Innover en RH pour transformer une situation de crises en opportunités : Management d'équipe, transformation digitale RH et gestion des compétences

Cet article a été co-écrit avec Claire de Béchillon (1), Dan Guez (2), Rachel Kasongo-Tshibo (3), Andjélika Kichian (4), Vincent Meyer (5), Jonathan Pottiez (6). Avec l'assistance et l'harmonisation de Rachel Kasongo.
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« Innover en RH pour transformer une situation de crises en opportunités : Management d'équipe, transformation digitale RH et gestion des compétences » a été la thématique phare de la troisième édition du OpenHR Innovations Day qui s’est tenu le 10 février 2021. Cette journée, entièrement dédiée à l’innovation RH, a réuni professionnels RH et étudiants RH de la Sorbonne et de Institut Mines-Télécom Business School. Plusieurs professionnels et chercheurs sont intervenus sur les thèmes du management d’équipe, de la transformation digitale RH et de la gestion des compétences, des thèmes clés pour tenter de transformer une situation de crises en opportunités. Ce sont les résultats principaux de ces échanges qui sont présentés dans cet article. Tout au long de l’article et à la fin, vous trouverez des liens vers des ressources complémentaires si jamais vous souhaitez en savoir plus.

  1. Management d’équipe : sortir des artifices, fonder ou refonder les politiques managériales et promouvoir le feedback

Dans son intervention sur « Management d’équipe : sortir des artifices pour refonder les politiques managériales », Andjélika Kichian a rappelé l’importance de revenir aux fondamentaux du management d’équipe. En cette période de crise sanitaire, et de télétravail forcé, certaines entreprises ont recours à des artifices managériaux. Ils sont parfois vendus comme de prétendus rituels de management d’équipe, pour tenter de maintenir le lien et l’engagement dans les équipes. On y retrouve, pêle-mêle, la tentation de vouloir à tout prix gamifier le travail et les relations managers/managés, le fait de promouvoir le "feel good" au point que cela devienne une injonction totalement dé-corrélée de la réalité quotidienne des salariés, ou plus grave encore, le fait d'utiliser de vrais outils de management tels des tests de personnalités, sans proposer de feed-back professionnels aux collaborateurs qui ont consenti à le réaliser. Enfin la question du suivi des équipes reste la plus sensible, avec d'un côté certains managers, qui au nom de l'autonomie et de la responsabilisation, laissent leurs équipes sans appui et d’autres, au contraire, qui les interrompent à longueur de journées pour des briefs et autres reportings.

Les effets de ces pratiques sont parfois à l’opposé de ce qui est attendu. Elles ne répondent pas aux besoins des salariés et des managers, peuvent générer une perte de sens ou encore du stress (perte de temps, dysfonctionnements non traités, confusion des messages, défiance).

Il est dès lors primordial de définir, de formaliser et de faire vivre, le cadre de travail. Le cadre de travail, ce sont l’ensemble des règles, fixées à l’équipe ou co-construites avec elle, qui définissent les objectifs à atteindre, la manière de les atteindre ainsi que la manière de travailler entre les membres. Ce cadre doit s’appuyer sur les valeurs et/ou la mission de l’entreprise quand elles existent. La période que nous traversons nécessite également de définir et faire vivre le cadre de travail numérique, à savoir l’ensemble des règles et pratiques d’utilisation du numérique visant à fluidifier le travail et la communication au sein de l’équipe en essayant d’éviter la surcharge informationnelle ou encore les incivilités numériques.

Un article d’Andjélika Kichian va être prochainement diffusé sur RHinfo pour développer plus cette notion de cadre de travail. Un podcast lié à ce sujet, « Prendre son poste de manager », est déjà disponible sur le lien suivant : https://www.imt-bs.eu/nos-chroniques-radio/

Vincent Meyer est intervenu sur le « feedback au service du management d’équipe ». Il a rappelé que donner du feedback c’est non seulement transmettre des informations à la suite de l’observation d’une tâche ou d’un comportement, mais surtout dans le but de faire progresser (Ilgen et al. 1979; London, 2003). D’après lui, il existe quatre principaux types de feedbacks :

  • Le feedback de développement (a),
  • Le feedback de reconnaissance (b),
  • Le feedback de performance (c),
  • Et le feedback négatif (d).

