L’invention d’un concept de management passe forcément par la langue anglaise, notre latin moderne. C’est pourquoi il s’agit ici d’undermanagement plutôt que de management d’en bas, de management à bas bruit, voire même de sous-management. Le préfixe under évoque ce qui est caché mais indispensable dans l’underwear, ce qui est plus important que l’apparent exprimé dans l’understatement, ce qui agit sans que l’on ne le remarque dans l’undercover ou l’underground. L’undermanagement serait un peu tout cela ; le plus important ne serait pas visible, le plus efficace ne ferait pas de bruit, le plus vrai ne serait pas dans l’écume du spectaculaire.

Parler d’undermanagement, c’est parler du management, de la fonction nécessaire dans tout groupe humain quand il s’agit d’aider la coopération entre ses membres. On ne parle donc pas de manager : en effet l’undermanagement est une façon de s’écarter de la tendance - évidente dans le succès du leadership ou de toutes les démarches de développement personnel par exemple – à risquer d’oublier le sens de la fonction au profit de son seul titulaire.

Plutôt que de philosopher sur l’undermanagement, on peut en donner sept illustrations ou principes concrets, sept comme les dons de l’Esprit car ils peuvent être sources de sagesse ; sept comme les sept péchés capitaux parce qu’on prend le risque du ratage en les négligeant.

