L’année 2020 a été une année pivot en matière d’organisation du travail. Celle-ci a été interrogée et réinterrogée dans ses fondements.

Le télétravail existait bel et bien dans un grand nombre d’organisations qui permettait à une partie plus ou moins importante de ses collaborateurs de le pratiquer un à deux jours par semaine pour les plus avancés. Il faut toutefois admettre que dans bien des cas le télétravail s’apparentait plutôt à un moment de non-management, il était traité comme une parenthèse dans la semaine, il permettait de prendre du recul et traiter des dossiers de fond. Le manager avait ainsi tendance à reporter au lendemain, jour de présence sur site, le point sur l’un ou l’autre des dossiers en cours.

L’augmentation significative de la fréquence et du nombre de jours télétravaillés invite fortement à repenser le modèle de management. Après quelques tâtonnements sur les concepts à utiliser, il s’avère que le terme de management en mode hybride s’impose peu à peu parmi les consultants sollicités pour accompagner ces transformations.

Dans le fond, l’enjeu est de penser le management à l’aune de cette nouvelle donne dont on ne perçoit pas de façon évidente ce qui en fait l’unité.

Pour comprendre cela, faisons un détour par le théâtre classique. Vos cours de littérature vous ont appris que le théâtre du XVIIème siècle obéit à certaines règles dont celles de l’unité de temps, d’action et de lieu. Ces trois critères offrent une clé de lecture pour comprendre les transformations à l’œuvre.

L’unité idéale des organisations :

On peut avancer que l’unité de temps, d’action et de lieu s’est donnée principalement dans l’idéal des organisations bureaucratiques. Cette unité n’a jamais vraiment été parfaite, toutefois le principe directeur semblait être le suivant : une équipe qui produit un service dans un même lieu et dans un même temps. L’unité de temps peut, à cet égard, être vue comme l’enchainement linéaire et séquentiel d’activités, à la façon d’un processus.

Première fragmentation : L’ère des « co »

Depuis quelques années, voire quelques décennies, bien des grandes organisations ont déployé des efforts toujours plus importants pour décloisonner les services entre eux. L’organisation matricielle devait casser les silos et le mode projet tendait à s’imposer largement.

Le mode projet est une première fragmentation de l’unité d’action et de temps au sens où nous l’entendons ici. Le principe du mode projet est de faire travailler au sein d’une même équipe des métiers différents. Le ferment de l’unité n’est plus la pratique commune, mais le fait de poursuivre un même objectif. Dans une telle configuration, rassembler les acteurs en un même lieu était un facteur unificateur.

Le mode projet s’est également accompagné, et a été rendu possible, par son lot d’outils collaboratifs (coédition, co-production...) qui ont poussé à repenser la temporalité autrement que selon le mode linéaire.

Seconde « fragmentation » : le confinement et le travail à distance massif

Le confinement a généré une accélération brutale de cette fragmentation notamment en massifiant l’usage d’outils collaboratifs. Auparavant l’usage de ces outils relevaient d’un choix ou d’une option, ils sont devenus une nécessité.

L’impact majeur du confinement, et de l’organisation du travail qui s’en est suivie est la fragmentation du lieu. Or, l’unité de lieu était un facteur d’unification important pour ne pas dire le principal.

Dès lors, il peut apparaître dans certains cas que ni le lieu, ni l’action, ni le temps ne sont facteurs d’unité. Apparaît alors l’enjeu du management hybride.

L’unité hybride retrouvée

Tout d’abord, il faut admettre qu’il n’y a pas de jugement de valeur dans les termes de fragmentation ni dans celui d’artificiel que nous utiliserons plus avant. Il s’agit ici de trouver les mots pour décrire ce qui se passe. De fait, ce que nous avons appelé des fragmentations sont en réalité de véritables opportunités puisque le temps, l’action et le lieu sont en réalité des facteurs d’unité par défaut. Lorsqu’ils sont effectifs, c’est le sillon dans lequel l’unité se fait au détriment d’une unité qui pourrait s'inscrire dans un horizon plus large. Ainsi, le cloisonnement dont souffre bien des grandes organisations est un bon exemple puisque dans ces cas, l’unité se crée au niveau du service au détriment de l’entité globale.

Le terme artificiel, quant à lui, suppose qu’il est nécessaire de déployer un effort important pour créer et maintenir cette unité. Il y a plusieurs niveaux dans l’hybridation. Un mulet est un animal hybride viable issu du croisement du cheval et de l’âne. Il est viable mais ne peut se reproduire. Le Centaure, quant à lui, animal mythologique avec un corps de cheval et un buste et une tête d’humain, est le fruit de l’imagination de l’homme. Et c’est seulement l’imagination qui est en mesure de faire tenir deux entités différentes que sont l’homme et le cheval en un tout.

Manager en mode hybride c’est manager dans deux systèmes avec des rythmes et des enjeux différents. Dès lors charge au manager de déployer des efforts pour maintenir l’unité contre l’entropie.

Ce qui faisait l’unité ayant en grande partie disparu, l’enjeu demeure pour le manager de trouver d’autres relais pour fonder l’unité. Aussi, pour reprendre la référence au théâtre, si on enlève l’unité de temps, d’action et de lieu ; il reste le récit. Ce dernier offre bien un appui pour maintenir et renforcer l’unité au-delà des fragmentations.

Il y a plusieurs façons de s’appuyer sur le récit pour maintenir l’unité. Une première consiste à trouver un imaginaire commun qui soit fédérateur. C’est par exemple le cas lorsqu’un projet d’entreprise s’inspire de la métaphore sportive. C’est également une clé d’interprétation pour comprendre l’engouement autour de la raison d’être au sein des entreprises à mission. Cette raison d’être a pour objectif d’unifier non pas sur les modalités, le comment, mais sur la finalité : le pour quoi il s’agit ainsi d’inscrire chacune des actions individuelles dans une cause unificatrice qui dépasse et transcende les différences, et ce faisant, de permettre d’inscrire un récit individuel dans une aventure collective.

Le recours aux métaphores, les projets d’entreprise, la mobilisation autour d’une vision partagée sont là des choses qui existent depuis bien longtemps. A présent, ce qui pouvait être auparavant accessoire, devient nécessaire. Car c’est le levier principal pour répondre à l’enjeu du management hybride : faire accorder deux systèmes différents et aux rythmes différents en un tout.

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