Un salarié qui poste sur Youtube des propos enregistrés à l’insu de son employeur est-il forcément un lanceur d’alerte ?

M. W… a été engagé en qualité de consultant senior par la société Eurodécision, spécialisée dans le développement de solutions logicielles et d’expertises dans le domaine de l’optimisation et des solutions d’aide à la décision.

Il s’est vu confier une mission auprès d’un technocentre Renault.

Lors d’un entretien du 16 mars 2016, l’employeur a évoqué avec le salarié avoir été averti de l’envoi par l’intéressé d’un courriel politique à des salariés de la société Renault.

Le 18 mars 2016, il lui a notifié une mise à pied conservatoire et l’a convoqué à un entretien préalable prévu le 25 mars suivant en vue d’un éventuel licenciement.

Le 31 mars 2016, le salarié a fait l’objet d’un avertissement pour violation du guide d’information de la société Renault et notamment de sa lettre de mission au technocentre.

Il a été licencié le 21 avril 2016 pour faute grave, l’employeur lui reprochant un manquement à ses obligations de loyauté et de bonne foi, pour avoir procédé à l’enregistrement sonore de l’entretien informel du 16 mars 2016 à son insu et pour avoir communiqué cet enregistrement à des tiers afin d’assurer sa diffusion le 21 mars 2016 dans le cadre d’une vidéo postée sur le site internet Youtube.

L’enregistrement diffusé révélait qu’au cours de l’entretien du 16 mars 2016, l’employeur avait déclaré : « donc ils surveillent, ils surveillent les mails, et à ton avis les mails de qui ils surveillent en priorité '… Bah les mails des syndicalistes bien évidemment… t’es pas censé, en tant qu’intervenant chez Renault, (de) discuter avec les syndicats Renault. Les syndicats de Renault, ils sont là pour les salariés de Renault… »

Le salarié a fait valoir que son licenciement est intervenu en violation de la protection des lanceurs d’alerte et a sollicité devant le juge des référés la cessation du trouble manifestement illicite résultant de la nullité de son licenciement et l’octroi de provisions à valoir sur la réparation de son préjudice.

Les syndicats se sont joints aux demandes.

La Cour d’appel, statuant en référé, a prononcé la nullité du licenciement du salarié pour atteinte à la liberté d’expression et a condamné l’employeur au paiement de diverses sommes au bénéfice du salarié et des syndicats.

Saisi de ce litige, la Cour de cassation rappelle que conforment à l’article L 1132-3-3 du code du travail aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions.

En l’espèce, la Cour de cassation a relevé que pour prononcer la nullité du licenciement, les premiers juges ont retenu que le salarié était recevable à invoquer le statut de lanceur d’alerte dès lors qu’il avait constaté une situation d’atteinte à la liberté d’expression dans le cadre d’échanges avec un syndicat

Néanmoins, en statuant ainsi, la Cour d’appel n’a pas constaté que le salarié avait relaté ou témoigné de faits susceptibles d’être constitutifs d’un délit ou d’un crime…

Il en découle que le statut de lanceur d’alerte ne peut être valablement reconnu que si le juge caractérise avec précision en quoi les faits dénoncés par le salarié seraient susceptibles de constituer des délits ou crime.

A défaut, le salarié concerné n’est pas protégé.
_____________________________________________________________________________

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 4 novembre 2020

N° de pourvoi: 18-15669

Tags: Code du travail Lanceur d'alerte Licenciement