  1. Le managé plutôt que le manager. L’efficacité du management se mesure à la capacité de tous à coopérer de manière performante. L’attention première du manager, c’est donc le « tous », les autres plutôt que soi. C’est ce que savent bien les commerciaux pour qui le mauvais vendeur est celui qui est persuadé de la qualité de ses produits. Si tel est le cas il fait inexorablement passer, même de manière subliminale, au prospect qui résiste, le message de sa bêtise. Le prospect comprend très bien le message et cela ne l’incite pas à acheter. Mais encore faut-il avoir compris en quoi le produit pouvait répondre aux besoins, désirs ou attentes de l’autre. Encore faut-il donc les avoir écoutés, entendus. Il en va de même pour le manager. L’objectif du vendeur est de vendre, l’objectif du manager est la performance (quelle que soit sa mesure). Comment la générer sans avoir écouté, entendu et compris les autres. Le premier pas du management concerne donc les autres plutôt que soi, même si ce n’est pas ce qu’insinuent tous les outils du développement personnel, même si ce n’est pas forcément ce que l’apprenti manager aime s’entendre dire quand il se focalise avant tout sur son style, son modèle ou son talent.
  2. « Faire en sorte que » plutôt qu’ « agir sur ». L’idéal du manager est de ne pas avoir à manager, quand chacun est suffisamment autonome pour une coopération fluide et efficace. L’enjeu du management est donc d’aider à rendre cela possible. Le problème c’est qu’on a souvent l’impression d’exister en faisant et, mieux que cela, chacun rêve, dans ses relations professionnelles comme personnelles, d’agir sur l’autre. Le management s’est ainsi souvent réduit à une boîte à outils, une multitude de prescriptions à imposer aux autres, pour leur bien évidemment. L’undermanagement c’est faire en sorte que les choses se produisent, c’est la discrétion efficace du balai au curling, cet instrument manié avec vigueur et déterminant, sans jamais toucher la pierre. Faire en sorte que, c’est abandonner l’idée naïve et orgueilleuse de vouloir développer les autres alors que le manager doit surtout aider, et accompagner un développement que les personnes sont seules à même de faire. L’undermanagement c’est s’assurer d’être toujours sur la photo, mais derrière.
  3. Préparer plutôt que réagir. Le manager est souvent présenté comme l’acteur, celui qui agit, réagit. D’ailleurs la plupart des conseils en management concernent la bonne réaction à une situation problématique, critique, imprévue. En temps de crise, les managers ont pris la mesure de l’inédit des situations managériales auxquelles ils devaient imaginer de bonnes réactions, inexplorées dans leurs formations managériales. Que cela reste entre nous, mais généralement, devant l’imprévu et l’inédit, manager consiste à faire ce que l’on peut. Et bien malin, en dehors des experts du lendemain, qui peut se risquer à conseiller la bonne action. En revanche, comme dans la cigale et la fourmi, manager, c’est travailler à accumuler des ressources qui donnent plus de chance, dans la crise, de trouver les réactions efficaces. C’est accumuler des ressources de confiance, de reconnaissance, de pouvoir aussi. Les conseils en management insistent toujours sur ce qu’il faut faire : quand c’est un succès, on oublie alors de prendre la mesure des ressources dont disposaient les acteurs au moment de ce succès, confiance accumulée d’un côté, engagement de l’autre. Le sot regarde l’action, le sage les ressources dont disposaient les acteurs au moment de cette action réussie.
  4. Le « commun » plutôt que le « différent ». L’attention dans le management concerne souvent le différent, avec le souci de réconcilier, d’aplanir, ou de l’identifier, de le reconnaître et de valoriser les différences. On cherche à obtenir l’accord sur un projet de transformation, à négocier entre partenaires pour faire ensemble, on cherche des compromis où chacun se retrouve, on veut éliminer les conflits, mettre d’accord, aligner sur des stratégies, des visions ou des principes. Noble tâche mais l’undermanagement c’est plutôt partager, célébrer, renforcer ce qui est commun en partant du principe que le commun dispose à la confiance. La question est de savoir s’il existe du commun pour ceux qui travaillent ensemble dans une entreprise alors que la mode est plutôt à noter le différent. Evidemment ce commun existe mais il faut faire l’effort, avoir l’humilité de le chercher, alors que le différent saute aux yeux (et à l’émotion). Trois pistes pour ce faire : en travaillant ensemble, de gré ou de force, on est bien obligé de se retrouver sur ce qu’il faut délivrer à l’extérieur ; on a le plus souvent des approches communes d’un savoir-faire ; on partage même le plus souvent le minimum de règles de savoir-vivre qui évitent de s’étriper en permanence. Voilà ce qu’il faut mettre en valeur.
  5. L’attention plutôt que le temps. A la question d’améliorer son mode de management, les apprentis managers rétorquent souvent qu’ils n’on ont pas le temps, déjà soumis à l’impératif de l’atteinte des objectifs, à la pression bureaucratique et aux exigences trop nombreuses de l’entreprise, des clients et autres parties prenantes à leur endroit. Le problème avec le temps c’est qu’on en manque toujours, que l’on n’en aura jamais assez. Même en dehors du travail, combien de choses ne fait-on pas par manque de temps ? Attendre d’en avoir enfin est totalement vain. Ce n’est donc pas dans cette direction qu’il faut trouver une solution à l’amélioration de ses pratiques managériales. Non, plutôt que du temps pour le management, c’est de l’attention qu’il faut chercher, l’attention dans la pratique des actes managériaux les plus banals comme le recrutement ou l’évaluation des performances, l’attention dans la relation, la plus banale elle aussi à la machine à café, dans un couloir ou au coin d’un écran lors d’une réunion à distance.
  6. Demander plutôt que dire. On a suffisamment insisté sur les nécessités de l’information ou de la communication pour que les managers aient intégré l’obligation de faire passer les messages, d’expliquer, de partager, de faire redescendre les visions, les stratégies ou les plans d’action. D’ailleurs ne dispose-t-on pas aujourd’hui d’outils efficaces pour le faire avec toujours plus de professionnalisme, juste avant, d’ailleurs, que des avatars remplacent les managers avec un discours ajusté grâce aux algorithmes concoctés par les directions de la communication enfin efficaces. Les managers se posent souvent la question de savoir comment dire, surtout les choses qui fâchent ; ils se culpabilisent de ne pas dire assez, au bon moment et avec le charisme et l’efficacité requis. Sans doute néglige-t-on trop souvent dans l’entreprise de demander, de poser des questions, d’interroger. Interroger, c’est reconnaître l’autre et, le plus souvent, le valoriser ; demander c’est donner la possibilité à l’autre de parler et comme la parole est parfois performative, de commencer de s’engager. Alors, demander quoi ? Tout simplement ce qui concerne l’autre, ce qu’il fait, pourquoi et comment il le fait, ce qu’il pense de son travail et du reste. Les transformations réussies sont toujours marquées par un engagement en acte, celui qui n’est pas que soumission obéissante mais action entrepreneuriale au sens fort du terme.
  7. Être-là plutôt que faire. Les synonymes du verbe manager, c’est souvent, décider, conduire, faire : ce sont des verbes d’action qui mettent l’acteur en avant et valorisent son initiative, dans une vision souvent personnelle de l’exercice de la fonction managériale consistant à faire en sorte qu’une action collective soit efficace. Il n’y a pas de problème avec cela et cette mise en avant du manager correspond même souvent à une demande sociale : écoutons dans les enquêtes sociales de terrain, la demande pour de l’information, pour de l’action des managers. Ceci dit, et surtout en période de crise, les managers devraient surtout « être-là » ; ce n’est pas tant leur action que l’on attend que leur présence, leur discours que leur attention, leur vision que leur proximité. Être-là ce n’est pas simplement communiquer et envoyer des messages, c’est se retrouver avec des collaborateurs même quand il faut inventer des modes plus ou moins artificiels de présence, à distance par exemple. Ce qui empêche le plus souvent d’être-là, c’est la difficulté pour certains, spécialement en période de crise ou de grande incertitude, de ne pas avoir d’informations à donner, de solutions à fournir, de certitudes à confier. Il est nécessaire de dépasser cette crainte en se posant simplement la question de l’interprétation de leur absence.

Chacun rajoutera d’autres facettes à cet undermanagement, mais il n’est pas impossible que l’understatement du propos ne le condamne à rester underground.

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