Le feedback de développement (a) permet aux collaborateurs de développer et de renforcer leurs compétences professionnelles, mais il nécessite du temps et de l’accompagnement pour être précis. Le feedback de reconnaissance (b) renforce la motivation et l’envie de faire des efforts alors que le feedback de performance (c) permet de se situer par rapport à ses objectifs. A noter que ces deux derniers types de feedbacks ne permettent pas d’identifier ses forces ou ses axes d’amélioration, ni de faire progresser ses compétences. Le feedback négatif (d) permet, quant à lui, d’éviter des comportements inacceptables, mais il n’aide pas les personnes à se développer et peut même les blesser. Il doit être utilisé uniquement et immédiatement après l’observation d’un comportement inapproprié.

Vincent Meyer a également souligné la complexité de la mise en œuvre d’une véritable culture du feedback. Certains feedbacks permettent en effet d’améliorer la performance individuelle et collective (Steelman & Williams, 2019) quand d’autres peuvent au contraire la diminuer. D’après une étude de Kluger & DeNisi (1998) : 1/3 des feedbacks ont un effet positif sur la performance, 1/3 des feedbacks ont un effet négatif sur la performance et 1/3 des feedbacks n’ont aucun effet sur la performance. D’après lui, il existe quatre points essentiels pour développer une culture positive du feedback :

  1. Centrer les feedbacks sur le développement du collaborateur,
  2. Permettre des feedbacks bienveillants et objectifs,
  3. Créer une routine pour ancrer le feedback,
  4. Et enfin créer un environnement de confiance.

Cet environnement de confiance est essentiel tant au niveau individuel, entre le collaborateur, son manager et ses paires, qu’au niveau de son équipe et de l’environnement organisationnel dans son ensemble. Le rôle des équipes RH est ainsi central pour transmettre et diffuser une véritable culture du feedback et épauler les équipes de terrain dans ce changement au quotidien.

  1. Accélération de la transformation digitale RH : dématérialisation et digitalisation des formations à distance

Le constat est souvent le même parmi les professionnels RH, la crise a accéléré la transformation digitale de la fonction RH sur deux points, tout particulièrement : la dématérialisation des processus RH et la digitalisation des formations pour rendre ces dernières accessibles à distance.

Claire de Béchillon est intervenue sur les thèmes de la mise en place d’un coffre-fort électronique et de la signature électronique. Le coffre-fort électronique est un espace virtuel où le collaborateur et/ou l’employeur peuvent déposer des documents concernant un collaborateur donné (contrat de travail, avenants, bulletins de paie…). La mise en place d’un coffre-fort employeur vise plusieurs objectifs. Côté collaborateurs, le but est d’offrir un environnement sécurisé, accessible à tout moment (sous réserve d’avoir une connexion) et rapidement. Côté employeur, l’objectif est de permettre un déstockage physique des archives, un gain de temps dans la recherche des informations et un transfert plus facile du dossier en cas de mobilité interne. Claire de Béchillon a relevé 10 points clés pour la mise en œuvre d’un projet de coffre-fort électronique :

  1. Intégrer les juristes et le service IT dès le début du projet,
  2. Organiser une équipe de pilotage de l’accompagnement du changement dès le début du projet également,
  3. Partager et communiquer une vision claire du projet,
  4. Utiliser un Kit de communication à destination des différents publics,
  5. Sensibiliser tous les acteurs, experts RH, managers, IRP,
  6. Monter des réunions de présentation,
  7. Organiser la formation des experts RH,
  8. Elaborer un Q&A des objections,
  9. Valoriser les étapes franchies,
  10. Ancrer les changements dans les process existants et plus globalement dans la culture de l’entreprise.

En ce qui concerne la signature électronique, elle s’appuie sur un mécanisme garantissant l’intégrité d’un document électronique et authentifiant son auteur de façon équivalente à la signature manuscrite d’un document papier, le tout à distance. Les gains peuvent être également multiples pour toutes les parties prenantes : gain de temps dans les processus de signature (parfois jusqu’à 90 % de temps gagné), gains d’affranchissement et d’impressions et une image employeur plus moderne. Sa mise en place relève des mêmes points clés que précédemment.

