a plus besoin. Une conscience de classe par le fait des désirs déçus émerge à nouveau. Désormais le souhait est de laisser s’exprimer son intuition et sa créativité. L’abandon du désir d’être soi dans un environnement contraint a recréé des liens effacés entre les personnes dont la classification sociale fait écho à leurs frustrations analogues. Certains créateurs d’entreprise l’ont compris et pour eux la recherche des ressources humaines et des compétences ne se pose pas en ces termes. Ils recrutent déjà en fonction du service que les candidats peuvent rendre à leur organisation et ce que ces derniers lui demandent pour s’accomplir au travail. La question des « ressources humaines » se posera en ces termes quand ils connaîtront un effet de seuil et qu’il leur faudra partager leur pouvoir pour raison de croissance…
Malgré le changement du travail, a-t-on encore la possibilité d’espérer d’une situation qui menace de s’enferrer dans les routines de l’organisation ? La transparence des responsables d’entités mise en perspective avec l’autonomie de leurs collaborateurs dont les engagements sociétaux réciproques auraient convergé, pointerait au bout de l’espoir le jour d’un autre dialogue ; des managers dont le discours mature irait de concert avec la maturité des gens de la base…
Bienvenue à tous dans l’âge adulte des interactions au travail !
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