Jonathan Pottiez est intervenu sur le thème « Transformer une formation en présentiel, en formation digitalisée et distancielle ». Il a rappelé que la « zoomification » de la formation, même si elle a permis et permet toujours de parer au plus pressé, n’est pas entièrement synonyme d’une formation digitalisée et accessible à distance. Zoom et ses acolytes permettent, en effet, d'animer des classes virtuelles. Ces classes virtuelles permettent de réunir dans un même environnement virtuel formateur(s) et apprenants, en temps réel (autrement dit de manière synchrone), en diffusant des documents pédagogiques de travail comme un support PowerPoint, ainsi que d’interagir avec les apprenants grâce au tchat, aux notes partagées, tableaux blancs…

Les formations à distance peuvent et doivent aller plus loin que cela même si elles s’appuient bien évidemment sur les classes virtuelles. Il est ainsi possible d’utiliser d’autres modalités pédagogiques numériques comme des vidéos, des podcasts, des exercices d’autoformation, des textes numériques pour préparer ou ancrer les apprentissages vus en classe virtuelle… Le format peut aussi être vu différemment. Une large part peut être laissée à l’autoformation et la classe virtuelle peut uniquement servir à ancrer les apprentissages en permettant des échanges entre les apprenants et le formateur.

Si vous souhaitez en savoir plus sur la manière de digitaliser les formations en présentiel, nous vous conseillons la lecture des deux articles suivants :https://www.rhinfo.adp.com/rhinfo/2021/la-digitalisation-de-la-formation-1/, https://www.rhinfo.adp.com/rhinfo/2021/la-digitalisation-de-la-formation-2/

  1. Gestion des compétences : définition, analyse et recrutement

L’importance de la gestion des compétences s’est également accrue en cette période de crises. Plusieurs axes sous-tendent cette thématique : repérer et analyser les compétences individuelles des collaborateurs afin de mettre en place des plans de mobilité et de développement des compétences adéquats et poursuivre les recrutements dans certains secteurs, parfois uniquement certaines entreprises de certains secteurs.

Emmanuel Baudoin est intervenu sur le premier axe, à savoir « Identifier et piloter les compétences en entreprise : la méthode « Combine » (à prononcer en anglais) pour enfin tous parler le même langage ». Il a tout d’abord rappelé que si les compétences numériques et les « soft skills » font la une de la presse RH spécialisée, elles ne sont pas les seuls ensembles de compétences nécessaires au travail (pour en savoir plus, il est possible de consulter l’article RHinfo suivant : https://www.rhinfo.adp.com/rhinfo/2020/les-competences-lere-digitale-1/) Il a ensuite rappelé que le terme de compétences est polysémique et que chacun, dans les univers professionnels ou académiques, en a souvent une définition différente d’où la nécessite de s’accorder sur la notion de « compétence » avant de mener quelque travail que ce soit. Il a également indiqué, en tout cas au niveau de la recherche, qu’un consensus existe sur le fait que la compétence se mesure/constate en situation. On peut dire d’une personne qu’elle est compétente sur un sujet quand elle est capable de réaliser quelque chose, ou un ensemble de choses, en rapport avec ce sujet. Fort de ce constat, il est possible de repartir de la définition de Le Boterf sur ce qui permet d’être compétent au travail. On est compétent lorsqu’il y a une conjonction de savoir-agir, de pouvoir agir (avoir les ressources matérielles et humaines pour actionner les savoir-agir) et de vouloir agir (par simplification la motivation à actionner des savoir-agir). Cette triade est représentée dans le schéma ci-dessous par le niveau de combinaison 1.

Dans la méthode « Combine », le choix a été fait de réduire la compétence aux savoir-agir. Par souci de précision, on peut parler de « compétences individuelles ». Les savoir-agir présentent la caractéristique d’être testables, lors de processus de recrutement par exemple, enseignables, lors d’actions de formation et de développement de compétences, et ils sont dépendants d’une personne (à contrario des pouvoir-agir qui peuvent être liés aux moyens donnés, ou non, par un manager, une équipe, une entreprise). Dans la méthode « Combine », une compétence individuelle est alors entendue comme la combinaison de savoir-agir, et par extension, de connaissances, mobilisés par un salarié pour effectuer son travail de manière performante. L’analyse des recherches en gestion et en psychologie a permis d’identifier cinq briques élémentaires de ces savoir-agir et connaissances : les connaissances elles-mêmes, les savoir-agir manuels, les savoir-agir relationnels, les savoir-agir intra-personnels, les savoir-agir cognitifs. Pour plus de précision, il est possible de consulter l’article suivant : https://www.rhinfo.adp.com/rhinfo/2020/les-competences-lere-digitale-2/ Ce pentagone des connaissances et savoir-agir est représenté dans le schéma suivant par le niveau de combinaison 2.

En fonction des éléments de connaissances et savoir-agir que l’on souhaite développer, il est possible d’associer des moyens pédagogiques. C’est le niveau de combinaison 3 dans le schéma ci-dessous.

Schéma de présentation de la méthode « Combine »

Schéma de présentation de la méthode « Combine »

Dan Guez est revenu sur la thématique du recrutement en période de crise. La crise sanitaire que nous traversons, et la crise économique qui l’accompagne, rebattent les cartes entre recruteurs et recrutés. Les effets de cette situation inédite sont disparates sur le marché de l’emploi. Certains secteurs, déjà malheureusement très sinistrés, sont entrés dans l’équation moins de postes disponibles pour plus de candidats. Le recruteur revient ainsi en position de force. D’autres secteurs, parfois seulement certaines entreprises de ces secteurs, sont dans une équation du type plus de postes disponibles pour un nombre de candidats qui varie peu. D’autres entreprises enfin sont dans une équation stable, un nombre de poste qui reste important à pourvoir pour un nombre de candidats qui n’a pas augmenté, voire a un peu diminué du fait de la frilosité des candidats à changer d’entreprise. Quelle que soit la situation pour le recruteur et son entreprise, Dan Guez relève quatre points d’attention centraux pour le recrutement en cette année 2021 :

  1. Accélérer la digitalisation du processus de recrutement (ATS, vidéo et dématérialisation),
  2. Travailler un sourcing multicanal, plus que jamais nécessaire, avec trois points digitaux de passage incontournables (LinkedIn, les méta-moteurs et les jobboards qui sont loin d’être dépassés),
  3. Travailler, là aussi plus que jamais, l’expérience candidat et nouvel embauché,
  4. Prendre en compte de l’évolution des « Soft Skills » nécessaires dans le cadre du travail inédit que nous connaissons.

Si vous souhaitez en savoir plus sur ces quatre points, vous pouvez consulter l’article suivant : https://www.rhinfo.adp.com/rhinfo/2021/recruter-en-periode-de-crise-4-points-dattention

Ressources supplémentaires

Si une ou plusieurs thématiques vous ont intéressé.e, les replay sont disponibles à l’adresse suivante : https://www.youtube-nocookie.com/embed/videos?

Vous pouvez également retrouver les Kits RH de gestion de crise développés par les Diplômé.e.s du master 2 « Management Digital des Ressources Humaines – Spécialisation : gestion de crise » de Institut Mines-Télécom Business School. Ils sont téléchargeables gratuitement à l’adresse suivante : https://www.imt-bs.eu/livre-blanc-et-kits-rh-pour-tenter-de-gerer-au-mieux-la-crise-sanitaire-et-sociale-de-la-covid-19/
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  1. Claire de Béchillon est Manager RH Digital, groupe BPCE
  2. Dan Guez est Directeur Général d’OpenSourcing
  3. Rachel Kasongo-Tshibo est Consultante RH free-lance
  4. Andjélika Kichian est Manager d’équipes et RH, future doctorante
  5. Vincent Meyer est Professeur à l’EM Normandie et Co-fondateur de 5feedback
  6. Jonathan Pottiez est Consultant en management de la formation chez C-Campus

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Bibliographie :

  • Ilgen, D. R., Fisher, C. D., & Taylor, M. S. (1979). Consequences of individual feedback on behavior in organizations. Journal of applied psychology, 64(4), 349.
  • Kluger, A. N., & DeNisi, A. (1998). Feedback interventions: Toward the understanding of a double-edged sword. Current directions in psychological science, 7(3), 67-72.
  • Leboterf, G (2019). Développer et mettre en œuvre la compétence. Eyrolles.
  • London, M. (2003). Job feedback: Giving, seeking, and using feedback for performance improvement. Psychology Press.
  • Steelman, L. A., & Williams, J. R. (Eds.). (2019). Feedback at Work. Springer.

Tags: Innovation Management Transformation digitale Gestion des compétences